Au début de notre ère, sous la dynastie des Han, taoïsme et bouddhisme se confondaient. N'est-ce pas chez les taoïstes que se découvrent les premiers adeptes du Bouddha? C'est ainsi que le bouddhisme 'réussit à s'implanter en Chine, sous les auspices du taoïsme', comme l'écrivait le sinologue Henri Maspero.
Aujourd'hui, dans la filiation d'Alan Watts, Pierre Lhermite étudie le Xin Xin Ming (Hsin Hsin Ming) de manière non conventionnelle en lisant ce texte de la fin au début...
Lire à l'envers. De quoi surprendre! Mais, pourquoi pas? Et puis je suis autant sensible au 'retournement' de type taoïste qu'au 'verlan' de type argotique. C'est ainsi qu'un pied de 'nez' devient un pied de 'zen'...Celui que Mazu (Ma Tsu) envoya au cul du moine Shui Liao!
L'important est plus dans l'épreuve que dans la preuve. Kaltenmark aussi avait tenté de reclasser les paroles du Taö Te Ching dans un nouvel ordre. Je n'y suis pas porté, mais pourquoi pas la tête en bas...? En fait, il me semble que le Xin Xin Ming peut être lu dans les deux sens, ce qui est évident pour un texte hors du temps. L'essentiel est ce que provoque cet écrit en nous...
La jubilité de Pierre Lhermite fait plaisir à voir en cette époque morose où la recherche a perdu la quête. A travers ses interrogations, l'humour de l'auteur fuse, et sa démarche viscérale par jets de réflexions et bouffées de méditation témoigne que, dans un monde où tout est relié, il n'y a pas à se limiter - en l'occurence à un essai qui ne serait pas vécu jusqu'au bout des ongles. Où se trouve la frontière entre physique et métaphysique, entre dehors et dedans?
En une approche plus globalisante que totalisante, il ne suffit pas d'ajouter 'un yin' à 'un yang' pour découvrir et réaliser le Taö qui est en Réalité au-delà des formes, donc du yin et du yang. Tout voyageur des profondeurs, aspiré par la lumière sans lumière, pressent que l'absolu 'dissoud' le relatif qui ne peut alors plus 'relater' quoi que ce soit. Dans une voie directe, l'absolu pénètre tout, mais nulle béquille, nulle recette, ne vous sont offert comme dans une voie graduelle, progressive et méritoire, avec pignon sur rue ou pas. Même si l'on n'arrive pas à réaliser réellement cet absolu, ne peut-on parfois l'entrevoir dans l'instant?
Le Xin Xin Ming nous parle de 'coeur à coeur' et observe que tout est vide. Que cette absence nous serve de leçon afin d'être moins emporté par nos émotions qui n'engendrent que souffrance et déception serait la moindre des choses. Mais, il n'y a rien à faire ou à ne pas faire. Pas d'incitation à la pratique et à la brique à polir accroupi les yeux fermés, car la position ne fait pas l'illumination. et si l'existence est illusoire, toutes les pratiques et les méthodes, fussent-elles spirituelles, sont aussi illusoires. Si l'existence est courte, le rêve aussi. Alors buvons l'esprit jusqu'à la lie, jusqu'à l'hallali!"
La Parfaite Voie ne connaît nulle difficulté
Sinon qu’elle se refuse à tout attachement.
Ce n’est qu’une fois libérée de la haine et de l’amour
Qu’elle se révèle pleinement et sans masque.
Une différence d’un dixième de pouce
Et le ciel et la terre se trouvent séparés.
Si vous voulez voir la Parfaite Voie manifestée,
Ne concevez aucune pensée, ni pour elle, ni contre elle.
Opposer ce que vous aimez à ce que vous n’aimez pas
Voilà la maladie de l’esprit.
Lorsque le sens profond (de la Voie) n’est pas compris
La paix de l’esprit est troublée et rien n’est gagné.
La Voie est parfaite comme le vaste espace,
Rien n’y manque, rien n’y est superflu:
C’est parce que l’on fait un choix
Que sa vérité absolue se trouve perdue de vue.
Ne poursuivez pas les complications extérieures,
Ne vous attardez pas dans le vide intérieur.
Lorsque l'esprit reste serein dans l'unité des choses
Le dualisme s’évanouit de lui-même.
Et quand l’unité des choses
N’est pas comprise jusqu’au fond
De deux façons la perte est supposée.
Le déni de réalité peut conduire à son absolue négation,
Alors que le fait de soutenir le vide
Peut résulter en une contradiction avec soi-même.
Phraséologie, jeux de l’intellect, plus nous nous y adonnons
Et plus loin nous nous égarons.
Eloignons nous donc de la phraséologie
Et des jeux de l’intellect.
Et il n’est nulle place où
Nous ne puissions librement passer.
Lorsque nous remontons à la racine
Nous obtenons le Sens.
Lorsque nous poursuivons les objets extérieurs
Nous perdons la raison.
Au moment où nous sommes Illuminés en nous-mêmes
Nous dépassons le vide du monde qui s’oppose à nous
Les transformations qui se déroulent dans le monde vide
Qui se trouve devant nous semblent toutes réelles
A cause de l’Ignorance.
N’essayez pas de chercher la Vérité
Cessez simplement de vous attacher à des opinions.
Ne vous attardez pas dans le dualisme,
Evitez avec soin de le poursuivre.
Aussitôt que vous en avez le bien et le mal
La confusion s’ensuit et l’esprit est perdu.
Dans l’unité du vide les deux sont un
Et chacun des deux contient en soi
Toutes les dix mille choses,
Lorsque nulle discrimination n’est faite entre ceci et cela,
Comment une vision partiale et préconçue peut-elle surgir?
La grande voie est calme et large d’esprit,
Rien n’est facile, rien n’est dur:
Les petites opinions sont irrésolues,
Plus elles sont hâtivement adoptées
Et plus tard elles disparaissent.
L’attachement passionnel ne reste
Jamais dans de justes limites,
Il est sûr de se lancer dans la fausse voie:
Lâchez prise, laissez les choses comme elles peuvent être,
Leur essence ne part et ne subsiste pas.
Obéissez à la nature des choses
Et vous êtes en accord avec la Voie.
Calme, détendu, exempt de tout ennui.
Mais quand vos pensées sont liées
Vous vous détournez de la Vérité
Elles deviennent plus lourdes,
Plus sombres et cessent d’être saines.
Lorsqu’elles ne sont pas saines, l’âme est troublée.
Quel avantage y a-t-il à avoir l’esprit partial et préconçu?
Si vous désirez parcourir le chemin du Grand Véhicule,
N’ayez aucun préjugé contre les six objets des sens.
Lorsque vous n’aurez plus de préjugé
Contre les six objets des sens,
Vous vous identifierez à votre tour avec l’Illumination;
Les sages sont non-agissants,
Alors que les ignorants s’enchaînent eux-mêmes.
Tandis que dans le Dharma lui-même
Il n’y a nulle individualisation.
Ils s’attachent par ignorance aux objets particuliers.
Ces sont leurs propres esprits qui créent les illusions.
N’est-ce pas là la plus grande des contradictions?
L’ignorance suscite le dualisme du repos et du non-repos,
Ceux qui sont Illuminés n’ont ni attachement ni inimitiés.
Toutes les formes du dualisme
C’est l’esprit lui-même qui les invente par ignorance.
Elles sont comme des visions et des fleurs dans les airs:
Pourquoi nous mettrions-nous dans le trouble
En essayant de les saisir?
Gain et perte, justice et injustice,
Qu’ils disparaissent une fois pour toutes !
Si un oeil ne tombe jamais endormi
Tous les rêves cesseront d’eux-mêmes:
Si l’esprit conserve son unité.
Les dix milles choses sont d’une seule et même essence.
Lorsque le profond mystère de cette essence est sondé
D’un seul coup nous oublions les complications extérieures;
Lorsque les dix mille choses
Sont envisagées dans leur unité,
Nous retournons à l’origine de ce que nous sommes.
L’ultime but des choses,
Là où elles ne peuvent pas aller plus loin
N’est pas limité par les règles et les mesures
L’esprit en harmonie avec la Voie
Est le principe d’identité.
Dans un état de quiétude
Les irrésolutions sont complètement chassées
Et la juste foi est restaurée dans sa droiture originelle.
Rien n’est retenu maintenant,
Il n’est plus rien dont on doive se souvenir,
Tout est vide, lucide
Et porte en soi un principe d’Illumination
Il n’y a pas de tâche, pas d’effort,
Ni de gaspillage d’énergie.
Voici où la pensée ne parvient jamais,
Voici où l’imagination ne parvient pas à évoluer.
Dans le plus haut royaume de l’Essence Vraie,
Il n’y a ni Autre ni Soi,
Lorsqu’on réclame une identification directe,
Nous ne pouvons que dire " pas deux ".
Et n’étant pas deux tout est le même,
Et tout ce qui est s’y trouve compris:
Dans les dix quartiers de la terre,
Tous les sages entrent dans cette foi absolue.
Cette foi absolue est au-delà du temps et de l’espace
Un instant y est dix mille années,
Peu importe comment les choses sont conditionnées
Que ce ne soit pas " être " ou " ne pas être ",
Tout cela est manifeste partout devant vous.
L’infiniment petit est aussi vaste que peut être l’immensité
Lorsque les conditions extérieures sont oubliées:
L’infiniment grand est aussi petit
Que l’infiniment petit peut l’être
Lorsque les limites objectives sont reléguées hors de la vue.
Ce qui est, est la même chose que ce qui n’est pas,
Ce qui n’est pas est la même chose que ce qui est:
Lorsque cet état de choses manque de se produire,
Ne vous attardez surtout pas.
Un en Tout - Tout en Un
Si seulement cela est réalisé
Ne vous tourmentez plus sur votre imperfection.
L’esprit croyant n’est pas divisé
Et indivisé est l’esprit croyant.
C’est là que les mots sont impuissants,
Car cela n’est pas du passé, du futur ni du présent.
Ainsi, nous ne pouvons pas dire "pas deux".
L’expression verbale d’une expérience de l’Eveil
La Voie Parfaite n’est pas si difficile si tu n’as pas de préférences.
Dès que tu arrêtes d’aimer ceci et de haïr cela, tout devient clair, sans masques.
Mais fais la plus infime distinction entre une chose et une autre, et tu crées une séparation infinie.
Donc, si tu veux vivre dans la Vérité, alors n’aies aucune opinion pour ou contre quoi que ce soit.
Eviter le désagrément et chercher le plaisir est la maladie du mental.
Si tu ne connais pas le sens profond de la Voie, la paix de ton âme est troublée.
La Voie est aussi parfaite que l’immensité de l’espace, où rien ne manque et rien n’est en excès.
Le fait même de choisir d’accepter ou de rejeter, t’empêche de voir la vraie nature de la vie.
Ne vis pas en cherchant des réponses dans le monde extérieur, ni en t’enfonçant dans tes sensations internes de confusion. Calmement et impartialement, vois, ressens, entends, goûte l’unité des choses et la dualité disparaîtra en elle-même.
Quand tu t’efforces de créer le calme en arrêtant l’activité naturelle du mental, la quiétude qui en résulte est elle-même active et en mouvement. Tant que tu restes attaché à l’un ou l’autre de ces extrêmes, tu ne peux pas réaliser ce qui est « non-deux ».
Et tant que tu n’as pas compris cela, tu échoues de deux façons. En niant la réalité, tu affirmes avec insistance son existence même, et en affirmant avec insistance la confusion, tu nies sa réalité.
Plus tu parles de la libération et plus tu y penses, plus tu t’éloignes de la Vérité. Arrête cet attachement à toute parole et à toute pensée sur l’Eveil et tu le trouveras bientôt partout.
Va vers ta source intérieur et tu trouveras du sens, mais si tu regardes à l’extérieur de toi, tout sens sera perdu.
Etre libéré pour juste un instant, c’est transcender l’apparence et la confusion dans le monde.
Ne cherche pas de nouvelles vérités; arrête simplement tout attachement à tes croyances et à tes jugements.
Sois vigilant à toute dualité tout en évitant soigneusement d’en rechercher de nouvelles.
S’il y a ne serait-ce qu’une trace de ceci ou cela, de bien ou mal, tu seras laissé dans la confusion.
Bien que toute dualité provienne de ce qui est “non-deux”, ne t’inquiète pas de ce “Un Sans un Second”.
N’aie ni objection, ni blâme pour quoi que ce soit dans le monde, et ta vie coulera devant toi.
Et quand tes pensées discriminantes n’existeront plus, ton mental tel que tu le connaissais n’existeras plus.
Toi (en tant que sujet), tu crois en ton existence séparée parce que les choses extérieures sont vues comme des objets. Pourtant, ni le sujet intérieur, ni l’objet externe ne peuvent exister l’un sans l’autre.
Comprends la relativité de toi et de l’autre, et tu comprends la réalité de base – qui est “non-deux”.
Dans cette réalité, tu ne peux pas distinguer l’un de l’autre car chacun contient en soi le monde entier.
Ne discrimine pas entre ce qui est grossier et ce qui est fin, et tu ne seras pas pour ou contre quoi que ce soit.
Vivre dans la Grande Voie est ta nature. Ni facile, ni difficile : simplement, c’est.
Compter sur tes vues limitées, crée peur et indécision. Plus tu te presses, moins tu vas vite.
N’aies pas de préférences en ce qui concerne tes attachements. Même l’attachement à l’idée de Libération éloigne de la vérité.
Laisse les choses être telles qu’elles sont, accepte la vie comme elle est; ainsi, il n’y a ni attente, ni incrédulité.
Vois le flot inhérent à la vie, bouge sans effort avec lui, et tu seras libre et tranquille.
Quand tes pensées sont en esclavage, la vérité est toujours cachée derrière le mental nuageux et obscur.
Juger soi-même et l’autre te laisse seulement confus et las à l’intérieur.
Vivre librement dans la non-dualité, c’est tout accepter comme indiscernable, même le monde des sens et des idées. Tout accepter complètement, totalement, est la véritable libération.
L’homme sage ne fait aucun effort pour faire quoi que ce soit, mais l’homme insensé s’attache au ‘faire’.
Il n’y a qu’une vérité, Un Goût, et non plusieurs; ta séparation provient des attachements et des jugements.
Chercher le non-mental de la libération avec le mental de l’identité est la plus grande des erreurs.
Les opposés proviennent des illusions dans ton mental; avec la libération, il n’y a pas d’opposés – pas : aimer ceci et détester cela.
Toutes les formes de dualité proviennent des frontières illusoires créées à l’intérieur de ton mental.
Ils sont comme des rêves, des hallucinations, des fantômes dans les airs, et il est insensé d’essayer de s’y accrocher.
Gain et perte, vrai et faux, tu dois éliminer ces pensées maintenant, une fois pour toutes.
De la même façon, si ton mental cessait toute distinction, alors toutes les choses sont vues telles qu’elles sont : la réalité fondamentale.
Si tu comprends le mystère de ce qui est “non-deux”, tu seras délivré de tout esclavage.
Lorsque tu peux voir toutes choses comme égales, sans distinction, tu as atteint ta vraie nature.
Aucune comparaison, aucune analogie ne sont possibles dans cet état sans cause et sans finalité.
Penses attentivement au mouvement qui existe dans le calme et au calme qui existe dans le mouvement, et mouvement et calme disparaissent tous deux.
Quand ces dualités n’existent plus, l’Advaïta lui-même ne peut pas exister.
Et dans l’Absolu, au-delà de tout ce qui est séparé, il n’y a ni règles, ni lois, ni descriptions.
C’est seulement ici et maintenant que toutes tes luttes peuvent être calmées, tes doutes et ton indécision dissipées, et qu’une vie libérée devient possible. Et à chaque moment, tu es libre de ton esclavage; tu n’es attaché à rien et rien ne s’attache à toi. Tout devient clair, vide, et lumineux en soi, sans aucun effort de ton mental.
Quand viennent des doutes, relies-toi simplement à ce «non-deux» et tu couleras directement dans l’harmonie avec cette réalité. Dans ce «non-deux», toi et tout n’êtes plus séparés, toi et tout n’êtes plus exclus.
Peu importe quand et peu importe où, être libéré signifie entrer dans cette vérité.
Et dans cette vérité, il n’y a ni temps, ni espace, ni différentiation; un seul moment est infini.
Il y a de la confusion en toi et de la confusion à l’extérieur de toi et pourtant l’univers est toujours juste en face de toi. Quand tu ne te défini plus et quand tes frontières auto construites disparaissent, l’univers est à la fois infiniment grand et infiniment petit; il n’y a pas de différence.
Arrêtes de maintenir les doutes et les discussions qui n’ont rien à voir avec cette réalité:
Tout est l’Un, et l’Un est en tout; pas de frontières excepté celles créées par ton mental.
Si tu peux réaliser seulement cela, tu ne t’inquiéteras plus de tes non-perfections, ni de celles du monde.
Vivre avec cette conviction est la voie de la non-dualité, car le non-duel est déjà unifié par le mental qui fait confiance à la Voie.
La Voie est au-delà de tout langage, car dans la Voie, il n’y a ni passé ni futur ni présent.
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