Ecrits gnostiques. Les manuscrits coptes de Nag Hammadi et de Berlin

Une publication tant attendue!!!

Evangile de Thomas, le Livre des Secrets de Jean, etc.

"Victimes du temps et des hommes, les textes gnostiques ne furent longtemps accessibles qu’à travers les citations ou les résumés des Pères de l’Église (IIe-IVe s.), acharnés à les combattre. Tout changea en 1945, lorsqu’on découvrit dans une jarre, à Nag Hammadi (Haute-Égypte), douze livres reliés en cuir et plusieurs feuillets d’un treizième, au total près de 1200 pages de papyrus. Il devint vite évident qu’on avait retrouvé, en traduction copte, toute une bibliothèque gnostique.

On connaissait enfin la rédaction complète de plusieurs écrits discutés par les philosophes néoplatoniciens et les hérésiologues chrétiens, l’Évangile de vérité, attribué à Valentin, le Livre des secrets de Jean, résumé par Irénée, ou le célèbre Évangile de Thomas, qui contient une très ancienne collection des paroles de Jésus. Ce volume offre la première traduction française intégrale des textes retrouvés à Nag Hammadi, complétés par ceux, en partie parallèles, du manuscrit de Berlin. Ces quarante-huit traités sont de genres très divers : apocalypses, évangiles et actes apocryphes, dialogues de révélation, homélies, rituels initiatiques, catéchèses ou exposés didactiques. Plusieurs courants sont identifiables. Les « séthiens » ne voient en ce monde matériel que l’œuvre mauvaise d’un archonte ignorant et pervers, d’où l’homme doit être délivré par la gnose de l’Esprit invisible et le baptême des cinq sceaux ; les « valentiniens » tempèrent ce dualisme et justifient la création du monde par un plan salutaire du Premier Père ; d’autres milieux sont encore plus syncrétiques, comme celui d’où provient la Paraphrase de Sem, qui annonce le manichéisme. À ce noyau purement gnostique s’ajoutent plusieurs écrits gnomiques, ascétiques ou hermétiques, récupérés et réinterprétés par les adeptes de la gnose. Polymorphe par essence, le gnosticisme n’a jamais constitué une religion institutionnelle disposant d’un dogme fixe et d’une organisation hiérarchisée. Les gnostiques rejettent toute autorité contraignante. À l’exposé abstrait, ils préfèrent le mythe. Les rituels qu’ils préconisent n’opèrent pas seulement par la forme, mais par la ferveur visionnaire. Loin d’être des hérésies chrétiennes, leurs doctrines s’enracinent dans des traditions qui remontent à divers courants attestés dans le judaïsme. Le rapprochement avec le christianisme n’est venu que plus tard et progressivement, lorsque des cercles gnostiques se sont épanouis à la périphérie ou même à l’intérieur des Églises chrétiennes locales, qui fonctionnaient alors comme des cellules autonomes. Qu’est-ce que la gnose dont ils se réclament ? C’est le pouvoir de recouvrer la gloire et la science du premier homme rayonnant de la ressemblance divine. La voie qui mène à cette connaissance primordiale passe tout à la fois par la tradition authentique des grands ancêtres, gratifiés de révélations secrètes, et par l’intuition spirituelle de chacun, qui permet de les retrouver et de s’identifier à eux. Exploration de la conscience et quête des livres disparus sont les deux faces indissociables d’une même remontée vers l’être. Se connaître soi-même, c’est aussi bien connaître Dieu et le chemin de l’ascension, inverse de la déchéance d’ici-bas." (présentation de l'éditeur)

Collection Bibliothèque de la Pléiade
1920 pages

65 € jusqu'au 31 mars 2008 et 72,50 € à partir du 1er avril 2008



Paroles secrètes
par Philippe SOLLERS

En décembre 1945, à 130 kilomètres de Louxor, des paysans égyptiens tombent soudain sur des papyrus enfouis là depuis la fin du IVe siècle: le trésor de Nag Hammadi, une bibliothèque gnostique. Un an plus tard, à Qumran, ce sont les manuscrits dits de la mer Morte qui sont mis au jour. Enfin, un peu plus tôt, la grotte de Lascaux surgit dans toute sa splendeur millénaire. Pourquoi rapprocher ces événements? Parce qu’ils semblent défier la grande catastrophe de la première moitié du XXe siècle, comme une insurrection vibrante du temps.

Gnose, en grec, veut dire «connaissance». Un gnostique est donc un «connaissant», c’est-à-dire quelqu’un qui pense que le salut passe par une expérience directe de la divinité l’arrachant à la mort. Vous ouvrez ces textes éblouissants, et ils vous parlent ouvertement, mais aussi de façon cachée, d’une extraordinaire bonne nouvelle à comprendre, ici, tout de suite, comme dans un éternel présent. Ce sont des évangiles: Evangile selon Thomas, Evangile selon Philippe, Evangile de la Vérité, et bien d’autres. Ils ont été assez vite rejetés en dehors des Evangiles dits canoniques (les quatre), et déclarés «hérétiques», on comprend vite pourquoi. S’il est juif, le gnostique est déjà hétérodoxe; s’il est grec, il s’oppose à la philosophie et à toute valorisation du cosmos; s’il est chrétien, il ne rentre pas dans le rang, il tient la Loi, la foi, les œuvres et les règles pour des valeurs inférieures et communautaires bonnes pour les simples croyants.

Le gnostique ne veut pas «croire», mais connaître. Il pense qu’il a été jeté dans ce monde par erreur, par oubli de sa propre identité lumineuse, qu’il est donc en captivité, en prison, du fait de la génération qui s’oppose à une régénération. Il met en question un «dieu jaloux», un démiurge qui a pris la place du vrai Père, lequel n’a été révélé que par son Fils dans sa mort et sa résurrection. Jésus est le Vivant et voici sa première «parole cachée»: «Celui qui trouvera l’interprétation de ces paroles ne goûtera pas la mort.» Si on demande au gnostique d’où il vient, il peut répondre: «Je suis né de la lumière, là où la lumière s’est produite d’elle-même.» Rien que ça. On voit la prétention.

Inutile de dire que ces étranges solitaires (parfois regroupés en communautés, vite dispersées ou dissoutes) ont été persécutés, réprimés, moqués, méprisés, sans cesse attaqués et parfois tués. Quand ils enterrent leurs livres, en Egypte, leur sort est réglé, mais presque deux mille ans après c’est comme s’ils étaient là, près de vous, à travers les foules. «Je suis un son qui résonne doucement existant depuis le commencement dans le silence. » Ou bien: «J’entends avec ma force de lumière.» Ou bien ce début de l’Evangile de la Vérité : «Joyeuse est la Bonne Nouvelle de la Vérité pour ceux qui ont reçu de la part du Père de la Vérité la grâce de le connaître, par la puissance de la Parole qui émane de la plénitude – Parole qui résidait dans la Pensée et dans l’Intelligence du Père. C’est elle qui est dénommée “Sauveur”, car tel est le nom qu’elle devait accomplir pour le salut de ceux qui en sont venus à ignorer le Père, tandis que le nom de Bonne Nouvelle est la révélation de l’espoir puisque, pour ceux qui sont à sa recherche, il signifie la découverte.»

Puissance de la parole: c’est elle qui réveille et fait signe vers la lumière, c’est-à-dire vers la plénitude, le royaume, le paradis vrai. L’erreur est née d’une déficience, d’une usurpation perturbatrice, de l’angoisse et de la peur produisant un «brouillard». La condition mortelle est une question d’ignorance et d’oubli. Le gnostique, en revanche, veut remonter à sa propre source, se connaître lui-même comme étant beaucoup plus précieux que sa propre personnalité abusée, falsifiée, par toute une bureaucratie céleste et humaine, trop humaine. Le monde, la société sont un cadavre, et celui qui a identifié ce cadavre, le Mal lui-même, est sauvé, on peut même dire qu’il ressuscite sur place. La gnose est ainsi la science d’un nouveau temps, ni cyclique ni linéaire, un temps de saisissement et de foudre que connaissent les «pneumatiques», c’est-à-dire les spirituels, alors que les «hyliques» se traînent dans la matière et les «psychiques» dans un milieu flottant. Pas de milieu pour le gnostique, il va aux extrêmes, il ne s’agit pour lui ni de psychologie ni de morale (il peut vivre dans l’ascétisme comme dans la débauche, le problème n’est pas là). Il veut se rassembler, s’unifier, être vivant issu du Vivant, rejoindre le commencement: «Heureux celui qui se tiendra dans le commencement, et il connaîtra la fin, et il ne goûtera pas de la mort.» Ce qui résonne ici, à l’encontre de toutes les conventions (travail, règles communes, richesses, report au lendemain), est une urgence passionnée, comme dans cette prière de l’apôtre Paul: «Sauveur, sauve-moi, car moi je suis à toi, je suis issu de toi. Tu es mon intellect, engendre-moi. Tu es mon trésor, orne-moi. Accorde-moi ce qui est parfait, ce qu’on ne peut pas saisir.» Prière pathétique de ré-engendrement par l’Intellect qui fait du gnostique quelqu’un qui devient ce qu’il est, ce qu’il n’a jamais cessé d’être. « Bienheureux celui qui est avant d’avoir été. Car celui qui est a été et sera.»

On a donc appelé «hérétiques» ces témoins de la vérité vivante. Qu’ils aient été rejetés comme «élitistes», cela va de soi. Cependant, on retrouve leur marque partout, dans la mystique, mais aussi dans la philosophie, par exemple chez Spinoza et son célèbre «Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels». Leur cheminement souterrain passe par l’hermétisme, l’alchimie, la Kabbale. On les entend chez Copernic, Kepler et Newton, ils sont là à la Renaissance, très visibles dans «la Flûte enchantée» de Mozart, dans la franc-maçonnerie et le romantisme, chez Nietzsche, Kafka, Joyce, Bataille, Artaud et aujourd’hui, dans notre basse époque de décadence spectaculaire, sous des masques divers au dehors, ou dans les nouvelles catacombes. Qui a dit: «Le devenir-falsification du monde est un devenir-monde de la falsification»? Le gnostique Debord. Mais écoutons encore l’Evangile selon Philippe: «Ce monde est un mangeur de cadavres. Aussi tout ce qu’on y mange est mortel. La vérité est une mangeuse de vie, voilà pourquoi aucun de ceux qui sont nourris de vérité ne mourra.» Ou encore l’Evangile d’Eve: «Je suis toi et tu es moi, et, où que tu sois, moi je suis là, et je suis en toutes choses disséminé, et d’où que tu le veuilles tu me rassembles, et, en me rassemblant, tu te rassembles toi-même."

Les Cathares


CATHARES
Histoire et philosophie cathare



Le dualisme chrétien trouve ses fondements dans la philosophie de Paul de Tarse. Son disciple, Marcion de Sinope, montre l’irréductible opposition des deux concepts de Dieu portés par la vieille Bible et par l’Evangile. Son Eglise spirituelle s’étend de l’Orient à l’Occident dès le IIème siècle, jusqu’à tendre le relais à la nouvelle Eglise des bons chrétiens (les cathares) et disparaître au XIème siècle.

Nous proclamons qu’une telle vision du monde est toujours vivante au XXIème siècle et qu’un questionnement semblable progresse dans les sciences et les consciences.

Dieu n’a pas de réalité dans le monde. Il est absent et n’est pas opposable. Pourtant, l’idée de Dieu purifiée se révèle dans les esprits. Cette purification est un chemin de vérité qui passe par la réalité des faits et la logique du discours. Toute lecture des textes fondateurs doit s’appuyer sur la méthode historico-critique qui invalide les raisonnements théologiques.

La vieille Bible montre un Dieu législateur attaché aux valeurs mondaines, tandis que l’Evangile dévoile un Dieu détaché du monde.

Paul élabore l’idée de deux créations :

- le Dieu biblique crée un homme instinctif et passionné, issu du règne animal;
- le Christ crée un fils d’homme, issu du règne de l’esprit, capable du discernement de conscience. Il n'annonce pas la régénération de la chair, mais le rebut.

Le monde fondamentalement mauvais dans lequel nous vivons appartient au Diable. Le mal – qui n’est, tout simplement, que ce qui fait mal – est premier et le bien ne vient jamais que soulager l’excès de mal. Le dualisme oppose la non-violence à la violence. Vu que le mal est intrinsèquement lié à la vie, pourquoi imaginons-nous un Dieu créateur de toute bonté ? Il y a là une sorte d’attachement affectif qui nous relie au Diable comme l’esclave à son maître.

La philosophie cathare est une philosophie de libération qui renverse la perspective commune. Elle rencontre, dans la société humaine, une difficulté aussi grande que celle de Galilée qui cherchait à démontrer que l’évidence était pourtant l’erreur.


Jésus le nazaréen proclama le règne de Dieu. A l’image des prophètes d’Israël, il avait la vision d’une terre sainte, sans violence ni sacrifices sanglants, où chacun connaîtrait l’impératif de la loi d’amour inscrit dans sa conscience. Les guérisons qu’il obtenait témoignaient que le règne était inauguré. Elles attestaient le pardon des péchés et donnaient à voir les prémisses de la société nouvelle. Mais le règne dont il se voulait le serviteur n’emportait pas l’adhésion des courants messianiques. La non-violence n’était pas leur vertu. Ils le livrèrent aux pouvoirs établis et à l’armée romaine.
Les disciples qui avaient cru en Jésus virent s’effondrer l’avenir qu’il leur avait promis. Mais par quelque mystère qui tient aux hommes plus qu’à Dieu, ils jurèrent avoir vu le Christ ressuscité. Puisant leur inspiration chez le prophète Daniel, ils bâtirent leur nouvelle espérance sur son retour glorieux. Mais les générations passaient et l’attente semblait vaine. Une lecture attentive des évangiles découvre les contreforts théologiques qui maintenaient l'espoir en ce jour qui devait arriver. Les évangélistes entremêlèrent habilement l’espérance du règne que portait Jésus à celle de la parousie en laquelle les communautés primitives voulaient croire.

Deux mille ans après, peu de chrétiens attendent encore l’édification du règne de Dieu ou le retour du Christ pour le salut de tous. Les savants relisent les évangiles en regard des sciences. La critique historique repère les différentes strates de rédaction. Elle examine les paroles et les actes du nazaréen pour séparer l’authentique de la composition. Elle dévoile les intentions théologiques des évangélistes. Le christianisme classique révèle une construction de la pensée humaine qui s’adosse aux événements remarquables qui se déroulèrent au 1er siècle en Galilée et en Judée.
Apparu à Antioche de Syrie quelques années après le drame de la croix, le christianisme présentait une diversité de croyances. Dans ce bouillonnement de pensées, Paul de Tarse élabora une philosophie puissante. Elle tirait les conséquences de l’exécution de Jésus et proclamait la valeur rédemptrice de son enseignement. Elle constituait les fondements d’une vision dualiste du monde sur lesquels Marcion de Sinope allait s’appuyer pour montrer l’irréductible opposition des concepts de Dieu soutenus par la vieille Bible et par l’Evangile.

Les cathares du moyen âge se classent indéniablement dans la filiation philosophique et religieuse de Marcion. L’Eglise non-violente fondée par le fils de l’évêque de Sinope se déploya de l’Orient à l’Occident dès le IIème siècle. Elle ne devait disparaître, en tant que telle, qu’au cours du XIème siècle, alors qu’apparaissait le mouvement des bons chrétiens (les cathares) dont l’histoire n’a retenu que quelques bribes caricaturales de croyances. L’Eglise martyre qui tenta de se développer dans les comtés de Toulouse, de Carcassonne et de Foix aux XIIème et XIIIème siècles, témoignait des valeurs évangéliques de vérité et de non-violence. Elle fut malheureusement brisée par la terrible croisade sans que son annonce ne fût portée par une grande intelligence.
Nous ne pouvons comprendre le fond de la pensée des cathares si nous n’entrons pas dans l’histoire religieuse de la Judée, si nous ignorons les enjeux du christianisme primitif. Les bons chrétiens du Moyen Age lisaient les évangiles en langue occitane et quelques rares écrits apocryphes parvenus jusqu’à eux. Ils cherchaient à connaître le Christ et à partager son esprit. Mais ils ne savaient rien de l’origine du christianisme. Ils n’avaient en main ni les manuscrits esséniens de la mer Morte, ni les manuscrits gnostiques de Nag-Hammadi. Cathares d’aujourd’hui, notre esprit n’est pas plus pur que l’était le leur, mais notre savoir est bien plus large. Notre devoir est de revisiter le christianisme et de relire les évangiles à la lumière des connaissances nouvelles.

Nous n’attendons plus l’avènement du règne de Dieu, ni la parousie du Christ à Jérusalem. Nous croyons cependant que le christianisme reprend sens par une lecture authentique des évangiles et par un nouvel attachement au vrai visage de Jésus. Il s’agit d’un renversement de croyance. Si Dieu n’a pas de réalité dans le monde, l’idée de Dieu purifiée se révèle dans les esprits. Cette purification est un chemin de vérité qui passe par la réalité des faits et la logique du discours. Nous voyons que la vieille Bible montre un dieu législateur attaché aux valeurs mondaines, tandis que l’Evangile dévoile un dieu détaché du monde. Paul a résolu la contradiction par l’idée de deux créations : le Dieu biblique crée un homme instinctif et passionné, issu du règne animal ; le Christ crée un fils d’homme, issu du règne de l’esprit, capable du discernement de conscience. Il n’annonce pas la régénération de la chair, mais le rebut.
Nous voyons que le monde fondamentalement mauvais dans lequel nous vivons appartient au Diable. Le mal – qui n’est, tout simplement, que ce qui fait mal – est premier et le bien ne vient jamais que soulager l’excès de mal. Le dualisme bien compris oppose la non-violence à la violence. Vu que le mal est intrinsèquement lié à la vie, nous nous demandons pourquoi l’homme imagine un dieu créateur de toute bonté. N’y a-t-il pas là une sorte d’attachement affectif qui le relie au Diable comme l’esclave à son maître ? Ce questionnement nous situe dans la tradition paulinienne où nous retrouvons le christianisme de Marcion de Sinope et des cathares d’Occitanie.

Nous témoignons que les flammes des bûchers n’ont jamais brûlé les pensées. Une espérance nouvelle germe dans les multitudes qui pérégrinent par les sentiers escarpés des hauts lieux de la pensée cathare. Nos moyens de communication nous relient aux chrétiens en quête de sens et aux croyants cathares d’Europe et d’Occident. Un large réseau se forme dans l’entrelacement des échanges et des fils qui se nouent. La Bastida dels catars est la première maison de consolation (dans la tradition du Moyen Age) où les nouveaux cathares se rencontrent. Notre christianisme n’est pas dogmatique. Il s’agit d’abord d’un questionnement qui a pour origine la vision douloureuse du monde. Il suscite la compassion. Il s’agit ensuite de pratiquer le pur amour (la non-violence), afin d’éviter d’ajouter à la souffrance existentielle des hommes et des vivants. Il s’inscrit dans la simplicité de vie. Et chacun de nous se hâte à son rythme, sur le même chemin, vers le dieu inconnu.

En 1309, le dernier cathare revêtu et martyr, Guillaume Bélibaste, prophétisait : « Au bout de sept cents ans le laurier reverdira… »

Source
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La cabale

"Les rites qui font Dieu"

Pratiques religieuses et efficacité théurgique dans la cabale, des origines jusqu'au milieu du XVIIIème siècle, tel est le sujet d'étude de cet ouvrage. Première monographie entièrement consacrée à la signification et à la fonction des observances religieuses (ta'amé hamitsvot), ce livre rassemble en traduction française les écrits d'une centaine de cabalistes, présentés et expliqués dans l'ordre chronologique, école par école, auteur par auteur. Un des apports les plus originaux des cabalistes a été le développement d'une pensée de la pratique et des oeuvres qui attribue à celles-ci un pouvoir sur la création et sur le monde divin, pouvoir si extraordinaire qu'il est même capable de «faire Dieu». Les systèmes de pensée élaborés par les cabalistes pour rendre compte de cette puissance des actes des hommes se sont déployés en mêlant certains concepts issus du néoplatonisme tardif et de sa théurgie aux croyances bibliques et aux exégèses rabbiniques anciennes. Cette fusion entre certains aspects de la pensée des derniers philosophes de la fin de l'Antiquité et de la tradition juive a été d'une très grande fécondité puisqu'elle a suscité une immense littérature qui s'est proposé d'élucider les «secrets de la Torah». Cette part essentielle de la pensée juive, très souvent ignorée et parfois même rejetée comme intrusion étrangère et inauthentique, se trouve au coeur de la conception théologique et anthropologique de quelques maîtres parmi les plus éminents de l'histoire du judaïsme.

La cabale réhabilitée

Plus que jamais la tradition théosophique juive née en Provence il y a environ sept siècles, connue sous le nom de cabale, attire philosophes et savants. Certains épistémologues veulent même y déceler une source du formalisme scientifique moderne, comme Henri Atlan, récemment encore, dans sa préface au Golem de Moshé Idel (Cerf). Pourtant, si la cabale fascine, à l'heure où les religions institutionnelles affrontent en Occident la crise de désaffection la plus grave de leur histoire, évoquée dans la dernière livraison de la revue le Débat, n'est-ce pas plutôt parce qu'on la compte au nombre des sciences occultes ? Paradoxalement, l'oeuvre considérable de l'érudit israélien d'origine allemande Gershom Scholem (disparu à Jérusalem il y a une dizaine d'années), à qui le " public cultivé " doit de connaître l'étendue et la complexité du corpus cabalistique, n'a pas peu contribué à entretenir l'image d'une doctrine confinée dans les marges de la foi officielle, tradition noire, voire matrice des hérésies qui émaillent l'histoire juive... Le livre de Charles Mopsik représente de ce point de vue la première lecture " post-scholemienne " d'importance de la cabale, en français. Son auteur met entre les mains du lecteur des textes dont certains sont imprimés pour la première fois (les manuscrits de Yohanan Alemanno, le maître et ami de Pic de la Mirandole, conservés à la Bibliothèque nationale, attendent encore leur édition...). Ceux qui ont pratiqué ce genre de littérature ne pourront que saluer la prouesse d'un spécialiste qui a su non seulement traduire mais aussi rendre lisibles des écrits rédigés en araméen ou en hébreu médiéval, à l'ésotérisme souvent déroutant. Il ne s'agit pas pour autant d'une simple anthologie _ comme le titre le laisse trop modestement penser. Ces " grands textes de la cabale " sont insérés dans la trame d'un discours qui les rassemble, les analyse et les commente autour d'une thèse : celle d'une cabale conçue d'abord comme une réflexion moins mystique que philosophique sur le sens et l'efficacité des pratiques religieuses. Un des principaux objets de la cabale, pour Charles Mopsik, est en effet de montrer comment, par le rituel, l'homme est capable d'agir sur Dieu lui-même. Dieu, dans la cabale, n'est plus le Dieu impersonnel et tout-puissant des théologies classiques. L'homme a sur Lui une efficace. La créature est même investie d'une responsabilité cosmique qui consiste à " réparer " le dommage provoqué chez le Créateur par l'irruption du mal. En somme, il appartient à l'homme de " faire Dieu ". C'est ce que Charles Mopsik, à la suite d'autres spécialistes, appelle la fonction " théurgique " de la cabale. Empressons-nous de dire que cette croyance en une efficace de la prière humaine sur le plérome divin n'a pas fait, loin s'en faut, l'unanimité dans le judaïsme. Dès les premiers temps, ces théories furent vivement combattues, dans la ville même d'un des premiers cabalistes, Isaac l'Aveugle, par le rabbin Meir Ben Siméon de Narbonne, pour qui le culte ne pouvait avoir d'autre rôle qu'éducatif. L'utilisation par Charles Mopsik du terme " théurgie " puisé au vocabulaire de la dernière philosophie antique, le néoplatonisme, représente plus qu'un simple emprunt terminologique. La parenté entre le néoplatonisme (de Proclus et de Jamblique) et la cabale est pour lui de l'ordre du fait. Comme si, au-delà de la traditionnelle rupture entre philosophie et mystique, il était possible d'établir l'existence d'une source platonicienne cachée de la pensée religieuse _ persistance d'une " spiritualité platonisante " dont Charles Mopsik suggère, trop rapidement, qu'elle n'est pas le fait du seul judaïsme, puisqu'il la retrouve aussi bien chez le chrétien Jean Scot Erigène (vers 810-880) qu'en islam, avec le théosophe Mohyyidin Ibn Arabi (1165-1240)... Attribuer une origine néoplatonicienne à la cabale ne signifie cependant pas la rapprocher du paganisme, mais bien de la rationalité philosophique. L'opposition traditionnelle entre la philosophie juive, symbolisée par l'aristotélicien Maïmonide (XII siècle), et la cabale, entendue comme un mysticisme irrationnel dans son principe, doit être dépassée. Si la cabale s'oppose à Maïmonide, c'est comme une philosophie à une autre (philosophie tout de même profondément travaillée par la pensée religieuse). L'une s'inspire d'Aristote, l'autre de Platon. On est donc loin de Scholem, accusé par Charles Mopsik dans un numéro récent de la revue Pardès (" Loi et Liberté ") d'avoir commis " un grave contresens à l'origine du dédain que les chercheurs ont généralement manifesté à l'encontre de l'étude des théories cabalistiques ". Aujourd'hui, un certain nombre d'hypothèses émises par Scholem sont en cours de révision. Scholem avait par exemple crut repérer dans l'enseignement du cabaliste Isaac Louria (1534-1572) le ferment idéologique d'une des plus graves crises internes du judaïsme historique : l'équipée du faux messie Sabbataï Tsevi. Confusion sur les rites magiques Ce curieux personnage de l'Empire ottoman du XVII siècle s'était proclamé roi-messie, avant de se convertir à l'islam en 1666. Le destin de ce genre d'hérésiarque occupa Scholem, qui lui consacra une longue étude (traduite également chez Verdier). A sa suite, les historiens prirent l'habitude d'associer systématiquement cabale et déviance messianisante, oubliant parfois que _ comme le montre Charles Mopsik _ certains cabalistes, disciples d'Isaac Louria, comme Moïse Hayim Louzzatto, comptèrent parmi les critiques les plus véhéments des apostats sabbatéens. L'inconsistance historique du lien entre lourianisme et hérésie sabbatéenne a récemment été établie par le successeur même de Gershom Scholem à l'université hébraïque de Jérusalem, Moshé Idel. Désormais, les études cabalistiques savantes tendent plutôt à " désenclaver " la cabale des marges de la religion, où la recherche érudite l'avait confinée jusque-là. Autre confusion entretenue par Gershom Scholem : celle des pratiques cabalistiques et des rites magiques. La magie, précise Charles Mopsik, est un ensemble d'actes ayant une visée surnaturelle sans lien avec les valeurs ni les préoccupations de la religion instituée et marginale par essence. La théurgie cabalistique vise au contraire, en l'animant, à jouer un rôle central dans le système religieux. Au vue de l'importance des réévaluations auxquelles Charles Mopsik se livre, le lecteur ne peut qu'être frustré face aux dérobades de l'auteur devant l'établissement historique de cette parenté entre philosophie néoplatonicienne et théurgie cabalistique. Il est vrai que celui-ci se situe dans une perspective délibérément philosophique et se borne à constater la coïncidence entre les deux systèmes de pensée. Tout au plus indique-t-il quelques directions. Par exemple, la possibilité d'un " héritage commun " en amont de Proclus et de Plotin, dans une rencontre " orientale " entre le " moyen platonisme " et la tradition biblique (chez le contemporain syrien de Marc Aurèle Numénius d'Apamée). Les circulations complexes entre les derniers philosophes du paganisme et la théosophie juive restent donc à être mises en lumière. Outre l'édition de textes, c'est l'immense tâche qui attend les chercheurs. En attendant que les bibliothèques qui s'ouvrent peu à peu en Russie, où resurgissent des écoles cabalistiques dont l'existence n'avait pas même été soupçonnée, aient achevé de livrer leurs mystères. Les problématiques de la cabale n'en paraissent pas moins bien éloignées de l'homme moderne (et ainsi sont-elles apparues au fondateur de l'historiographie juive contemporaine, au XIX siècle : Henrich Gratz). On peut néanmoins se demander si cette prise au sérieux extrême de la relation entre l'homme et Dieu, caractéristique de la théurgie cabalistique, n'offre pas une autre voie au juridisme, moraliste ou politique, des religions institutionnelles, travaillées par l'intégrisme ou par la simple indifférence. Tel serait alors un autre secret de l'attrait qu'exerce, encore à la fin du XX siècle, cette philosophie juive du Moyen Age.

WEILL NICOLAS

Eckhart Tolle

Eckhart Tolle
Frémissements à la surface de l'Etre

"Lorsque la transformation intérieure s'est produite voici plusieurs années," dit Eckhart Tolle dans cet entretien, "on pourrait presque dire qu'un certain équilibre a été rompu. J'éprouvais une telle satisfaction et une telle extase à simplement être que j'avais perdu tout intérêt à agir." Pourtant l'ermite s'est fait enseignant spirituel et s'est engagé pleinement dans cette tâche. Eckhart Tolle exprime dans cet entretien ce qu'est pour lui l'équilibre entre l'immobilité de l'être et l'action dans le monde.

Entretien mené par Andrew Cohen


ANDREW COHEN: Eckhart, à quoi ressemble votre vie ? J'ai entendu dire que vous vivez comme un ermite et que vous passez beaucoup de temps dans la solitude. Est-ce vrai?

ECKHART TOLLE: C'était vrai dans le passé, avant que mon livre Le pouvoir du moment présent (Éditions Arianne) ne paraisse. Pendant plusieurs années, j'étais un ermite. Mais depuis la parution du livre, ma vie a changé radicalement. Je passe désormais beaucoup de temps à enseigner et à voyager. Les personnes qui me connaissaient auparavant me disent : " C'est incroyable. Vous étiez ermite et maintenant vous êtes dans le monde ". Pourtant, je sens toujours qu'à l'intérieur rien n'a changé. Je me sens le même qu'auparavant. Il y a toujours cette impression continue de paix, et je me suis rendu au fait que sur le plan extérieur le changement est total. Il n'est donc plus vrai que je suis un ermite. Je suis désormais l'opposé d'un ermite. Il se peut que ce soit un cycle, qu'à un certain moment il se termine et que je redevienne ermite, mais actuellement je me suis rendu au fait d'être en relation avec d'autres personnes presque constamment. De temps en temps, je prends le temps d'être seul. Cela m'est nécessaire entre deux sessions d'enseignement.

AC: Pourquoi ressentez-vous le besoin d'être seul, et que se passe-t-il lorsque vous prenez le temps d'être seul ?

ET: Lorsque je suis avec les gens, je suis un enseignant spirituel. C'est ma fonction mais ce n'est pas mon identité. Dès que je suis seul, ma plus grande joie est de n'être personne, d'abandonner la fonction temporaire d'enseignant. Si je rencontre un groupe de personnes, eh bien, dès qu'ils me quittent, je cesse d'être un enseignant spirituel. Il n'y a plus alors de sentiment d'identité extérieure. J'entre simplement plus profondément dans l'immobilité. L'immobilité est le lieu que je préfère. Ce n'est pas qu'elle cesse d'être présente lorsque je parle ou enseigne, dans la mesure où les mots émergent d'elle, mais lorsque les gens me quittent, il ne reste que cela, l'immobilité. Et j'aime tellement cela.

AC: Iriez-vous jusqu'à dire que vous préférez cela ?

ET: Préférer n'est pas le bon mot. Il y a désormais un équilibre dans ma vie qui n'était pas forcément là auparavant. Lorsque la transformation intérieure s'est produite voici plusieurs années, on pourrait presque dire qu'un certain équilibre a été rompu. J'éprouvais une telle satisfaction et une telle extase à simplement être que j'avais perdu tout intérêt à agir ou à entrer en relation avec d'autres. Pendant un certain nombre d'années, j'étais absorbé dans le fait d'Etre. J'avais presque complètement renoncé à l'action, si ce n'est pour me maintenir en vie et même cela tient du miracle. L'avenir m'était devenu totalement indifférent. Et puis, progressivement, un équilibre s'est rétabli. Il ne s'est vraiment complètement rétabli qu'après que j'ai commencé à écrire le livre. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir trouvé un équilibre entre la solitude et la relation avec les autres, entre Etre et agir, alors qu'auparavant l'action était suspendue et il n'y avait qu'Etre. Serein, profond et merveilleux même si, vu de l'extérieur, beaucoup pensaient que j'avais perdu l'équilibre ou que j'étais devenu fou. Fou d'avoir abandonné toutes les choses de ce monde que j'avais " réussies ". Ils ne comprenaient pas que je ne souhaitais ni n'avais besoin de cela désormais. L'équilibre existe donc aujourd'hui entre la solitude et la relation avec les autres. Et c'est bien ainsi. Je suis très attentif au fait de maintenir cet équilibre. Il y a un appel à faire de plus en plus. On souhaite m'écouter ici ou là, les demandes sont constantes. Je sais qu'il me faut désormais être attentif à ce qu'un équilibre ne soit pas rompu et à ne pas me perdre dans l'action. Je doute que cela arrive, mais cela demande un certain degré de vigilance.

AC: Que pourrait signifier se perdre dans l'action ?

ET: J'imagine que si je devais constamment voyager, enseigner et rencontrer des gens, peut-être alors qu'à un certain point, le flot et l'immobilité cesseraient d'être présents. C'est difficile à prévoir, peut-être persisteraient-ils. Ou bien peut-être m'épuiserais-je physiquement. Aujourd'hui, je sens qu'il me faut périodiquement retourner à l'immobilité pure. Et lorsque l'enseignement se produit, simplement le laisser émerger de l'immobilité. L'enseignement et l'immobilité sont très étroitement reliés. L'enseignement émerge de l'immobilité. Mais lorsque je suis seul, seul demeure l'immobilité, et c'est mon lieu préféré.

AC: Lorsque vous êtes seul, passez-vous beaucoup de temps physiquement immobile ?

ET: Oui, je peux parfois rester assis deux heures dans une pièce sans presque aucune pensée. Dans l'immobilité la plus totale. Parfois aussi, lorsque je me promène, l'immobilité totale est présente, sans aucun étiquetage mental des perceptions sensorielles. Il ne reste qu'un sentiment d'émerveillement sacré et d'ouverture, et cela est merveilleux.

AC: Dans votre livre, Le Pouvoir de l’Instant Présent (Éditions Arianne), vous affirmez que " la finalité ultime du monde ne se trouve pas dans le monde mais dans la transcendance de celui-ci. " Pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire ?

ET: Transcender le monde ne signifie pas se retirer du monde, cesser d'agir ou d'être en relation avec d'autres. Transcender le monde, c'est agir et interagir sans qu'il y ait recherche de soi. En d'autres termes, cela consiste à agir sans chercher à améliorer l'image que l'on a de soi-même à travers ses actions et ses interactions avec les autres. Ultimement, cela signifie ne plus avoir besoin de l'avenir pour trouver sa complétude ou son identité. On cesse de chercher à travers l'action, on cesse de chercher à améliorer, accomplir ou renforcer son sentiment de soi. Lorsque cette recherche cesse, alors on peut être dans le monde tout en n'étant pas de ce monde, on a cessé de chercher quelque chose au dehors auquel s'identifier.

AC: Voulez-vous dire que l'on a cessé d'avoir une relation égocentrique et matérialiste au monde ?

ET: Oui, on cesse de chercher à acquérir un sentiment de soi, un sentiment de soi plus profond, plus accompli. Dans l'état normal de conscience, ce que les individus recherchent à travers leur activité, c'est à être plus eux-mêmes. D'une certaine façon, le voleur de banque recherche cela. Il en est de même pour la personne qui recherche l'éveil parce qu'elle cherche à atteindre un état de perfection, un état de complétude, de plénitude à un moment dans le futur. Elle cherche à gagner quelque chose à travers ses activités. Les gens recherchent le bonheur, mais ce qu'ils recherchent vraiment c'est eux-mêmes ou bien Dieu, cela revient au même. Ils se cherchent, mais ils cherchent là où ils ne pourront jamais se trouver, dans l'état normal de conscience non éveillée, parce que l'état de conscience non éveillée est toujours sur le mode de la recherche. Cela veut dire qu'ils sont de ce monde - dans le monde et de ce monde.

AC: Vous voulez dire qu'ils projettent dans le temps ?

ET: Oui, le monde et le temps sont intrinsèquement liés. Lorsque toute recherche de soi dans le temps cesse, alors on peut être dans le monde sans être de ce monde.

AC: Que voulez-vous dire exactement lorsque vous dites que la finalité du monde se trouve dans la transcendance de celui-ci ?

ET: Le monde promet la plénitude quelque part dans le temps ; et on assiste à un mouvement continuel à la poursuite de cette perfection dans le temps. A de nombreuses reprises, on pressent qu'on est enfin arrivé et puis on se dit que non, finalement ce n'est pas encore ça, et on continue la course en avant. C'est exprimé merveilleusement dans le livre A Course in Miracles où il est dit que le dictât de l'ego est " Cherche mais ne trouve pas. " Les gens recherchent leur salut dans le futur mais le futur n'arrive jamais. Ultimement, donc, la souffrance surgit du fait qu'on ne trouve pas, et c'est le début de l'éveil lorsqu'on commence à pressentir qu'on s'est trompé de direction et qu'on n'atteindra peut-être jamais ce que l'on s'efforce d'atteindre ; que peut-être cela ne se situe pas du tout dans le futur. Après s'être égaré dans le monde, soudain, du fait de la pression exercée par la souffrance, on commence à comprendre qu'on ne trouvera peut être pas les réponses qu'on recherche au dehors, à travers la réussite terrestre et dans le futur. Pour beaucoup de personnes, il est important d'en arriver là, à ce moment de crise profonde où le monde tel qu'on l'a connu, et le sentiment de soi qui est identifié au monde, perdent toute signification. C'est ce qui m'est arrivé. J'étais à deux doigts du suicide, et puis quelque chose d'autre s'est produit, la mort du sentiment de moi qui vivait à travers des identifications, identifications avec mon histoire, avec les choses autour de moi, avec le monde. A ce moment, quelque chose a émergé en moi qui était une sensation profonde et intense d'immobilité, de vie et d'être. Plus tard, j'ai appelé cela " présence ". J'ai réalisé qu'au delà des mots cela est ce que je suis. Mais cette réalisation n'était pas un processus mental. J'ai compris que cette immobilité profonde et si vibrante de vie est ce que je suis. Des années après, j'ai appelé cette immobilité " conscience pure ", alors que tout ce qui n'est pas cela est conscience conditionnée. Le mental humain est la conscience conditionnée ayant pris forme en tant que pensée. La conscience conditionnée est le monde créé par le mental conditionné. Tout est notre conscience conditionnée. Même les objets. La conscience conditionnée a pris naissance en tant que forme pour ensuite devenir le monde. Se perdre dans le conditionné semble être nécessaire aux êtres humains. Cela semble faire partie de leur chemin que de se perdre dans le monde, de se perdre dans le mental qui est la conscience conditionnée. Par la suite, du fait de la souffrance qui découle de ce que l'on est perdu, on découvre l'inconditionné en tant que soi-même. C'est pour cela qu'on a besoin du monde pour le transcender. Je suis donc infiniment reconnaissant d'avoir été perdu. Au bout du compte, la finalité du monde, c'est de nous y perdre, d'y souffrir, de créer la souffrance qui semble être nécessaire pour que l'éveil se produise. Et puis, lorsque l'éveil survient, on réalise en même temps que la souffrance n'est désormais plus nécessaire. On a atteint la fin de la souffrance parce qu'on a transcendé le monde. C'est cette position qui est libre de la souffrance. Tout le monde semble suivre cette voie. Ce n'est peut-être pas le chemin de tout un chacun dans cette vie mais cela semble être la voie universelle. Même sans un enseignement ou un enseignant spirituel, je pense que tout le monde y parviendrait au bout du compte. Mais cela pourrait prendre du temps.

AC: Très longtemps.

ET: Bien plus que cela. L'enseignement spirituel est là pour faire gagner du temps. Le message primordial de l'enseignement est que vous n'avez plus besoin de temps, que vous n'avez plus besoin de souffrir. Je dis à ceux qui viennent à moi : " Vous êtes prêt à entendre ce que je vous dis parce que vous l'écoutez. Il y a encore des millions de personnes au dehors qui ne l'écoutent pas. Ils ont encore besoin de temps, mais je ne m'adresse pas à eux. Vous entendez que vous n'avez plus besoin de temps, que vous n'avez plus besoin de souffrance. Vous faisiez votre recherche dans le temps et vous cherchiez encore plus de souffrance. " Le fait d'entendre soudain que " vous n'avez plus besoin de cela " peut être, pour certains, le moment de la transformation.
Ainsi, la beauté de l'enseignement spirituel est qu'il économise des vies entières de...

AC: ... souffrance inutile.

ET: Oui. Il est donc bon que les gens soient égarés dans le monde. J'adore aller à New York et Los Angeles ou il semble que les gens soient totalement impliqués. Je regardais par la fenêtre pendant une réunion à New York. Nous étions à proximité de l'Empire State Building. Tout le monde se précipitait dans tous les sens, courant presque. Les gens semblaient être dans un état d'intense tension nerveuse, d'anxiété. C'est de la souffrance, en réalité, mais ce n'est pas reconnu comme de la souffrance. J'ai pensé alors : où courent-ils tous comme ça ? Bien évidemment, c'est vers l'avenir qu'ils se précipitent ainsi. Ils ont besoin d'aller quelque part qui n'est pas ici. Un point dans le temps : pas maintenant, mais plus tard. Ils courent vers un plus tard. Ils souffrent sans même le savoir. J'aurais pu me dire " Mon Dieu, mais pourquoi ne se rendent-ils pas compte ? ", mais non, j'avais même de la joie à les regarder. Ils sont sur leur chemin spirituel. A ce moment, c'est cela leur chemin spirituel, et cela fonctionne à merveille.

AC: Souvent, le terme " éveil " est interprété comme la fin de la division au sein du moi et la découverte simultanée d'une perspective ou façon de voir qui est intégrale, complète, ou libre de la dualité. Certains, qui ont fait l'expérience de cette perspective, disent que la réalisation ultime est qu'il n'y a pas de différence entre le monde et Dieu ou l'Absolu, entre le Samsara et le Nirvana, entre le manifesté et le non-manifesté. Mais d'autres disent qu'en fait, la réalisation ultime est que le monde n'existe pas du tout, qu'il n'est qu'une illusion, vide de sens, de signification et de réalité. Dans votre expérience, le monde est-il réel ? Est-il irréel ? Ou les deux à la fois ?

ET: Même lorsque je rencontre des gens ou que je me promène dans la ville, faisant des choses ordinaires, le monde m'apparaît comme des frémissements à la surface de l'être. Au dessous du monde des perceptions sensorielles et de l'activité mentale, il y a l'immensité de l'être. Il y a une vaste étendue, une vaste immobilité, et une petite activité frémissante à la surface, qui n'est pas séparée, tout comme les vagues ne sont pas séparées de l'océan.
Je ne perçois donc aucune séparation. Il n'y a pas de séparation entre l'être et le monde manifesté, entre le manifesté et le non-manifesté. Mais le non-manifesté est tellement plus vaste, profond et grand que ce qui se passe dans le manifesté. Chaque phénomène dans le manifesté est de si courte durée et si fugutif qu'effectivement, dans la perspective du non-manifesté qui est l'être ou la présence au-delà du temps, on peut presque dire que tout ce qui se produit dans le domaine du manifesté ressemble à un jeu d'ombres. C'est comparable à de la vapeur ou de la brume, où de nouvelles formes surgissent et disparaissent sans cesse. Pour celui qui est profondément enraciné dans le non-manifesté, le manifesté pourrait très facilement être qualifié d'irréel. Je ne le qualifie pas d'irréel car il ne m'apparaît pas comme étant séparé de quoi que ce soit.

AC: Donc, il est réel ?

ET: Tout ce qui est réel est l'être lui-même. Seul existe la conscience, la conscience pure.

AC: Votre définition de " réel ", serait donc : ce qui est libre de la naissance et de la mort ?

ET: C'est exact

AC: Donc, seul ce qui n'est jamais né et ne saurait mourir est réel. Et puisque le monde manifesté est ultimement non séparé du non-manifesté, à vous suivre, on en déduit qu'il est réel.

ET: C'est exact, et même en chaque forme sujette à la naissance et à la mort, l'immortel est présent. L'essence de toute forme est ce qui est immortel. Même l'essence d'un brin d'herbe est l'immortel. C'est pour cette raison que le monde des formes est sacré. Le domaine du sacré n'est pas exclusivement l'être ou le non-manifesté car même le monde de la forme, je le considère comme sacré.

AC: Si quelqu'un vous demande simplement " Le monde est-il réel ou irréel ? ", direz-vous qu'il est réel ou devrez-vous apporter une précision ?

ET: J'apporterai probablement une précision.

AC: Telle que ?

ET: Que c'est une manifestation temporaire du réel.

AC: Si, donc, le monde est une manifestation temporaire du réel, quelle est la relation éveillée au monde ?

ET: Pour la personne non éveillée, le monde est tout ce qui existe. Il n'y a rien d'autre. Ce mode de conscience temporel s'accroche au passé pour son identité et a un besoin désespéré du monde pour son bonheur et sa plénitude. Le monde est donc source d'une promesse énorme mais aussi d'une grande menace. C'est tout le dilemme de la conscience non-éveillée : elle est tiraillée entre le besoin de chercher une satisfaction dans et à travers le monde et le fait d'être constamment menacée par celui-ci. Une personne espère se trouver elle-même dans le monde mais en même temps, elle a aussi peur que le monde ne la tue, comme il ne manquera pas de le faire. Voilà la situation de conflit permanent auquel est condamnée la conscience non éveillée, celle d'être déchirée en permanence entre le désir et la peur. C'est un destin épouvantable.
La conscience éveillée est enracinée dans le non-manifesté et est ultimement une avec lui. Elle se sait être cela. On pourrait presque dire qu'il s'agit du non-manifesté regardant à l'extérieur. Même pour une chose simple comme de percevoir visuellement une forme, comme une fleur ou un arbre, si vous les percevez dans un état de grande vigilance et d'immobilité profonde, libre du passé ou de l'avenir, à ce moment-là, c'est le non-manifesté. A ce moment-là, vous n'êtes plus une personne. Le non-manifesté se perçoit lui-même dans la forme. Et il y a toujours une sensation de bonté dans une telle perception.
C'est de là que surgit tout action et celle-ci est alors d'une toute autre qualité que l'action qui surgit de la conscience non-éveillée - qui a besoin de quelque chose et cherche à se protéger. C'est de là que surgit ces qualités intangibles et précieuses qu'on appelle amour, joie et paix. Elles font corps avec le non-manifesté. Elles émergent de cela. Un être humain qui vit en connexion avec cela et agit ou interagit devient une bénédiction pour la planète, alors que la personne non-éveillée pèse lourdement sur la planète. L'être non-éveillé est lourd, et la planète souffre de millions d'êtres non-éveillés. Le fardeau pour la planète est à la limite du supportable. Je le ressens parfois, comme si la planète disait " assez, ça suffit, pitié."

AC: Vous encouragez les gens à méditer afin, comme vous l'écrivez, de " reposer dans la Présence du Maintenant " autant que possible. Pensez-vous que la pratique spirituelle puisse jamais être vraiment profonde et avoir la capacité de libérer si l'on n'a pas au préalable abandonné le monde et ce qu'il représente, du moins à un certain degré ?

ET: Je ne dirais pas que la pratique elle-même a le pouvoir de libérer. C'est seulement lorsqu'il y a complète soumission au maintenant, à ce qui est, que la libération est possible. Je ne crois pas qu'une pratique spirituelle puisse nous amener à cette soumission complète. Elle arrive généralement dans la vie. Votre propre vie est le terrain où cela peut se produire. Vous vivrez peut être une soumission partielle, suivie d'une ouverture et cela vous conduira à vous engager dans une pratique spirituelle. Mais qu'on adopte une pratique spirituelle à la suite d'une révélation d'une certaine profondeur, ou qu'on se lance dans cette pratique pour elle-même, la pratique seule ne saurait suffire.

AC: J'ai découvert dans mon propre travail d'enseignant qu'à moins d'avoir vu à travers le monde dans une certaine mesure, et, se fondant sur cet aperçu, d'avoir la volonté de se détacher du monde, l'expérience spirituelle, aussi intense soit-elle, ne conduira pas à une libération quelconque.

ET: C'est exact, et la volonté de lâcher prise est la soumission. Cela reste la clef. Sans cela, quelle que soit la quantité de pratique ou même d'expériences spirituelles, rien n'y fera.

AC: C'est vrai, beaucoup de personnes disent qu'elles souhaitent méditer ou suivre des pratiques spirituelles, mais leurs aspirations spirituelles ne sont pas fondées sur une volonté de renoncer à quoi que ce soit de substantiel.

ET: Non, ce peut même être l'opposé. Une pratique spirituelle n'est parfois qu'un moyen de trouver quelque chose de nouveau à quoi s'identifier.

AC: En fin de compte, diriez-vous qu'une pratique ou une expérience spirituelle authentiques sont censées amener un individu à lâcher prise du monde, à le transcender et à abandonner son attachement au monde ?

ET: Oui. Parfois, des personnes me demandent " Comment en arriver là ? Ce que vous dites semble merveilleux mais comment en arrive-t-on là ? " Concrètement et fondamentalement, la pratique consiste à dire " oui " au moment présent. L'état d'abandon c'est ça, un " oui " total à ce qui est. Non le " non " intérieur à ce qui est. Et le " oui " complet à ce qui est, c'est la transcendance du monde. C'est aussi simple que ça, une ouverture totale à tout ce qui survient dans l'instant. L'état de conscience habituel est de résister à cela, de le fuir, de le nier, de ne pas le regarder.

AC: Lorsque vous dites " oui " à ce qui est, est-ce que vous voulez dire ne rien éviter et faire face à tout ?

ET: Exact. C'est accueillir le moment présent, embrasser le moment, et c'est cela l'état d'abandon. C'est vraiment tout ce dont on a besoin. La seule différence entre un Maître et un non-Maître est que le Maître embrasse ce qui est, totalement. Lorsqu'on cesse de résister à ce qui est, survient la paix. Le portail est ouvert et le non manifesté est présent. C'est le chemin le plus puissant, mais on ne peut appeler cela une pratique car le temps n'intervient pas.

AC: Pour la plupart des gens qui participent à cette explosion spirituelle née de la rencontre entre Orient et Occident qui va s'accélérant, , le Bouddha Gautama et Ramana Maharshi - l'un des Vedantins les plus respectés de l'époque moderne - font tous deux figure d'exemples inégalés de l'éveil total. Cependant, chose intéressante, leurs enseignements divergent radicalement sur la question de la relation juste au monde pour celui qui aspire à la vie spirituelle. Le Bouddha, le renonçant au monde, encouragea les plus sincères à quitter le monde et à le suivre afin de vivre la vie sacrée, loin des soucis et préoccupations de la vie de chef de famille. Cependant, Ramana Maharshi découragea ses disciples de quitter la vie de famille pour s'adonner à une vie spirituelle plus concentrée et plus intense. En fait, il découragea tout acte extérieur de renoncement et invita plutôt l'aspirant à se tourner vers l'intérieur afin d'y trouver la cause de l'ignorance et de la souffrance. Et de fait, beaucoup parmi le nombre croissant de ses adeptes aujourd'hui disent que le désir de renoncement n'est autre qu'une manifestation de l'ego, la part même de soi dont on doit se libérer si l'on veut être libre. Le Bouddha, lui, insista fortement sur la nécessité du renoncement, du détachement, de l'assiduité et de la modération comme le fondement à partir duquel la prise de conscience libératrice peut avoir lieu. Comment expliquez-vous que les approches de ces deux lumières spirituelles diffèrent à ce point ? Pourquoi croyez-vous que le Bouddha encourageait ses disciples à quitter le monde alors que Ramana les encourageait à rester où ils étaient ?

ET: Il n'y a pas de solution universelle. Des époques différentes favorisent certaines approches qui peuvent se révéler efficaces à une période donnée mais inefficaces à une autre. Le monde d'aujourd'hui est d'une plus grande densité et il est beaucoup plus envahissant. Lorsque je dis " monde ", j'y inclus le mental humain. Les fonctions mentales se sont amplifiées depuis l'époque du Bouddha il y a 2500 ans. Il y règne plus de bruit, elles ont pris plus de place et les ego sont plus grands. L'ego n'a cessé de se renforcer depuis des milliers d'années, jusqu'à atteindre un point de folie, la folie ultime ayant été atteinte au 20e siècle. Il suffit de lire l'histoire du 20e siècle pour se rendre compte qu'on a atteint l'apothéose en matière de folie humaine, si on la mesure en termes de violence humaine infligée à d'autres humains.
Aujourd'hui, on ne peut plus s'échapper du monde, on ne peut plus s'échapper du mental. Il nous faut entrer dans la soumission alors que nous sommes dans le monde. C'est le chemin qui semble le plus efficace dans le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Il se peut qu'à l'époque du Bouddha, se retirer était bien plus facile que ça ne l'est aujourd'hui. Le mental humain n'était pas encore si envahissant à cette époque.
AC: Mais si le Bouddha prêchait la vie sans attaches matérielles, c'était parce qu'il considérait que la vie de chef de famille était pleine de problèmes, de soucis et d'inquiétude, et il lui semblait que dans ce contexte il serait difficile de faire ce qui était nécessaire pour vivre la vie sacrée. Donc, pour reprendre ce que vous disiez à propos du bruit et de la distraction du monde, c'est à cela même qu'il répondait, et la raison pour laquelle il a mené une vie sans attache et encouragé d'autres à faire de même.

ET: Il est vrai qu'il a donné ses raisons, mais ultimement nous ne savons pas pourquoi le Bouddha a mis l'accent sur le fait de quitter le monde plutôt que dire comme Ramana Maharshi " fais-le dans le monde. " Mais il me semble, d'après ce que j'ai observé, que le moyen le plus effectif pour les individus maintenant est de se soumettre dans le monde plutôt que d'essayer de se retirer du monde afin d'y créer une structure qui rendrait la soumission plus facile. C'est une contradiction en soi parce qu'on crée une structure visant à rendre la soumission plus facile. Pourquoi ne pas se soumettre maintenant ? On n'a pas besoin de créer quoi que ce soit pour faciliter la soumission car alors il ne s'agit plus d'une soumission véritable. J'ai séjourné dans des monastères bouddhistes et j'ai constaté que cela peut facilement arriver : ils ont abandonné leur nom, adopté un nouveau nom, ils se sont rasé la tête, ils portent des robes...

AC: Ce que vous dites, c'est qu'un monde a été abandonné au profit d'un autre, qu'une identification a été remplacée par une autre. On abandonne un rôle et on en emprunte un autre mais on n'a véritablement rien lâché.

ET: C'est exact. Par conséquent, faites-le là où vous êtes, ici et maintenant. Il n'est pas nécessaire de rechercher un autre endroit, une autre situation pour le faire. Faites-le ici et maintenant. Où que vous soyez est le bon endroit pour se soumettre. Quelle que soit la situation où vous vous trouvez, vous pouvez dire " oui " à ce qui est, et cela devient le fondement de toute action ultérieure.

AC: Beaucoup d'enseignants et d'enseignements aujourd'hui disent que le désir même de renoncer au monde est une expression de l'ego. Quel est votre avis ?

ET: Le désir de renoncer au monde est encore le désir d'atteindre un certain état qu'on ne connaît pas actuellement. C'est la projection mentale d'un état qu'il serait souhaitable d'atteindre : l'état de renoncement. C'est la recherche de soi dans le futur. En ce sens, c'est l'ego. Le véritable renoncement n'est pas le désir de renoncer, il survient en tant que soumission. Le désir de soumission ne peut exister car c'est simplement de la non-soumission. La soumission émerge parfois spontanément chez des individus qui n'ont pas même de mot pour le décrire. Je sais aussi que l'état d'ouverture est aujourd'hui présent chez de nombreuses personnes. Beaucoup de ceux qui viennent à moi ont une grande ouverture. Parfois, il suffit de quelques mots, et immédiatement ils font l'expérience d'un aperçu, d'un avant-goût de soumission. Il ne dure pas nécessairement mais l'ouverture est là.

AC: Qu'en est-il de l'élan spontané du cœur à abandonner tout ce qui est faux et illusoire, tout ce qui est fondé sur le rapport matérialiste de l'ego à l'existence ? Par exemple, lorsque le Bouddha a décidé " je dois quitter ma maison ", il est difficile de penser qu'il s'agissait d'un désir égoïste, si l'on en juge par les résultats. Ou bien Jésus disant " Viens, suis-moi. Laisse les morts enterrer les morts. "

ET: C'est reconnaître le faux comme faux, ce qui est principalement une chose intérieure. C'est reconnaître les identifications fausses, reconnaître le bruit mental et reconnaître que l'identification d'images mentales à une entité " moi " était fausse. C'est magnifique, cette reconnaissance. L'action peut dès lors surgir de la reconnaissance du faux. Peut-être verrez-vous le faux reflété dans les circonstances de votre vie et les laisserez-vous derrière vous - ou non. Mais la reconnaissance et l'abandon de tout ce qui est faux et illusoire est un fait principalement intérieur.

AC: Ces deux cas, celui du Bouddha et de Jésus, seraient donc les exemples de manifestations extérieures puissantes de cette reconnaissance intérieure.

ET: C'est exact. On ne peut pas prédire ce qui va résulter de cette reconnaissance intérieure. Pour le Bouddha, il était déjà adulte lorsqu'il a soudain pris conscience que les humains meurent, deviennent malades et vieillissent. Cette seule prise de conscience a été si puissante qu'il s'est tourné vers l'intérieur et a déclaré que rien n'a de sens si c'est tout ce qu'il y a.

AC: Mais ensuite il s'est senti contraint de partir, d'abandonner son royaume. D'un certain point de vue, il aurait très bien pu dire : " Tout est présent en ce moment même et il me suffit de me soumettre sans condition ici et maintenant. " Alors, j'imagine que le résultat aurait été très différent, il aurait pu devenir un roi éveillé !

ET: Mais à ce stade, il ne savait pas que tout ce qui était nécessaire était de se soumettre.

AC: Cependant, lorsque Jésus invitait les pêcheurs à quitter leur famille et leur vie pour le suivre, ou lorsque le Bouddha sillonnait les villes, invitant les hommes à laisser tout derrière eux, leur soumission était démontré par leur départ même, par le fait même de dire " oui " à Jésus ou à Bouddha et de renoncer à leurs attachements au monde. Il va de soi qu'il leur faudrait aussi abandonner leurs attachements intérieurs. Dans ces cas, lâcher prise n'était pas seulement une métaphore de la transcendance intérieure, cela signifiait aussi littéralement qu'ils abandonnaient tout.

ET: Pour certaines personnes, cela en fait partie. Il se peut qu'elles quittent leur environnement et leurs activités habituelles, mais la seule véritable question est de savoir si elles ont déjà reconnu le faux en elles-mêmes. Si ce n'est pas le cas, le lâcher prise extérieur n'aura été qu'une forme déguisée de recherche de soi.

AC: Ma dernière question concerne le rapport entre votre compréhension de l'éveil, ou de l'expérience de la conscience non divisée, et l'engagement dans le monde.
Dans le judaïsme, s'engager à fond dans le monde et la vie humaine est vu comme l'accomplissement de l'appel religieux. En fait, ils disent que c'est seulement en vivant les dix commandements de tout son cœur que le potentiel spirituel de l'espèce humaine peut se manifester sur la terre. L'érudit juif David Ariel écrit : " Nous finissons le travail de création... Dieu a besoin de nous car nous seuls pouvons perfectionner le monde. "
Beaucoup d'enseignements de l'éveil , ou de la non-dualité comme le vôtre, mettent l'accent sur l'éveil de l'individu. De fait, la transcendance du monde semble être le point majeur. Mais nos frères juifs semblent nous convier à quelque chose de très différent qui est la spiritualisation du monde à travers une participation totale d'hommes et de femmes dévoués dans le monde. Pensez-vous que les enseignements d'éveil non dualistes privent le monde de notre complète participation ? Est-ce que la notion même de transcendance prive le monde de notre pleine capacité de le spiritualiser en tant qu'enfants de Dieu ?

ET: Je ne le crois pas, parce que l'action juste découle uniquement de cet état de transcendance du monde. Toute autre activité est induite par l'ego. Même faire le bien, si cela provient de l'ego, aura des conséquences karmiques. " Induit par l'ego " signifie qu'il y a un motif ultérieur. Par exemple, cela gonfle une image flatteuse de nous-mêmes si nous devenons une personne spirituelle à nos yeux ; et ça fait du bien. Ou bien nous espérons une récompense dans une autre vie ou au paradis. Donc, s'il y a des motifs ultérieurs, ce n'est pas pur. Le véritable amour ne peut s'exprimer à travers nos actions si nous n'avons pas transcendé le monde, parce qu'alors nous ne sommes pas en contact avec le domaine d'où émerge l'amour.

AC: Vous parlez d'une action pure, non teintée par l'ego ?

ET: Oui, l'essentiel d'abord. Ce qui vient en premier est la réalisation et la libération. Puis laisser l'action découler de cela - elle sera pure, non teintée, aucun karma ne sera attaché à elle. Autrement, quelle que soit l'envergure de nos idéaux, nous renforcerons irrémédiablement l'ego à travers nos bonnes actions. Malheureusement, on ne peut vivre les commandements à moins d'être sans ego - ce qui est le cas de fort peu -, comme l'ont découvert tous ceux qui ont tenté de mettre en pratique les enseignements du Christ. " Aime ton prochain comme toi-même " est l'un des enseignements principaux de Jésus, et on ne peut accomplir ce commandement, quelle que soit notre bonne volonté, si on ne sait pas qui on est au plus profond de soi. Aime ton prochain comme toi-même signifie que ton prochain est toi-même, et cette reconnaissance d'unité est amour.

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Jacob Boehme


Honneur à

Jacob Boehme

un des plus grands Gnostiques chrétiens

à l'occasion de la soutenance à la Sorbonne de la thèse de

M. David KÖNIG

"Le fini et l’infini chez Jacob Bohme, étude sur la détermination de l’Absolu"

Sa pensée:

" Tu voudrais bien briser ton moi et le voir pour toi se transformer en un Fond totalement divin. L'Amour déteste le moi, car le moi est une chose mortelle ; et l'Amour et le moi ne vont pas ensemble, car l'Amour possède le Ciel et réside en soi-même, alors que le moi possède le monde, et tous les êtres, et réside aussi en soi-même. De même que le Ciel a puissance sur le monde et l'Eternité sur le Temps, de même l'Amour a puissance sur la vie naturelle. "



" L'unique chemin divin par où l'on puisse contempler Dieu dans son Verbe, dans son existence et dans sa volonté est le suivant: celui dans lequel l'homme devient un en lui-même et abandonne, dans sa propre volonté, tout ce qu'il est et ce qu'il a, c'est-à-dire puissance, pouvoir, honneurs, beauté, richesse, argent et biens, père et mère, frère, soeur, femme et enfants, corps et vie. "

" Nous ne voulons pas dire que l'on doive laisser sa maison, sa femme, ses enfants et ses parents, et fuir hors du monde, et quitter ses biens. Non ; c'est la volonté individuelle qui possède tout celà en propriété, que l'on doit tuer et anéantir."



"Cherche la noble perle, elle est plus précieuse que ce monde. Elle ne s'éloignera jamais de toi, et où sera la perle, là sera aussi ton cœur : tu n'as pas besoin d'aller chercher plus loin qu'ici le paradis, la joie, et les délices du ciel."


"Si elle [la vie humaine] s'abandonne au désir de l'essence, elle brûlera dans l'angoisse, dans le feu des ténèbres. Mais si elle s'abandonne à un néant, elle sera sans désir et tombera dans le feu de la lumière; et ainsi brûlera sans douleur; car elle n'apporte à son feu aucun combustible qui pourrait alimenter un feu. Comme il n'y a aucune douleur en elle, ni que la vie ne reçoit pas de souffrance, car elle (la vie) n'en contient aucune en elle-même; elle (la vie humaine) tombera dans la Magia première, qui est Dieu dans sa triade."


"La volonté plaçée dans le désir du boire et du manger est terrestre et est séparée de Dieu. Mais la volonté qui s'échappe du feu terrestre, brûle dans le feu intérieur et est divine. La volonté qui s'échappe du désir terrestre ne s'élève pas du feu terrestre. Non, elle est la volonté du feu de l'âme, qui a été capturée et cachée par le désir terrestre. Elle ne désire pas rester dans le désir terrestre, mais veut retourner dans son Unité, en Dieu, de laquelle elle trouva originellement sa source. Mais si celle-ci est gardée prisonnière du désir terrestre, elle sera enfermée dans la mort et souffrira l'agonie. Voici comment comprendre le péché."


"Et nous comprenons aussi que l'orgueil est péché, car celui-ci tendra à devenir sa chose propre, en se séparant de soi-même de Dieu, comme de l'Unité. Car tout ce qui réside en Dieu doit se mouvoir en Lui, dans Sa volonté. Nous voyons donc que nous sommes tous en Dieu, comme une unité répartie en de nombreux membres; il va donc à l'encontre de Dieu, celui qui se sépare des autres, en se faisant lui-même un seigneur, comme l'orgueil peut le faire. L'orgueil se fera un seigneur, et Dieu est le seul Seigneur. Il y aura donc deux seigneurs, l'un se séparant de l'autre. C'est pourquoi nous devons cultiver, en-dehors de l'opposition, une volonté neuve, qui s'abandonnera de nouveau dans l'Unité simple; et l'opposition devra être brisée et tuée."


"Et voici comment on peut savoir ce qui est péché, et pourquoi c'est péché. Lorsqu'un être humain veut se séparer lui-même de Dieu, en une existence propre, il éveille son propre Soi et brûle de son propre feu, qui n'a pas la capacité du feu divin.Car toute chose que la volonté pénétrera et dont elle prendra possession sera devenue étrangère à la volonté Une de Dieu. Car tout appartient à Dieu et rien n'appartient à la volonté de l'homme. Mais si celle-ci réside en Dieu, alors tout lui appartient aussi. Donc, nous reconnaissons que le désir est péché. Car celui-ci est une attirance d'une séparation de l'Unité vers le multiple et l'introduction du multiple dans l'Unité. Il voudra posséder, et pourtant devrait être sans volonté. C'est par le désir que se cherche la substance, et c'est dans la substance que le désir allume un feu. Chaque feu particulier brûle selon le caractère de son être propre; et voici comment naissent la séparation et l'inimitié. Car le Christ a dit: "Celui qui n'est pas avec moi, est contre moi; et celui qui n'amasse point avec moi, dissipe au lieu d'amasser." (Luc XI,23) Car celui-ci amasse sans Christ; et tout ce qui n'est pas en Lui, est en-dehors de Dieu."


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GURDJIEFF portrait

"Peu d'hommes "existent",
peu ont une âme "immortelle"."

Monsieur Georges Ivanovitch GURDJIEFF

portrait par Julius EVOLA

Suivi de l'histoire "Le Magicien et les Moutons"



Monsieur Gurdjieff

par Julius Evola (publié une première fois dans: Roma, 16 avril 1972; première publication de cette traduction française par Gérard Boulanger: L'age d'or, printemps 1987)

Il est rare qu'apparaissent à notre époque - où ils courent le risque d'être confondus avec certains mystificateurs - des personnages qui nous fassent toucher du doigt de façon inquiétante ce à quoi s'est réduit, métaphysiquement parlant, l'existence de la grande majorité des gens.

A cette catégorie appartient, sans l'ombre d'un doute, le "mystérieux Monsieur Gurdjieff", à savoir Gerogej Ivanovitch Gurdjieff. Le souvenir de sa présence et de l'influence qu'il exerça est encore vif, bien qu'il soit mort depuis de nombreuses années, comme en témoignent les ouvrages qui lui ont été consacrés et même les romans où il figure sous un autre nom. Louis Pauwels, l'auteur du Matin des magiciens, a pu écrire un volume de plus de cinq cents pages, qui a fait l'objet de deux éditions successives, où il a recueilli un grand nombre de documents - articles, lettres, souvenirs, témoignages - le concernant. De fait, l'influence de Gurdjieff s'étendit aux milieux les plus divers: le philosophe Ouspensky (qui, á partir de sa doctrine, écrivit un ouvrage intitulé Fragments d'un enseignement inconnu, ainsi qu'un autre, L'évolution possible de l'homme, dont une traduction italienne est annoncée), les romanciers A. Huxley et A. Koestler, l'architecte "fonctionnaliste" Frank Lloyd Wright, J.-B. Bennet, disciple d'Einstein, le docteur Wakey, l'un des plus grands chirurgiens new-yorkais, Georgette Leblanc, J. Sharp, fondateur de la revue The New Statesman: tous eurent avec Gurdjieff des contacts qui laissèrent des traces.

Notre personnage apparut pour la première fois à Saint-Pétersbourg, peu avant la Révolution d'Octobre. On ne sait pas grand chose de ce qu'il fit avant: lui-même se bornait à dire qu'il avait voyagé en Orient à la recherche des communautés qui gardaient en dépôt les restes d'un savoir transcendant. Mais il semblerait qu'il ait été également le principal agent tsariste au Tibet, qu'il avait quitté pour se retirer dans le Caucase où il fut, étant enfant, le condisciple de Staline. En France, et ensuite à Berlin, en Angleterre et aux États-Unis, il s'était consacré à l'organisation de cercles qui suivaient ses enseignements, cercles intitulés "groupes de travail". Un éditeur français qui se retirait des affaires lui offrit en 1922 la possibilité de faire du château d'Avon, près de Fontainebleau, sa "centrale" où, dans un premier temps, il créa quelque chose qui tenait de l'ésole et de l'ermitage. Parmi les bruits qui circulent à son propos, certains concernent le domaine politique. Gurdjieff aurait eu des contacts avec Karl Haushofer, le fondateur bien connu de la "géopolitique", qui occupa une place de premier plan dans le IIIe Reich, et l'on prétend même que ces relations auraient présidé au choix de la croix gammée comme emblème du national-socialisme, dont la rotation s'effectue non pas vers la droite, symbole de la sagesse, mais vers la gauche, symbole de la puissance (comme ce fut effectivement le cas).

Quel message annonçait Gurdjieff? Un message pour le moins déconcertant. Peu d'hommes "existent", peu ont une âme "immortelle". Certains d'entre eux possèdent le germe, lequel peut être développé. En règle générale, on ne possède pas un "Moi" de naissance: il faut l'acquérir. Ceux qui n'y parviennent pas se dissolvent à leur mort. "Une infime partie d'entre eux sont parvenus à avoir une âme."

L'homme de la rue n'est qu'une simple machine. Il vit à l'état de sommeil, comme hypnotisé. Il croit agir, penser, alors qu'il est "agi". Ce sont des pulsions, impulsions, des réflexes, des influences de tous ordres qui agissent en lui. Il n'a pas d'"être".


L'homme de la rue n'est qu'une simple machine. Il vit à l'état de sommeil, comme hypnotisé. Il croit agir, penser, alors qu'il est "agi". Ce sont des pulsions impulsions, des réflexes, des influences de tous ordres qui agissent en lui. Il n'a pas d'"etre". Les manières de Gurdjieff n'avaient rien de délicat: "Vous pas comprendre, vous idiot complet, vous merdité", disait-il souvent dans son mauvais français à ceux qui l'approchaient. De Katherine Mansfield, morte lors d'un séjour dans son ermitage d'Avon en quête de la "voie", Gurdjieff déclara: "Moi pas connaître", voulant signifier par là que la morte n'était rien, qu'elle n'"existe" pas.

La vie ordinaire est celle d'un individu continuellement aspiré, ou "sucé", enseignait Gurdjieff. "Je suis aspiré par mes pensées, par mes souvenirs, mes désirs, mes sensations. Par le beefsteak que je mange, la cigarette que je fume, l'amour que je fais, le beau temps, la pluie, cet arbre, cette voiture qui passe, ce livre." Il s'agit de reágir. De s'"éveiller". Alors naîtra un "Moi" qui, jusque-là, n'existait pas. Alors il apprendra à être, à être dans tout ce qu'il fait et ce qu'il ressent, au lieu de ne représenter que l'ombre de lui-même. Gurdjieff appelait "pensée réelle", "sensations réelle", etc., ce qui se manifeste selon cette dimension existentielle absolument nouvelle que la majorité des gens ne peuvent même pas imaginer. Et il distinguait également chez chacun l'"essence" de la "personne". L'essence constitue sa qualité authentique, tandis que la personne n'est que l'individu social, construit de toutes pièces, et extérieur. ces deux éléments ne coïncident pas: on rencontre des gens dont la "personne" est développée alors que leur "essence" est nulle ou atrophiée - et vice versa. Dans notre monde, le premier cas prévaudrait: celui d'hommes et de femmes dont la "personne" est exacerbée jusqu'à la démesure mais dont l'"essence" est à l'état infantile - quand elle n'est pas totalement absente.

Ce n'est pas le lieu ici d'évoquer les procédés indiqués par Gurdjieff pour s'"éveiller" pour s'ancrer en l'"essence", pour se créer un "être". Quoi qu'il en soit, le point de départ serait la reconnaissance pratique, expérimentale, de sa propre "inexistence", cet état quasiment somnambulique, le fait d'être "sucé" par les choses, par nos pensées et nos émotions. C'est également à cela que servait la "méthode du désordre": mettre sans dessus dessous la "machine" que l'on est pour prendre conscience du vide qu'elle cache. Il ne faut pas s'étonner si certains de ceux qui ont suivi Gurdjieff dans cette voie sont allés au devant de crises extrêmement graves, bouleversant leur équilibre mental au point de prendre la fuite ou de se rappeler avec terreur de pareilles expériences oú ils avaient eu quasiment l'impression de vivre la mort. Quant à ceux qui ont résisté à l'épreuve et persisté dans le "travail sur soi" auprès de Gurdjieff, ils parlent d'un incomparable sentiment de sécurité et d'un nouveau sens donné à leur existence.
Il semblerait que Gurdjieff exerçait sur quiconque l'approchait, de façon presque automatique et sans qu'il le veuille, une influence qui pouvait avoir des effects positifs ou délétères selon les cas. Il est hors de doute qu'il possédait quelques facultés supranormales. Ouspensky raconte qu'en recourant à une science apprise en Orient, et dont en Occident on ne connaît "qu'une partie insignifiante sous le nom d'hypnotisme", Gurdjieff pouvait, grâce à certaines expériences, séparer l'"essence" de la "personne" chez un individu donné - faisant éventuellement apparaître l'enfant ou l'idiot qui se cachait derrière quelqu'un d'évolué et de cultivé ou, inversement, une "essence" très différenciée en dépit de l'inexistence de manifestations extérieures.

Parmi les témoignages recueillis par Pauwels, il en est un particulièrement piquant relatif au pouvoir, attribué également en Orient à certains yogis (et évoqué par un auteur aussi digne de foi que Sir John Woodroffe), de "rappeler la femme à la femme". Celui qui rapporte l'anecdote se trouvait á New York, dans un restaurant, en compagnie d'une jeune femme écrivain très sûre d'elle-même à laquelle il montra le "fameux" Gurdjieff, assis á une table voisine. La jeune femme le dévisagea avec un air de supériorité affiché mais, quelque temps après, elle se mit à pâlir et sembla sur le point de défaillir. Ceci ne manque pas d'étonner son compagnon, qui n'était pas sans connaître sa grande maîtrise d'elle-même. Plus tard, elle lui avoua ceci: "C'est ignoble! J'ai regardé cet homme et il a surpris mon regard. Il m'a alors dévisager froidement et, à ce moment-là, je me suis sentie fouaillée intimement avec une telle précision que j'ai éprouvé l'orgasme!"

Gurdjieff se contentait de quelques heures de sommeil: on l'appelait "celui qui ne dort pas". Il alternait un mode de vie quasiment spartiate avec des banquets d'une opulence russo-orientale disparue depuis longtemps. En 1934, il fut victime d'un accident d'automobile très grave: il resta trois jours dans le coma mais reprit connaissance aussitôt et parut avoir rajeuni, comme si le choc physique, au lieu de léser son organisme, l'avait galvanisé. De nombreuses choses de ce genre se racontent sur son compte: nous en avons nous-même entendues directement, par la voix de quelqu'un qui fut un de ses proches et dirigea au Mexique un des "groupes de travail" évoqués plus haut. Bien entendu, un processus de "mythification" est inévitable dans des cas de ce genre, et il n'est pas aisé de démêler la réalité de l'imaginaire. Gurdjieff n'a quasiment rien laissé comme écrits et ce qu'il a publié est d'une qualité assez médiocre, mais il est extrêmement fréquent que celui qui est "quelqu'un" n'ait ni les qualités ni la préparation pour être écrivain: il donne un enseignement direct et exerce une influence. Comme nous l'avons dit, à part le recueil de témoignages publié par Pauwels sous le titre Monsieur Gurdjieff, il revint à Ouspensky d'écrire sur ses enseignements.

Gurdjieff mourut à l'âge de soixante douze ans, en pleine possession de tous ses moyens et en disant ironiquement à ceux de ses disciples qui l'assistaient: "Je vous laisse dans de beaux draps!" Aujourd'hui encore, il ne cesse pas d'être cité et, comme on l'a dit, ici et là en Angleterre, en France et en Afrique du Sud, les restes des groupes qui s'étaient constitués sous son influence subsistent.

www.geocities.com/capitolhill/1404/gurdjieff.html

www.gurdjieff.org pour en savoir plus sur G. Gurdjieff


Témoignage

"le magicien et les moutons"


Extrait de" Monsieur Gurdjieff" de Louis Pauwells Ed du Seuil 1954- Chap III, pages 287 et 288.

Témoignage d'une américaine Francès Rudolf

"Au lieu de me réveiller graduellement dans une conscience de plus en plus haute, je tombais de plus en plus profondément dans le sommeil. Dans mon effort pour me réveiller j'empruntais la voie qui me conduisait droit au bord du grand sommeil d'où il peut n'y avoir aucun réveil. Et, ironie des ironies on m'avait avertie tout du long ! Voici un petit conte que Gurdjieff avait raconté à Ouspensky:

Un très riche magicien avait un grand nombre de moutons. Mais ce magicien était très avare. Il ne voulait pas louer de pâtres, ni ériger une clôture autour du pâturage où ses moutons broutaient. Aussi les moutons s'en allaient-ils souvent dans la forêt, tombaient dans les ravins, et surtout, s'enfuyaient, car ils savaient que le magicien voulait leur chair et leurs os et ils n'aimaient pas cela.

Enfin le magicien trouva un remède. Il hypnotisa ses moutons et leur suggéra tout d'abord qu'ils étaient immortels et que nul mal ne leur serait fait quand ils seraient écorchés, que, au contraire, ce serait très bon pour eux et même agréable ; deuxièmement, il les persuada que le magicien était un bon maître qui aimait tellement son troupeau qu'il était prêt à faire tout au monde pour eux ; et troisièmement il leur suggéra que si un malheur leur arrivait ça ne serait pas le jour même, et par conséquent qu'ils n'avaient pas besoin d'y penser. En outre, le magicien suggéra a ses moutons qu'ils n'étaient pas du tout des
moutons ; à certains il suggéra qu'ils étaient des lions, à d'autres qu'ils étaient des aigles a d'autres qu'ils étaient des hommes, et à d'autres enfin, qu ils étaient magiciens. Après tout cela, ses préoccupations et ses ennuis avec les moutons prirent fin. Ils ne s'enfuirent jamais plus, mais attendirent patiemment le moment où le magicien demanderait leur peau et leurs os.

Pourquoi ne le compris-je pas plus tôt ? Bien sûr, la réponse est trop douloureusement évidente. Je descendais de plus en plus alors que je croyais me relever. Il me fut suggéré par personne d'autre que Mme Blank elle-même, que je serais l'une de celles, et je cite, les plus proches d'elle. Et ainsi je ne m'enfuis jamais, mais attendis patiemment le temps où le magicien demanderait ma peau et mes os. Pendant près de deux ans, j'attendis ainsi patiemment la mort.

Cette époque fut remplie de souffrance infligée si subtilement qu'elle défie la description, mais je persistais, car j'étais convaincue que i'étais dans la bonne voie. Et la conviction que je progressais lentement et douloureusement, mais fermement, vers la vie éternelle me sauva à la fin d'être " tondue ". Car le choc soudain (et nous connaissons tous la valeur des " chocs ") que j'éprouvai en me trouvant face à face avec la mort fut plus puissant que le profond sommeil hypnotique dans lequel j'avais vécu. Je me réveillai. Je m'enfuis loin du magicien avec ma peau et mes os, - sérieusement endommagés, certes, mais je me sauvai. Il y en eut avant moi qui ne s'en allèrent pas, et il y en a maintenant qui en dépit de tous les avertissements, ne s'en iront pas. Mais je suis partie. Pour ceci, je ne me remercie pas. Je remercie mon ange gardien."

LIEN

Welcome to The Real World...

Welcome to

The Real World...

par Chantal Hubert

Mon approche est l'aboutissement de 15 années d'études & d'expérimentation personnelle au cours desquelles Éric Baret (Tantra du Cachemire), l'enseignement de Nisargadatta Maharaj (Non-Dualité) & Wolfgang Bernard (Dialogue Final) ont été des pierres angulaires. Je ne prétends pas avoir inventé quoi que ce soit, juste essayé de formuler de la façon la plus simple et la plus précise possible une connaissance que chacun doit posséder : la connaissance de Soi. Car il y a sur Terre deux façons d'être heureux : soit faire partie des "éveillés", soit être dans un état de sommeil profond, ce sont les deux facettes de l'état de béatitude. Entre les deux ? Je vois des personnes qui ne jurent que par le "matériel" et tentent d'oublier par tous les moyens que la mort les attend, et d'autres qui se prétendent "en démarche" mais se débattent dans des difficultés montrant qu'il leur manque des éléments et globalement, c'est plutôt la galère...
Normal si l'on considère que l'éveil est ce que C.G. Jung nommait le "processus d'individuation" et pas une "option facultative" réservée à ceux qui n'ont rien de mieux à faire ou qui ont "renoncé à la vie". L'Eveil c'est la Vie car il n'y a pas d'autre évolution que celle de la faculté de conscience.

"Le chaînon manquant entre le singe et l'Homme, c'est nous".
Konrad Lorentz


Une transmission authentique

"La spiritualité, c'est comprendre le jeu de la conscience.
Découvrez la nature de cette illusion.
Découvrez qui vous êtes".
Nisargadatta

Un véritable enseignement part d'un vécu qui permet d'évaluer précisément où se situe l'interlocuteur et de l'amener jusqu'à la Réalité immuable à partir du niveau d'illusion où il se trouve, c'est sa seule raison d'être. Il n'y a donc pas de recette et, en fonction de l'époque et des personnes, les propos tenus peuvent être très différents tout en poursuivant fondamentalement le même but.
Un véritable enseignement ne prétend pas détenir la vérité, mais le moyen d'y parvenir. C'est une pédagogie qui tend à résoudre une anomalie, car jamais rien n'est "atteint", en ce sens, il n'y a rien à faire pour s'éveiller, mais tout l'art consiste à savoir "comment" ne rien faire. Car ce "non-faire" vaut son pesant d'or, il fait la différence entre le paradis & l'enfer, la liberté & la prison, la vie & la mort...

"Depuis des millénaires,
l'homme est prisonnier des modes de pensée, des connaissances.
Ce n'est pas mon enseignement qu'il faut tenter de comprendre mais vous-même. "
Krishnamurti


Il n'y a pas de voie pour l'éveil, l'Éveil EST la Voie

Il n'y a aucune "entité" dans le corps qui puisse évoluer, il n'y a que le Soi qui s'est limité pour apprendre à se connaître. L'Eveil c'est comprendre que "vous" êtes la présence consciente qui permet au corps d'être vivant. Jusque là, ça va !
La vie phénomènale n'est qu'une expérience pour l'Être, et pourtant la quasi totalité des humains meurent en étant toujours inconscients d'eux-mêmes. Leur vie n'est qu'une succession d'effets dont la cause unique est l'oubli.

"Sans la réalisation,
ce que vous êtes ne peut pas resplendir dans le monde.
Vous êtes pauvre tout en ayant des milliards sur votre compte,
votre richesse reste un potentiel non exprimé."
Eckhart Tolle

Vous appuyer sur la Présence consciente, la conscience de Soi, vous permet de lâcher la mémoire liée au corps (karma), cela va dissoudre vos "problèmes". Au passage, votre système nerveux va se transformer & le voile posé sur la Réalité pourra tomber. Vous accèderez à la vision totale, la "Conscience Cosmique" : quand "je" cesse de créer des interférences, je peux voir que tout est Moi. C'est la première phase du processus, vous reprenez votre vie en main en libérant votre conscience de l'influence du monde.
Non-identifié à la mémoire liée au corps, "Je" redeviens maître du Je(u). Sans limites, "Je" suis la Totalité, tout est alors à ma disposition. C'est le retour à l'état primordial d'Unité et de Liberté, la suppression du "pourquoi" & du "comment", de la notion de Temps. Mais la Conscience cosmique n'est pas le but, vous n'êtes pas remonté à la Source, votre support de conscience s'est élargi, c'est tout. La vie phénomènale se déroule à la surface de l'Être et le problème de la mort reste entier.

"Il faut fouiller la terre pour accèder au ciel, être le terreau de soi-même."
Frédéric Lenoir

La cause de la mort est la naissance, il faut donc trouver ce qui en vous est permanent, non-né, la Pure Présence/Connaissance. En prenant conscience qu'en Réalité, il n'y a "pas de monde extérieur", le désir et la peur, causes de votre attachement aux phénomènes, tombent d'eux-mêmes et vous "renoncez au monde". C'est la Voie directe : libéré(e) de l'identification à votre manifestation (le corps/mémoire & son univers), "vous" pouvez naître sur le plan de l'Esprit. C'est la deuxième phase du processus, la Réalisation du Soi.

"Quand la conscience devient de plus en plus subtile, les formes se dissolvent.
Mais sans ce corps, ce sens d'être "Je" est toujours là, "Je" (Absolu) règne pour l'éternité".
Nisargadatta

Vous êtes alors Conscience/Connaissance/Plénitude absolue se fondant en elle-même. Vous n'êtes plus une âme en évolution, mais un libéré vivant (Jivan Mukta), plus une simple créature mais un Créateur vous-même. A partir de là, "vous" n'êtes plus soumis au cycle naissance/vie/mort qui ne concerne que votre manifestation. Vous, en tant qu'Absolu, êtes Immortel.
Réaliser le Soi est la condition d'accès au monde supra-humain, la fin du cycle de manifestation conditionnée. Ne pas vous définir, vous limiter, révèle votre Unicité, manifeste votre Essence car vous n'êtes plus enfermé(e) dans un rôle/monde imaginaire. Et c'est la Liberté totale. "Welcome to the Real World".

"Si vous aviez compris votre Présence, votre être,
vous jetteriez tout par dessus-bord".
Nisargadatta

Le besoin de se définir, de prouver son existence (l'égo-ïsme), implique d'avoir une image de soi, un concept, tout concept est une croyance. "Je suis" est le concept primordial, et dans la conscience, chaque pensée se manifeste selon la signification que vous lui donnez. Là commence l'illusion, la "matrice". Dire "je suis", fut-ce Dieu, c'est faire de Soi un objet évoluant dans un univers, s'ensuit automatiquement tout un "enchaînement" et "je" se retrouve prisonnier de sa propre conscience qu'il maîtrise d'autant moins qu'il adhère à l'idée d'un monde extérieur & il perd contact avec sa propre Réalité. Pour vous libérer de l'illusion & "découvrir" le Réel, s'identifier à Rien, à Cela, à l'Absolu que vous êtes, est le seul moyen de vous faufiler à travers les mailles du filet.