MATRIX


MATRIX

"La Matrice est un système, Neo. Et ce système est notre ennemi. Quand on est à l'intérieur que voit-on? Des hommes d'affaires, des professeurs, des avocats, des charpentiers... En attendant, ils font partie de ce système. Tu dois comprendre: ils ne supporteraient pas d'être débranchés. Certains sont si amorphes et tellement dépendants du système qu'ils se battraient pour le protéger (...)

- Est-ce que tu crois au destin Neo?
- Non.
- Pourquoi pas ?
- Parce que je n'aime pas l'idée de ne pas avoir le contrôle de ma vie.
- Je sais exactement ce que tu veux dire. Laisse-moi te dire pourquoi tu es ici: tu es ici parce que tu sens qu'il y a quelque chose qui "ne tourne pas rond" dans ce monde. Tu ne te l'expliques pas mais c'est en toi, comme une écharde dans ton esprit... et ça te rend fou. Sais-tu de quoi je parle?
- De la Matrice...?
- Veux-tu savoir ce que c'est?... La Matrice est partout. Elle nous enveloppe, même dans cette pièce. Tu peux la voir quand tu regardes par la fenêtre, ou quand tu es devant la télévision. Tu sens sa présence quand tu vas travailler, quand tu vas à l'église, quand tu payes tes impôts. C'est le monde qui a été placé devant tes yeux pour te cacher la vérité.
- Quelle vérité?
- Que tu es un esclave Neo. Comme tout le monde, tu es né dans l'esclavage dans une prison que tu ne peux ni sentir, ni toucher. Une prison pour ton esprit..."

"Tu prends la pilule bleue, l'histoire s'arrête là, tu te réveilles dans ton lit, et tu crois ce que tu veux. Tu prends la pilule rouge, tu restes au Pays des Merveilles et je te montre jusqu'où va le terrier. La matrice est partout, tout autour de nous, elle nous enveloppe, même dans cette pièce. Tu peux la voir quand tu regardes par la fenêtre ou quand tu allumes la télévision... C'est le monde qu'ils ont mis devant tes yeux pour t'empêcher de voir la vérité. Tu es un esclave, Néo, comme tout le monde, tu es né en captivité dans une prison de l'esprit que tu ne peux ni sentir, ni toucher, ni goûter. La matrice est un système, Néo, et ce système est notre ennemi. Mais lorsque tu vas à l'intérieur et que tu regardes autour de toi, que vois-tu ? Des hommes d'affaires, des avocats, des professeurs, des menuisiers… Ce sont tous les êtres que nous sommes en train d'essayer de sauver. Mais en attendant que nous réussissions, ces êtres font toujours partie du système, et cela en fait nos ennemis potentiels. Que veut dire réel ? Comment définis-tu la réalité ? Si tu penses à ce que tu peux sentir, toucher, goûter et voir, alors le réel n'est rien de plus que des signaux électriques interprétés par ton cerveau. C'est ça le monde que tu connais. La Matrice ! "

extrait d'un dialogue entre Neo et Morpheus

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Dossier
Un film philosophique et religieux


Globalement, Matrix représente une version contemporaine de l’allégorie de la Caverne. Comme chez Platon, il est question de prisonniers. Ils ne sont pas enchaînés dans une caverne et condamnés à ne connaître de la réalité que les ombres chinoises qui défilent sur la paroi du fond. Les personnages du film sont pris dans la « matrice », qui n’est autre que le monde dans lequel nous vivons, qui se donne pour la réalité ultime, avec ses charmes et des côtés agréables ; mais il est une illusion qui retient l’humanité en exil loin de la vérité - comme le produit d’un délire d’informaticien génial qui aurait réussi à enfermer tout le monde dans une réalité virtuelle de son invention.

Parmi tous ces prisonniers, le jeune informaticien Thomas Anderson pressent dans ses angoisses et ses rêves qu’il doit y avoir autre chose. Il va progressivement comprendre qu’il a été repéré par un commando de « résistants » de l’au-delà de l’illusion, des « éveillés » qui lui proposent de les rejoindre. Ils pensent qu’il pourrait être l’« élu » et ils vont le délivrer pour le faire sortir de la « caverne », c’est-à-dire de la « matrice » et l’amener dans la réalité véritable.
Ici pourtant, le propos devient moins platonicien que « chrétien ». Car cet « élu » n’est pas un philosophe à la manière de Socrate, mais carrément une figure du Messie, sinon le Sauveur en personne. Il va passer par une série d’épreuves plus ou moins initiatiques qui sont calquées tantôt sur le cheminement de celui qui s’engagerait dans la foi selon le Nouveau Testament, tantôt sur celui du Christ lui-même. Ce qui est en jeu n’est rien moins que le salut de l’humanité.
Tout d’abord, Morpheus, le chef du commando, le place devant un choix symbolisé par une pilule rouge pour l’entrée dans la réalité véritable, et une pilule bleue pour le retour irrémédiable dans la pseudo-réalité ordinaire. Il choisit la pilule rouge comme on s’engage dans une conversion, sachant que ce sera beaucoup plus difficile, et passe alors littéralement par une nouvelle naissance : on le voit sortir d’une poche placentaire translucide, gluant comme un nouveau-né ; il a été transformé et il reçoit une nouvelle identité. Désormais, il ne sera plus Monsieur Anderson, mais Neo.
Il apprend ensuite à vivre dans cette dimension nouvelle - appelons-la réalité B -, à partir de laquelle des interventions sont possibles dans la réalité A (l’ordinaire). Rivé à son siège dans le vaisseau du commando, le cerveau branché sur des machines, il sort dans le monde de l’humanité ordinaire et y agit de diverses manières. Il se forme au combat grâce à des programmes informatiques qu’on croirait tombés d’un Super Nintendo, se préparant ainsi à lutter contre un ennemi puissant, figure de Satan, qui tient l’humanité captive dans la réalité A et veut sa destruction complète. L’action, désormais, aura toujours quelque chose d’un combat spirituel. Neo découvre les capacités étonnantes que sa « métamorphose » a rendues possibles, mais qui ne deviennent effectives qu’une fois qu’il se les est appropriées (agir sur la matière par la force de la pensée, déplacements extrêmement rapides dans les combats).
Neo cherche aussi à comprendre quel est son appel, à discerner sa mission. Élu peut-être, appelé certainement, mais à quoi ? Ses compagnons lui apprennent qu’il devra affronter un voyant quand il sera suffisamment préparé ; alors il saura s’il est vraiment l’élu. La scène est assez comique, car le voyant est une ménagère qui le reçoit dans sa cuisine et le renvoie à lui-même en désignant l’inscription qui figure au-dessus de la porte : « Connais-toi toi-même ». Elle lui annonce qu’il aura à choisir un jour entre sa propre mort et celle de son maître Morpheus, et que s’il n’est pas l’élu dans cette vie-ci, il le sera peut-être dans la suivante. C’est ainsi que Neo reçoit son appel, comme Socrate de la pythie de Delphes.
Matrix est un film d’action, et l’affrontement tant attendu des forces du bien et du mal a lieu. Morpheus est capturé par les ennemis, les agents de la matrice. L’équipage, la mort dans l’âme, se résigne à le supprimer pour sauver ce qui peut encore l’être, craignant qu’il ne soit contraint de livrer des secrets mortels pour la cause du bien. Neo refuse et décide d’aller le libérer lui-même, avec l’aide de la belle Trinity, au nom transparent. Neo meurt dans ce combat, mais va ressusciter grâce à l’amour de Trinity, dont le baiser fait penser à celui par lequel le Prince charmant réveille la Belle au Bois-Dormant. Dès lors, muni de son corps de résurrection, il sera à l’épreuve des balles, et saura qu’il est vraiment l’élu. Au point que la dernière image du film nous montre son ascension fulgurante vers le ciel... Peut-être acquiert-il alors une stature divine ; il est clair qu’il est désormais le seul sauveur possible de l’humanité.

Matrix, film gnostique
Mort à soi-même et nouvelle naissance. Mort, résurrection et ascension finale : le vaillant Neo est-il donc une figure du Christ ? Fondamentalement, le message de Matrix, en dépit des apparences, n’est pas celui de l’Évangile :
L’antichambre de la voyante regroupe des représentants de différents courants religieux ; c’est par exemple un petit bonze qui enseigne à Neo l’art de tordre les cuillères. On est donc dans une perspective tout à fait syncrétiste. Le commando des résistants n’est au service d’aucune transcendance. Il n’y a rien au-delà du vaisseau à partir duquel les résistants essaient de sauver les autres hommes de l’illusoire réalité A. Apparemment, ils sont les seuls rescapés des forces du bien.
On ne sait pas davantage d’où la voyante tire sa science, ni exactement d’où vient la matrice et qui l’a mise en place. Le film affirme qu’il existe une dimension B, dont le monde A dépend. Les vrais combats ont lieu dans la dimension B, car les forces du mal ont elles aussi des capacités surhumaines. Si la réalité A est la création, elle est fondamentalement mauvaise et soumise aux forces du mal.
Matrix, par contre, est bien plus proche de la philosophie grecque (Platon, Socrate) et surtout de ses prolongements gnostiques et manichéens :
Dévalorisation du monde sensible, pure illusion, mais aussi dévalorisation du corps et de ses désirs. On le remarque à la nourriture du commando, purement fonctionnelle, qui n’a rien de plaisant. La scène dans laquelle Neo se retourne dans la rue pour regarder la femme à la robe rouge montre que désir sexuel est un piège. D’ailleurs, il n’y a aucune scène d’amour dans le film (si l’on excepte le chaste baiser résurrecteur de Trinity)
La thèse selon laquelle la création est mauvaise est une thèse gnostique. L’idée fondamentale du gnosticisme est que l’âme humaine est une étincelle divine égarée dans la matière : elle peut, à condition d’être bien guidée et enseignée, trouver la voie qui lui permet de remonter jusqu’à la lumière originelle.
Dans cette perspective, la femme est un être divin et prophétique (c’est le cas de Trinity et de la voyante), mais qui peut devenir piège à cause de l’attrait sexuel qu’elle exerce.
Le film comporte également une thèse manichéenne. Selon Mani, fondateur du manichéisme, le monde est le théâtre de l’affrontement du Bien et du Mal. La création est l’œuvre du mal et il faut travailler à sa disparition en s’abstenant de toute procréation ; le salut de l’humanité consiste à libérer la lumière qui est en elle, avant que l’univers ne disparaisse. Dans Matrix, dont l’action se situe en 1999, des images d’anticipation montrent que, deux cents ans plus tard, l’humanité semble avoir disparu de la face de la terre.
Bref, en dépit des apparences chrétiennes, et malgré son extraordinaire mise en scène de film de science-fiction, The Matrix réactualise surtout de vieux mythes païens.

Comment fonctionne l’univers de Matrix
Tout d’abord, le film (et c’est ici que la science-fiction domine) explique que la matrice, donc cette illusion du monde tel que nous le connaissons, a été mise en place par les machines à la suite de leur guerre contre les hommes, au début du troisième millénaire. Les hommes se croyaient les maîtres des machines qu’ils avaient créées. Dans l’hypothèse d’une révolte des machines, il leur restait encore au moins la ressource de « tirer la prise », de les priver d’énergie électrique pour les réduire à l’impuissance. Ils se trompaient, puisque les machines ont réussi à s’organiser pour se rendre maîtresses de l’humanité. Désormais, les hommes se trouvent réduits à l’état d’organismes cultivés en vue de fournir de l’énergie aux machines. Enfermés dans des sortes de couveuses, chacun dans son alvéole, le cerveau branché sur un réseau informatique qui injecte continuellement l’illusion de la vie réelle, ils attendent le moment où les machines les transformeront en énergie. La matrice est ce programme de réalité virtuelle qui fait croire à tous ces prisonniers destinés à fournir de l’énergie qu’ils mènent une vie normale et libre. Ils sont donc totalement inconscients de leur situation réelle.
La pilule rouge que Neo avale provoque un dysfonctionnement (il se réveille) qui alerte les robots surveillant le processus de culture de l’humanité ; ils le débranchent et le jettent aux ordures dans une sorte de dévaloir qui fait penser à un gros siphon de WC. C’est là que Morpheus et son équipage du vaisseau Nebuchadnezzar le récupèrent. Ils doivent ensuite le réparer, le mettre au point en revitalisant ses muscle atrophiés puisqu’ils n’ont jamais servi dans la couveuse ; Neo est aussi reprogrammé par un apprentissage accéléré de son nouveau mode de vie.
C’est ce passage que j’ai comparé à une nouvelle naissance, car en réalité c’est comme s’il venait de naître vraiment. Neo devient homme effectivement, noue des liens avec ses nouveaux compagnons, qui sont parmi les rares rescapés de l’humanité d’avant la victoire des machines et l’établissement de la matrice.
La suite du film raconte la lutte acharnée que se livrent les agents de la matrice et les derniers représentants de l’humanité libre. Pour une raison qui m’échappe encore, cette lutte doit avoir lieu dans la matrice. Les agents sont des figures du mal. Ils sont méchants et pratiquement indestructibles ; n’importe qui peut se transformer au besoin en agent de la matrice ; c’est pourquoi tous les hommes, dans la matrice, sont des ennemis potentiels. Par contre, puisqu’ils ne sont que des créatures virtuelles, il n’est pas nécessaire de se gêner dans les combats. Les actions les plus violentes et les plus sanglantes ne portent pas à conséquence du point de vue moral. Voilà pourquoi on assiste le cœur léger ( ?) à la grande tuerie des gardes de l’immeuble où Morpheus est retenu prisonnier.
De leur côté, les membres du commando de libération restent vulnérables ; s’ils se font tuer dans la matrice, ils meurent effectivement ; ils sont d’ailleurs sensibles à tous les coups reçus et peuvent être tués quand ils passent dans la réalité virtuelle. Cependant, ils apprennent (astuce de programmeurs informatiques ?) à développer des ressources et des potentialités surhumaines, qui ajoutent évidemment au spectacle.
Il reste que je suis loin d’être au clair sur les rapports que le film établit entre les deux ordres de réalité. Le personnage le plus problématique à cet égard est celui de l’oracle. J’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi Neo doit aller dans la matrice pour rencontrer cette femme dont on ne sait d’où elle vient ni d’où elle tire son savoir.

L’arrière-plan philosophique
C’est Platon qu’il faut relire pour retrouver quelques clés philosophiques correspondant au monde de Matrix. L’allégorie de la caverne nous montre déjà des homes qui ne connaissent plus leur véritable identité, réduits qu’ils sont à ne voir d’eux-même qu’une ombre déformée. Chez Platon aussi on est au cinéma : les prisonniers regardent les ombres qui défilent sur la paroi du fond de la caverne ; dans Matrix, progrès technique oblige, plus besoin d’écran, puisque les images sont injectées directement dans le cerveau des êtres humains. Et Neo correspond assez bien au prisonnier qu’on vient délivrer pour lui faire découvrir, en même temps que l’étendue de son ignorance, la nature de la réalité véritable. Dans l’un et l’autre cas, le salut vient d’une connaissance réservée à un petit nombre d’élus qui doivent passer par une initiation.
Platon, disciple de Pythagore, croyait en la réincarnation, thème qu’on retrouve dans Matrix, puisque Neo n’est l’élu que parce qu’il est la réincarnation d’un homme qui en savait déjà bien plus que les autres.
Le leitmotiv du salut par la connaissance se confirme donc, et montre que nous sommes très loin de la thématique chrétienne de la grâce. C’est pourquoi il faut revenir encore une fois sur la question de la gnose, puisque celle-ci est la clé qui permet de comprendre vraiment Matrix.

La gnose dans Matrix
« La gnose (du grec gnôsis) peut se définir comme une connaissance salvatrice, qui a pour objet les mystères du monde divin et des êtres célestes, et qui est destinée à révéler aux seuls initiés le secret de leur origine et les moyens de la rejoindre, et à leur procurer ainsi la certitude du salut, que celui-ci soit obtenu ou non par une collaboration entre la grâce divine et la liberté humaine. L’idée de ce type de connaissance est apparue très probablement dans le judaïsme, à l’époque et dans le milieu même où est né le christianisme, et elle est restée vivante à la fois dans le christianisme, orthodoxe ou hérétique, et dans les mouvements religieux (tel le mandéisme) apparentés au judaïsme ou au judéo-christianisme. » (Encyclopaedia Universalis, 1997)
Caractéristique de la vision du monde gnostique : le dieu créateur et le dieu rédempteur sont deux divinités différentes. Tout se passe comme si la création était le fait d’un démiurge stupide, ou d’un dieu méchant, voire du diable. Le monde est donc fondamentalement mauvais, et l’existence du mal un fait évident. C’est exactement ce qui est suggéré dans Matrix : le monde est une réalité virtuelle créée par des puissances mauvaises (les machines) en vue d’asservir les hommes.
Autre caractéristique : le dieu mauvais veut faire ignorer aux hommes l’existence du dieu rédempteur qui est la source du monde spirituel et du bien. Dans la tradition gnostique, le dieu bon envoie un sauveur, un Christ, pour délivrer les âmes des élus prisonniers dans la création démoniaque et les ramener dans le monde spirituel. Il est âprement combattu par les forces du mal, ce que Matrix traduit par la lutte sans merci entre les agents et l’équipage du Nebucadnezzar, dont le but suprême est d’assurer la survie de Neo, qui est leur Christ.
Ce qui fait la force de la gnose, c’est que ses enseignements peuvent correspondre à l’expérience intérieure de celui qui se sent étranger au monde, en discordance avec le groupe humain auquel il appartient, ou avec la société humaine. Il se sent différent, il aspire à autre chose. Il éprouve son corps comme une prison, comme un lieu dominé par le mal et les passions ; il en est de même du monde et de tout ce qui est de l’ordre du visible : ce sont des barrières, des obstacles, des entraves. « L’âme est dans le corps comme l’huître dans sa coquille », disait déjà Platon, parce que l’âme appartient au monde spirituel, alors que la coquille fait partie du monde mauvais. Matrix évoque très bien cela dans la première partie, quand Neo vit encore sous la défroque de Thomas Anderson.
Celui qui éprouve ce sentiment d’étrangeté a envie de refuser ce monde et se sent appelé à autre chose. Et c’est là qu’arrivent les messagers qui lui confirment qu’il avait raison de se sentir différent, parce qu’il y a une autre réalité derrière le visible ordinaire. Morpheus enseigne cela à Neo de diverses manières, autant de connaissances qui libèrent son âme des vieilles idées et l’ouvrent à la réalité nouvelle. Progressivement, Neo comprend qu’il est sauvé et découvre qu’il est effectivement l’élu, sans que personne ne le lui dise directement : c’est par une prise de conscience personnelle qu’il y parvient.
Bref, le salut est dans la connaissance, et la tâche première de celui qui est sauvé consiste à transmettre à son tour cette connaissance, qui ne débouche finalement sur rien d’autre que le sentiment d’avoir percé le secret et d’être délivré des limitations du moi ; Matrix traduit cela par toutes les prouesses du héros désormais délivré du joug des lois de la physique. Il n’y a rien d’autre à faire, et Matrix n’explique pas du tout comment l’élu Neo va sauver l’humanité captive des machines. Neo a percé à jour le code de la matrice, certes, et celle-ci n’a plus de pouvoir sur lui. Mais comment les prisonniers vont-ils être libérés ? La question a-t-elle un sens pour un héros qu’on voit monter au ciel comme une fusée ?

Confusions
Matrix joue sur la confusion entre la gnose et une perspective chrétienne. J’en veux pour preuve diverses réactions entendues à propos du film. En cela, il ne fait rien d’autre que continuer une vieille tradition : vue de l’extérieur, la gnose présente de grandes ressemblances avec le christianisme ; en réalité, elle lui est radicalement opposée. Le christianisme, faut-il le rappeler, enseigne que la création est bonne, que l’homme peut s’y réaliser en entrant en relation avec Dieu, et que la vraie vie se joue justement dans cette relation. La connaissance recherchée pour elle-même est un piège auquel l’homme se laisse prendre quand il cède à la tentation de la toute-puissance en voulant se faire Dieu. C’est là le sens profond de l’histoire d’Adam et Eve, qui mangent du fruit de l’arbre de la connaissance.
Ou alors, on dira que Matrix illustre la position du christianisme gnostique. Mais pas seulement : comme l’ont montré d’autres articles consacrés au film, l’autre grande source d’inspiration est le bouddhisme. Etant moi-même peu familier du bouddhisme, je renvoie à l’excellent article de Frances Flannery-Dailey et Rachel Wagner Wake up ! Gnosticism and Buddhism in The Matrix.
J.F. JOBIN

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