Pinocchio ou l'ange humain


Pinocchio, personnage sorti de l'imagination de Carlo Collodi (Pseudonyme de C. Lorenzini) est l'inspiration de notre histoire à tous. Cette histoire particulièrement "signée" de l'Esprit est spécialement destinée aux quêteurs de vérités oubliées. "Soyez comme des petits enfants pour entrer dans le royaume" enseigne Jésus en clé d'énigme. Alors allons y et penchons-nous sur les histoires de notre enfance avec des yeux neufs, un esprit ouvert, conscient de la présence de messages codés en attente de découvertes.


La marionnette...

est la représentation de l'Humain. Pantin de bois, manouvré par la main de son créateur, il est sa manifestation, le dédoublement de son esprit. Des fils le rendent à l'apparence du vivant. Il est facile d'oublier ses fils, presque invisibles, et parfois la vanité offre la délicieuse sensation d'être totalement libre. Bien sûr, c'est un leurre car l'Humain n'a en lui qu'une seule chose qui lui appartienne et dont il est responsable : Le Choix. Tout le reste lui est prêté, énergies, pensées, environnement. Prenez conscience que dans le flux incessant de pensées et de mots qui nous viennent étrangement à l'Esprit, nous choisissons ceux qui nous paraissent les plus justes. Et nous supposons que ce flux vient du plus profond de nous-mêmes, alors que c'est, à peine visible, un des fils qui nous anime en marionnette de chair.

Voici donc l'histoire de Pinocchio telle que vous ne l'avez jamais lue.

A tout les curieux qui lisent ces lignes, bienvenue dans l'étrange histoire d'un pantin à la recherche de son Père. Alors ouvrez grand vos yeux et votre cœur !



La Naissance

Pinocchio a eu plusieurs origines selon les versions proposées. L' originale mentionne un charpentier trouvant un morceau de bois qui avait pour particularité de rire et de parler. C'est justement cette version qui fut dernièrement traduit en film cinématographique par Steve Barron ; elle a l'avantage de proposer de remarquables effets spéciaux et une touchante prestation de Martin Landau en Gepetto. A tel point qu'il est possible d'avancer que les inspirations du film sont plus profondes que celle du livre ; c'est pour cette raison que je m'y référerai.

Nous sommes, en ces temps de fin de millénaire, baignés de quantités d'influences qui s'expriment à travers les récepteurs-cerveaux humains. Les idées, les inspirations, les événements sont le reflet de dévoilements qui n'ont encore jamais été donnés jusqu'alors. D'où l'importance d'un regard plus aiguisé sur les informations qui nous entourent.



Gepetto

homme célibataire, s'est renfermé dans une solitude sentimentale, par amour pour Léona, devenue l'épouse de son frère. Fidèle à ses sentiments, il reste seul avec son désespoir qui s'exprime pourtant dans une gravure qu'il fit sur une souche, dans la forêt. Elle représente un cœur avec les initiales de son rêve inaccessible. Il mit véritablement l'énergie de son amour dans cette gravure. Quelques années plus tard, cette souche, miraculeusement et par magie, lui roule à ses pieds et refuse de finir brûlée dans sa cheminée. Intrigué, Gepetto découvre alors le cœur gravé sur cette bûche et décide d'en faire une marionnette. Dans la version du dessin animé de Walt Disney, c'est une fée bleue ailée qui donne la vie à la bûche.

Nous avons donc un Homme qui veut être Père et qui façonne son enfant "virtuel". Ce système de naissance nous apparaît en dehors de tout acte créateur logique, et pourtant. La reproduction biologique constitue notre repère principal, et il est logique qu'il y en ait d'autres. Celui décrit dans le conte est le reflet d'une autre réalité, celui de la création divine. Et oui, rien que cela ! Rappelez-vous : "Dieu créa l'homme à son image", "Il le façonna avec de l'argile", etc. Pour créer un système autonome, il faut avoir préalablement finalisé sa forme, ses organes et fonctions. C'est ce que nous faisons lorsque nous créons une machine. Dans le cadre d'un être vivant, les organes sont imaginés et la forme est conçue, bien sûr. Puis, la Vie, cette étincelle mystérieuse, est intégrée. Bref, on transmet la Vie tout au plus, mais on ne la donne pas.

Pinocchio est né par le façonnage d'une substance, et ce symbole correspond aussi à la création des anges. Affirmation gratuite j'en conviens, mais rappelez-vous comment l'Adam Glébeux fut créé: à partir de la poussière de la terre. (Gen. 2-7). Notre science nous démontre que les êtres naissent à partir d'un germe dans une matrice, mais il est d'autres façons de créer la vie. Certains chercheurs déjà manipulent les gènes et développent des vies programmées. Le conte de Pinocchio, identiquement à la Genèse, apporte le thème d'un autre système de création. Cela reste un symbole, mais à son origine, les systèmes biologiques angéliques ou humains sont nés d'une conception, d'un champ "forme" habillé de matière. La création biologique humaine fut ensuite synthétisée en germe transplantable. Ce champ d'énergie humain, les ondes de formes, tout cela n'est plus de la science fiction. Voyez l'acupuncture ou les champs morphiques (cf. le biologiste anglais : Ruppert Sheldrake) qui sont l'expression de ce champ énergie impalpable qui est en "dessous" de la matière. La création de ce Pinocchio en bois en est l'expression symbolique et imagée.



La Fée bleue

Bien sûr, il lui manque la vie, et, selon les façons de l'aborder, c'est soit une fée, soit un acte magique qui en est l'origine. Mais alors qui la donne ? La Fée bleue ailée, bien sûr, quelle question ! Je m'égare en apparence pour mieux revenir... La fée bleue qui vole est apparue bien des fois pour orienter les hommes incrédules. On la nomme Marie, la Mère de Dieu, c'est à dire la source de la Vie. Mère de Dieu ? Rendez-vous compte, Dieu aurait-il donc été créé lui aussi ? Oui, même notre Dieu à une "Maman" matière !



L'œil de Pin

Pour en revenir à notre Pinocchio. Il est le fruit d'un travail minutieux, laborieux, de la manipulation de la matière. Les symboles représentés sont précis. Pinocchio, littéralement, en italien, "L'oil de Pin", est fait de bois. Symboliquement le bois est une graine nourrie de chaleur, d'eau et de lumière, qui se transforme en arbre. Et vous savez que l'arbre est un symbole lié à l'humain dans ses éléments constitutifs : la sève pour le sang, le tronc pour son corps, les branches pour les ramifications de son esprit, les feuilles pour les récepteurs de photosynthèse, c'est à dire les récepteurs de "Lumières", etc. Tout cela dire que le véritable être de bois, c'est nous-mêmes ! Ne restons donc pas de bois.

En cabale française, "BOIS" laisse apparaître "BIOS", la vie ou bien Bi-os, deux origines, humaine et divine. Veuillez noter au passage ce clin d'oil de l'esprit qui signale en ces lettres : O-B-IS ! Obéir, oui, car se libérer des fils a demandé à notre Pinocchio d'obéir à sa conscience et à son père.

C'est aussi un autre impératif : BOIS ! Hasard ? Non, bien sûr, "Buvez mon sang" est l'exemple le plus connu. Cela veut dire : Assimilez mon enseignement. J'en viens naturellement au PIN, homophonie de PAIN, qui est, lui aussi, né du labeur de l'homme sur un travail d'une substance. Le "Mangez mon pain", est l'expression d'une exemplarité d'action, car il n'y a d'amour que des preuves d'amour.

Tel est l'humain, un être de bois qui se modèle. Vous avez cependant remarqué que les termes associés au bois ont une connotation négative : "langue de bois", "rester de bois", et même "chèque en bois", pour désigner des valeurs vides. Effectivement, notre Pinocchio est à sa naissance une valeur, mais vide de principes et de compréhension. Il est le garnement, le chenapan immature et non le bon garçon vertueux. Tel est l'humain par essence.



La dualité

Toutes les traditions le mentionnent : le bipède humain n'a pas une origine terrestre, mais angélique. Au cours de la fameuse révolte, il exprima ses pulsions d'égoïsme, d'orgueil, de vanité qui sommeillaient en lui, et ce fut une bonne chose ! Lors de l'incarnation terrestre, ces instincts ataviques se réveillent pour qu'il puisse les combattre et acquérir une énergie, une volonté de développer des qualités. Faut-il le savoir !

Question : Pourquoi notre gentille fée bleue a créé un esprit à Pinocchio si méchant, alors que notre Geppetto ne désirait qu'un fils agréable ? Est-elle un brin. espiègle ? Non, point de hasard dans les tortueuses pérégrinations de la pensée et des projets des dieux. Comprenez que la terre est une terre d'élection et de sélection de valeurs et de qualités. Et c'est justement l'histoire de notre Pinocchio avec sa naissance si mystérieuse. Une marionnette qui parle, n'a-t-on jamais vu ça ? L'humain est bien un animal qui parle. non ?

Ha ! J'ai failli oublier ! Notre fée est tout de même pleine de précautions. Elle donne à notre cher Pinocchio une conscience : un criquet ! Il est petit, perturbant et toujours de bons conseils, mais jamais une obligation. Vous comprenez à présent pourquoi cette conscience est "extérieure" à l'esprit de Pinocchio, car si sa conscience était déjà intériorisée, il n'aurait pas de travail à faire sur lui. Cette conscience extérieure lui donnera l'occasion d'exercer ses choix (mot que l'on trouve en anagramme dans les 4 dernières lettres de PinocCHIO = CHOI) par de judicieux conseils. Chez l'humain, cette conscience est aussi "extérieure" dans le sens de liberté de choix. Elle est la petite voix qui nous pousse à bien faire.



Le temps des épreuves

Durant toutes ses épreuves, Pinocchio subit une métamorphose particulière : son nez s'allonge à chaque mensonge. Cette caractéristique amusante apporte deux enseignements.

1. Le premier est celui de la loi de cause à effet. Une action se répercute plus ou moins sur son "émetteur" selon son importance. Plus Pinocchio ment, plus son nez s'allonge. Il ne peut y échapper, qu'il le veuille ou non il est assujetti à cette loi. Pour l'humain, cette loi existe, mais le "choc en retour" est différé dans le temps. D'où pour lui la difficulté de compréhension pour établir des liens entre les causes et les effets. Cette loi est connue sous le terme de Karma.
2. Le deuxième symbole lié à l'allongement du nez, est la mise en valeur d'un impératif : "Suis ta conscience, ton intuition !". Pourquoi ? Parce que c'est par le nez que s'effectue l'inspiration. Le nez est le symbole de l'intégration de substance air-esprit. "Avoir du nez", ou "Avoir le nez creux", sont des expressions assimilées à l'inspiration, l'intuition. Dieu souffle dans les narines d'Adam un souffle de vie pour qu'il prenne possession d'un esprit personnel. Ainsi, le nez qui s'allonge devant les yeux ébahis de Pinocchio est sa propre injonction à "sentir" mieux, à réfléchir, selon un autre niveau.



Les 2 compères

Vous avez pu apercevoir que deux compères mi-hommes, mi-animaux, entrent en scène. Ce sont un renard et un chat, ou une chatte dans le film. Ce couple malfaisant est, à l'image inversée de Jiminy criquet, la tentation, les mauvais penchants qui feront parti des choix de Pinocchio. Le système des choix est alors respecté : Le bien d'un coté et le mal de l'autre. Pinocchio pourra donc faire son apprentissage de façon autonome. C'est identique pour l'humain. Outre la petite voix de la conscience, des pulsions, des envies de plaisirs ou de bonheurs faciles le poussent souvent à mal faire les choses. Cette inspiration à mal faire est souvent incompréhensible pour l'homme sur terre, ignorant de sa raison d'être. Le fait de mettre des obstacles ne veut pas forcément dire que l'on veut sa perdition, mais plutôt un renforcement de ses capacités. Il ne viendrait pas à l'esprit d'un coureur de 110 mètres de blâmer la présence des haies. Les épreuves ne sont rien d'autre que des tests de sélection. Le savoir facilite l'acceptation de l'épreuve mais n'en dispense pas. Le renard exprime le caractère malin, intelligent de l'inspiration du mal, le chat en exprime le caractère sournois et autonome.

Pinocchio commence à jouir de la vie de manière indépendante, ou du moins le croit-il. Mais vivre sa première liberté n'est pas chose facile et bien sûr, il fit quelques bêtises. La plus grosse, dans le film, fut de saccager une pâtisserie, le lieu des plaisirs. Pour ceux qui connaissent l'histoire de la chute des anges, reconnaissez l'étape où ceux-ci profitèrent de leur nouvelle liberté jusqu'à la sentence prononcée par le tribunal selon les désordres commis. Pinocchio a vécu la même chose, comme par hasard, et curieusement, ce fut Gepetto qui fut mis en jugement, responsable paternel de son fils. Pourquoi ? Parce que le véritable responsable du désordre, ce fut le créateur lui-même. C'est lui qui infusa en ces anges des velléités de liberté. Etant au dessus des temps Il savait naturellement ce qu'il faisait.



Le Théâtre...

prononcé fut de confier la garde de Pinocchio au sieur Lorenzini, directeur d'un théâtre de marionnette. Ce lieu symbolique correspond à une sorte de monde à l'intérieur du monde, avec une mise en scène particulière d'un auteur sur un peuple de marionnettes. Essayez de deviner. Le théâtre représente la terre, monde à l'intérieur du monde, où les marionnettes humaines jouent leur rôle. C'est amusant comme les "hasards" sont troublants, Pinocchio est déguisé en soldat dans la pièce dans laquelle il joue, luttant contre un géant pour libérer la reine. Par la suite, il sauve la reine à partir d'un navire qui arbore un drapeau "Liberté".

Eh oui, l'humain doit lutter contre un géant sur cette terre. qui n'est pas autre chose que lui-même ! Sauvez la reine ? C'est sauver l'Amour, le principe féminin. Tout cela dans un navire, son corps, qui est sous la bannière de la Liberté. Le plus étrange est qu'il doit lutter contre un dragon-baleine contre lequel il va effectivement se battre plus tard. Le théâtre représente bien la vie, mais mise en scène avec un scénario. Lorenzini, directeur du théâtre, est en fait le nom véritable de l'auteur du conte. Dans la version originale, le directeur du théâtre est prénommé "le mangeur de feu". Peut-être les auteurs du film ont-ils voulu rendre un hommage à l'auteur, avec le souci de garder le caractère pyrotechnique du personnage ! Lorenzini dans le film met le feu au théâtre, le transformant en enfer, prenant ainsi le rôle du "méchant". Il en faut toujours un.

La traduction pour l'humain de cet épisode dans la vie de Pinocchio n'est pas difficile à deviner. L'auteur de notre monde a laissé le feu s'installer, et nous vivons dans notre propre enfer. Le monde autour de nous part dans une dérive certaine, et notamment en ce qui concerne les catastrophes naturelles. La guerre, les combats, les animosités, tout cela représente le "feu" de notre théâtre. En cabale, le mot THE-ATRE signifie "foyer de Dieu" (THE pour Théos). Vous allez me dire : "Mais pourquoi l'auteur du scénario terrestre laisse-t-il le feu se propager ?". Oui, toute la compréhension de ce qui nous arrive vient de cette question.



Et Dieu...

Dieu sait bien sûr ce qu'il fait, ou alors il serait criminel. Si vous êtes athée, la question ne se pose pas, mais si vous êtes croyant, comment comprendre que Dieu, Allah, Jéhova, ou le "Grand Architecte de l'Univers" laisse faire avec une désinvolture révoltante les terribles crimes auxquels nous assistons ? Serait-il insensible au malheur, ou lui-même complice des crimes pour non-assistance ? N'est-il pas tout puissant après tout ? Il faut bien admettre qu'il laisse faire, avec joie, non, mais il laisse faire, et encore plus grave, il amplifie les malheurs. Il y a de quoi se révolter non ? Mais au plus terrible de l'épreuve, les cours se soudent et émergent de véritables valeurs sur les cendres des catastrophes. Regardez comment les villageois oublient leurs querelles bassement humaines lorsque toutes les maisons sont détruites, suite à un tremblement de terre. Le voisin devient un frère de souffrance, mais un frère tout de même. Du chaos émergent de véritables cours, et c'est pourquoi "on" accélère les conséquences de nos choix erronés. Dieu et le Malin travaillent de concert. pour faire naître des consciences et des âmes.

Pinocchio par la suite cherche à se réfugier, cherche sa source, sa souche, et cela correspond à la recherche du paradis, du bonheur, de notre véritable origine, à travers différentes visites de "lieux". Après avoir quitté le théâtre, Pinocchio parcourt différents environnements, c'est à dire pour l'humain plusieurs mondes, plusieurs planètes. "Il y a plusieurs demeures dans le royaume de mon Père" disait le violent Jésus. Ne croyez pas qu'un humain se forge sur une seule vie, sur un seul monde, ce serait trop facile.



Le Karma

Pinocchio va ensuite essayer de faire fructifier son argent de façon naïve, pour Geppetto, mais sa bonne conscience lui dicte son ordre de pensée : "Les miracles ne poussent pas sur les arbres. Les miracles viennent du cœur ". Effectivement, je rajouterai même qu'on ne doit attendre que le miracle de ses efforts.et il existe ! Sachez qu'une qualité développée non seulement amplifie les autres qualités, comme par magie, mais provoque, un jour ou l'autre, mais rarement à court terme, plutôt à long terme, un cadeau en retour qui "tombe du ciel". C'est la loi du karma. Cet épisode des 5 pièces d'or désigne la richesse humaine ( Le chiffre 5 pour désigner l'humain et ses 5 sens), qui est donc la richesse de cœur . Le fait de vouloir enterrer son trésor pour le faire fructifier correspond au trait psychologique classique de l'attente consciencieuse immobile. "On ne peut se changer" est l'adage préféré de ceux qui renonce à multiplier leurs valeurs. A partir d'un certain âge, beaucoup ne cherchent plus à faire évoluer leur caractère, ils "enterrent" leurs trésors. Dommage, quelle naïveté de pantin !



Puis vient l'épreuve principale...

Celle où les enfants, avec Pinocchio, arrivent au pays des jouets. C'est le lieu rêvé ! Il n'y a ni livres ni maîtres et les vacances durent tout le temps. Dans le film, c'est une véritable fête foraine ou les dégradations et violences sont encouragées. L'ami de Pinocchio dans cette épreuve porte un nom étrange : Lumignon ! C'est, d'après la définition classique, un petit morceau de chandelle qui diffuse une lumière faible.

Effectivement, chaque être est un "petit bout de lumière" qui brille plus ou moins fortement. Depuis longtemps les traditions associent la valeur d'un être à son intensité "lumineuse". Comment l'interpréter rationnellement ? Vous connaissez la solution : Le mot Lumière est choisi non seulement pour exprimer ce qui est l'attribut d'un esprit brillant ou hautement spirituel mais aussi par perception plus ou moins consciente d'une aura émanée. Déjà nos artistes, très sensibles au sens visuel, dessinaient des auréoles autour de la tête de nos saints hommes. A présent, l'étude des phénomènes énergétiques est plus rationnelle, les Chinois ont d'ailleurs fondé des techniques de guérison et de bien-être par l'utilisation de cette force intérieur, le "Chi" et les méthodes d'acupuncture.

Plus récemment, le scientifique russe Kirlian découvre en 1939 une méthode pour prendre des photographies d'émanations énergétiques des corps. L'interprétation des couleurs des auras révèle des choses étranges. Notamment le fait qu'une aura de pétale de rose coupée reste presque à l'identique du pétale entier. D'autres expériences montrent que ces émanations colorées sont dépendantes, non seulement de l'état de santé physique, mais aussi des sentiments exprimés. La fameuse Lumière décrite depuis longtemps n'est pas une simple image de magnificence, c'est une réalité.

Voici donc notre Pinocchio avec son "petit bout de lumière" comme deux larrons en foire. C'est l'expérience ultime, la liberté totale. Le phénomène de groupe l'entraîne malgré lui à s'identifier à la norme du plus nombreux. L'image correspondante de l'humain sur cette planète n'est-elle pas alors un peu simpliste ? Malheureusement non, voyez les manifestations de masse. Le pays des jouets un monde plein de leurres car ces enfants terribles ont toute liberté de faire le mal sans conséquences immédiates. Casser, polluer, détruire, se quereller, nous voyons ces mêmes lumignons tous les jours en regardant les informations télévisées.



La punition tombe...

après avoir bu une eau vraiment spéciale. Ils se transforment en ânes. Les corps se transforment en leur correspondance la plus proche, en résonance d'osmose. En traduction symbolique, nos anges humains, selon les lieux où ils se trouvent, ont toujours cette liberté de choix qui induit des lois de réaction plus ou moins rapides. Boire de cette eau signifie assimiler un enseignement, une façon de vivre qui peut être constructive ou bien dissolue, les transformant ainsi en animaux. Pourquoi l'âne ? Parce qu'ils ne peuvent plus utiliser le verbe, mais en sont réduit à braire. L'âne est le symbole d'une personne ignorante à l'esprit borné. La transformation des enfants capricieux en ânes fait les affaires de notre Lorenzini, le Lucifer à qui profite ces transformations. Pour l'humain, la transformation est aussi effective dans un certain sens car le phénomène de résonance s'exprime à la mort de l'individu. Il se retrouve pour les étapes suivant son départ dans des milieux et des états qui correspondent au potentiel lumineux qu'il a construit en lui.



Pourtant...

Pinocchio ne se transformera pas entièrement en âne et pourra s'échapper des griffes de Lorenzini. Son courage et sa vivacité le sauvent. "Le royaume des cieux est pour les violents" dit-on parfois. Refuser de suivre ce que la majorité impose pour l'accomplissement d'un idéal est la véritable renaissance, la véritable initiation. Et l'épisode suivant l'évoque de belle façon.

Pinocchio se rend alors compte de la disparition de son père parti à sa recherche. Il s'est embarqué sur l'océan pour retrouver son fils. Cet acte d'amour a ému notre pantin qui part lui aussi vers cet immense océan pour le rejoindre. L'océan évoqué n'est pas en réalité seulement un lieu géographique mais un espace psychique, spirituel. Il est infini, insondable, soumis à des tempêtes ou à des vents violents. Il est sujet à des marées cycliques, des vagues, des températures, tout comme un esprit qui s'agite. Il est fait de cette eau primordiale d'où a jailli la vie. Cet océan est tout simplement le Verbe, la véritable matrice. Le père se cache dans une immensité que le fils doit parcourir. Il le trouvera bien sûr, mais selon des conditions bien précises !



Jonas

Pinocchio va donc subir l'épisode biblique de Jonas. Il va être avalé vivant par un poisson énorme. Selon les versions racontées, il est question d'une baleine, d'un requin ou d'un monstre marin. En voici la traduction : Se faire avaler par la baleine, c'est la mort initiatique. Selon la tradition islamique, la baleine est liée dans l'alphabet arabe à une coupe, une arche, qui est rapproché symboliquement du cœur . La lettre arable "nûn" est une coupe surmontée d'un point indiquant son centre : c'est le "germe d'immortalité contre le cœur ". Et ce n'est pas par hasard non plus si le Christ est représenté par l'Ichtus, le poisson. Laissez-moi vous aider à traduire cette coupe liée à ce poisson. L'image de la baleine est identique à l'image de la caverne où la vierge apparut et où les francs-maçons descendent pour faire leur testament philosophique.

Descendre dans la caverne ou être avalé par le poisson, c'est pénétrer dans sa propre personne, son propre cœur , c'est réussir à s'intérioriser totalement pour disparaître ou bien mourir. Il faut pour renaître à un autre état tout d'abord mourir à l'ancien, comme un papillon qui naît de la mort d'une chenille. (Ou d'un fils à partir de pantin de bois). Faire peau neuve est nécessaire pour se transformer. Le poisson exprime celui qui sait respirer de l'eau-esprit, la caverne étant le cerveau de notre matière-matrice. Le poisson est donc le Verbe-fils et la caverne la Mère-Matrice. Et c'est là que Pinocchio trouvera son père, dans la caverne-ventre de notre poisson, c'est à dire à l'intérieur de son cœur que son esprit parcourt depuis si longtemps. Où pouvait-il trouver son père autre qu'à l'intérieur de ses sentiments ?

Cet amour intériorisé librement exprimé permettra à Pinocchio d'acquérir suffisamment d'énergie pour être transformé par notre gentille fée bleue en un véritable petit garçon. L'enfant s'est fait fils et transforme son géniteur-créateur en Père. Ce message n'est pas nouveau puisque le violent Jésus, ce Pinocchio mystérieux, désignait déjà le Dieu de l'ancien testament en un Père à retrouver et à aimer.



Conclusion

Un détail qui vous a peut-être échappé : pourquoi ce nom de Pinocchio, "Oil de pin" ? Et bien c'est tout simplement l'expression de cette mémoire angélique implanté en l'humain. L'oil de pin, c'est l'échange entre le corps de l'ange et l'esprit humain, à travers la glande pinéale, littéralement "en forme de pomme de pin". Cette glande épiphyse secrète des éléments et des vibrations, c'est notre "troisième oil". Elle participe en tant que lien à notre potentiel angélique. (En cabale française : EPI-PHYSE, ce qui est "au dessus" de la "nature"). Ce clin d'oil n'est pas fortuit.

Nous sommes tous des PINOCCHIOS = 111 sans le savoir, chacun devant devenir librement un jour LE FILS DE DIEU = 111. Nous sommes faits de ce bois qui a engendré des enfants perdus à la recherche de leurs origines. La solution du "mal être" qui nous anime parfois est au plus profond de nous, dans l'océan de nos sentiments, dans le tréfond de notre cœur . Et souvenez-vous, à la fin du film, notre Pinocchio demande à son père de lui façonner une petite fille, exprimant son besoin fondamental de cette âme sour. C'est alors une autre histoire qui commence.

Je sais que sur un conte il y a une infinité d'interprétations et que toutes participent à des compréhensions nouvelles. Celle que je viens de décrire n'est pas courante, mais fait partie d'une trame unitaire en relation avec les autres légendes. En fin de compte, les légendes racontent entre les lignes l'histoire angélique de l'Homme en formation. Il faut y prêter attention pour ne pas rester un enfant orphelin d'un destin particulier. L'histoire de Pinocchio est merveilleuse de recoupements. Merci à son auteur.

Le Manichéisme: la Doctrine


Le Christianisme au temps de Mani, c’est celui des premiers Pères de l’Eglise, c’est également le temps des débats théologiques. Le temps apostolique est révolu, les communautés chrétiennes se sont formées et soudées, autour de philosophes, penseurs ou ascètes. Quant à l’Eglise catholique, Une et Indivisible, elle guette déjà ses fondations, espérant rallier les troupes et conquérir le monde romain par l’organe politique, craignant dissidences et schismes, de la part de sectes aux mœurs étranges et coupables, dont les gnostiques : valentiniens, basilidiens, marcosites, naasènes, simonistes ou encore marcionites, une seule et même menace qui déjouée, permettra de consolider les bases de la « vraie foi ». Une armada de théologien est déployée pendant quelques siècles, c’est la naissance de l’hérésiologie. Face aux infamies d’un Arius ou d’un Nestor, que faire si ce n’est organiser conciles sur conciles, et compiler dans un canon unique, les piliers du salut officiel des âmes ? Parmi ces adversaires officiels, qui ne se privaient pas pour certains d’assister aux liturgies de l’Eglise officielle, on parvient dans ce bouillonnement religieux, à distinguer plusieurs tendances : les Judaïsants, nostalgiques de l’Eglise de Jérusalem, et les anciens Païens, ayant suivis Paul et ses descendants. Les premiers, rejoindront les troupes de l’apôtre de Damas et de l’Eglise catholique, pour la plupart. Mais certains embrasseront l’austérité du désert, et se replieront sur eux même, en mémoire des premiers esséniens et nazoréens : on y verra alors fleurir toute une prophétologie biblique, justifiée par les visions de leur maîtres spirituels. Les seconds, seront le corps vital de l’Eglise Romaine, quant à ceux qui auront de fâcheuses tendances à conserver la mémoire des cultes païens, égyptiens notamment, ils seront relégués également au rang de gnostiques, licencieux ou non. Dans les cercles restreints de ces penseurs, ou philosophie grecque, pythagoricienne, néo platonicienne et hermétiste se mêle aux mystères isiaques et orphiques dans des pratiques quelques fois magiques, on entendra parler de Monade, d’éons, ou de Plérôme, termes qui nous paraissent aujourd’hui bien obscurs, mais qui à l’époque relevaient d’un enseignement secret de Jésus, destinés à quelques élus… Mani, élevé dans un judéo-christianisme gnostique austère, étudiera un corpus textuel bien différent de celui de l’église de Nicée, ou évangiles apocryphes se mêlent à des exégèses judaïques, tel le livre d’Henoch. Pas questions d’adhérer aux pratiques blasphématoires des mages, et aux dogmes de ce faux prophète Zarathoustra, régnant en maître dans les contrées mésopotamiennes, encore moins de suivre les rites sanglants des pharisiens du sud ou de manger le pain levé des chrétiens non circoncis. Les elkasaïtes se baignent dans l’eau sacrée au cours de baptêmes quotidiens, tandis que les démons vénèrent, eux, le feu impie. Mani, en mauvais élève qu’il était, aurait-il rencontré spirituellement au cours d’une évasion temporaire, le prophète solaire Zarathoustra, figurée sur une peinture rupestre, tel que nous le rapporte Amin Maalouf dans son magnifique livre intitulé les jardins de lumière ? Lui aurait-il emprunté dans la clandestinité, son dualisme intégral ? Aurait il, après avoir vécu certaines souffrances de la vie, après avoir entendu la nature crier à l’aide, eut l’idée de l’existence d’un Mal éternel, étranger au Dieu d’amour, coupable de tous les maux de la Terre? Comment expliquer dans sa révélation, l’effusion ordonnée d’éléments gnostiques, zoroastriens et bouddhiques ? Seul l’ange de la révélation pourra nous apporter la réponse…

Son ange, son « double lumineux », At-Taum, justifiera un tel syncrétisme, en faisant de lui, le Paraclet annoncé par le Christ, l’Esprit de Vérité, qui apportera la connaissance des choses éternelles à ceux qui auront des oreilles pour entendre. Cette Connaissance, c’est ce que les dignitaires manichéens de la cour de l’empereur de Chine, ont appelé, la doctrine des Deux Principes et des Trois Temps…C’est avant tout celle de la Gnose, de la libération. La cosmogonie n’étant qu’un récit imagée de la création, Mani entendra concilier les inconciliables afin de laisser le terrain à l’universalisme, et à redonner à l’homme, sa place d’être vivant, devant surmonter sa propre dualité, afin rejoindre sa source originelle…

Pour en venir aux faits, à la Monade Valentinienne, Mani répondra deux Principes, coéternels, séparés l’un de l’autre par un abîme sans fond. Ces deux principes sont ceux du bon et du mauvais arbre de la parabole de Jésus, avec leurs bons et leurs mauvais fruits, provenant tous deux de racines différentes. Ces deux arbres sont avant tout le symbole de deux Dieu, l’Un de lumière, l’Ahura Mazda des Zoroastiens, l’autre de ténèbres et de matière morte, l’Ahriman, le Shaïtan biblique, l’adversaire, le Principe de contradiction. « La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point saisis », nous rappelle le Prologue de Jean. Dans ses Kephalia, Mani parlera en ces termes : « Bienheureux celui qui connaît les deux arbres et les sépare l’un de l’autre, et qui sait qu’ils ne sont pas nés l’un de l’autre, issus l’un de l’autre, et qu’ils ne sont pas non plus sortis d’une seule souche. » (Keph 23). Qu’en est il du temps zéro de l’Univers, le temps ou Rien ou Tout existait, le temps au delà de l’éternité des deux principes ? Mani n’y répondra pas, voyant en ces considérations métaphysiques, les limites ultimes de l’esprit humain: « Quelle est l’essence de [ces arbres ?], personne ne peut en rendre compte, la dévoiler ou expliquer son origine…[…]…Depuis l’éternité [...], qui existe depuis toujours, personne est à même de comprendre comment cela existe. » (Keph 66). Le premier temps, qui pose l’existence coéternelle de deux univers distincts, gouvernés par deux « dieux » distincts, est en aval de ce temps zéro, indéterminable.

Le récit de la cosmogonie débute donc à partir du moment ou les ténèbres, ayant eut l’image de la lumière, décident par convoitise, de se lancer à la conquête du Royaume du Père de la Grandeur, le Dieu de lumière. Les prémices de cette guerre cosmique, marquent le début du second temps, celui du mélange entre lumière et ténèbres, entre esprit et matière. Etant donné que Mani considère que ce temps est celui de la création, celui de l’homme et du monde dans son état actuel, il apparaît que l’adjectif manichéen, est en réalité totalement contradictoire à la pensée de Mani. En nos temps « historiques », tout est mélange grossier entre matière et esprit, tout est gris, et non scindé magnifiquement, comme au commencement. Les détails de ce second temps, qui est celui de l’émanation et de la création, ne manquent pas. Haut en couleur, le panthéon manichéen pourra être largement comparé aux panthéons gnostiques de ces contemporains. J’en résumerais les grandes lignes, afin de ne pas perdre le lecteur dans des considérations mythologiques complexes.

Le Père de la Grandeur, ne pouvant permettre l’invasion des Terres de la lumière, et ainsi la corruption de ses Eons parfaits baignant dans son Amour total, ne pouvant également déserter son Univers, étant lui-même le Corps de cet Univers de Plénitude, entreprends l’émanation de la Mère des Vivants, qui n’est pas sans rappeler la Barbélo gnostique. De ce couple primordial, cette syzygie fondamentale, naîtra un fils : l’Homme primordial. Celui-ci sera paré d’une armure lumineuse, forgée à partir des cinq éléments lumineux constituant l’éon du Père : la lumière, le vent, l’eau, le feu et l’air. Sous le commandement du Père, l’Homme primordial descendra dans les abysses, afin d’affronter les ténèbres.

A la suite d’une lutte acharnée, il sera fait prisonnier. En Riposte, afin d’arracher son fils de l’emprise des ténèbres, le Père de la Grandeur émanera l’Ami des lumière, qui lui-même évoquera le Grand Architecte, puis l’Esprit Vivant. Du haut de la falaise séparant l’abîme de l’Eon de la lumière, il viendra au secours de l’Homme primordial. L’appel de l’Esprit Vivant permettra à l’Homme primordial de retrouver la conscience de sa nature lumineuse, et ainsi, du jeu d’appels et de réponses entre ces deux entités, seront émanés les cinq fils de l’Esprit Vivant : l’Ornement de la Splendeur, le Grand Roi de la Magnificence, l’Adamas, le Roi de la Gloire, et le Porteur. Cependant, alors que pour sa rédemption, l’Homme Primordial reçoit un baiser de la Mère et une main droite de consécration de l’Esprit Vivant, il est contraint d’abandonner ses fils, les cinq éléments, à l’esprit des ténèbres.

Ce dernier fait est pour Mani, la cause de l’existence des mondes intermédiaires. Des particules de lumière sont sous la domination du Mal, ainsi, pour organiser leur libération, l’Esprit Vivant sera contraint d’organiser le monde à partir des débris de la première guerre cosmique. De la peau et des os des esprits ténébreux, les « archontes », la Mère des Vivants et trois fils de l’Esprit Vivant, construisent onze cieux et huit terres. Pour libérer les particules de lumière, les archontes, mâles et femelles seront accrochés à une gigantesque roue cosmique, la roue du Zodiaque. Afin d’actionner cette roue, le Père de la Grandeur, envoya le Messager qui convoquera lui-même douze vierges lumineuses, qui seront, elles, placées sur la roue, afin d’attiser le désir des archontes. En montrant leur face lumineuse, le Troisième Messager, ou Ambassadeur, et ses douze Vierges les contraindront à avorter et à éjaculer les éléments. Leur substance lumineuse retombera alors sur la Terre et dans les Mers, mêlée cependant à leurs péchés. Pour permettre à la lumière enfermée dans les archontes de rejoindre l’Eon du Père, le Soleil et la Lune seront constitués en étapes transitoires, appelés « navires », en amont de cette roue cosmique, qui me fait inévitablement penser à celle du dharma dans le Bouddhisme…Ces véhicules permettront aux substances lumineuses éjectées par les archontes, après y avoir été conduit par une colonne lumineuse, la Colonne de Gloire, de se purifier de leur poison avant de rejoindre leur source.

Cependant, les deux archontes femelle et mâle Nebroël et Ashaqlun, afin de condamner définitivement à l’exil les particules de lumière, décidèrent d’enfanter un fils et une fille à l’image du Troisième envoyé et des Vierges de lumière que leurs avortons nés du péché aperçurent sur la roue cosmique. Ainsi naquirent Adam et Eve, dont le corps grossier pourrait emprisonner les éléments à jamais par leur descendance. Le Père de la Grandeur, afin de réveiller Adam et Eve de leur torpeur, envoya à leur rencontre son fils précieux, Jésus de Splendeur, Christos, « première Rose née du Père » d’après un psautier copte. Jésus apparut donc à Adam dans un jardin et lui donna le fruit de la connaissance, afin qu’il se souvienne de son origine divine et qu’il contemple le Trône du Véritable Dieu. Adam s’écria alors : « Malheur, malheur au créateur de mon corps, à celui qui y a lié mon âme aux rebelles qui m’ont asservi » d’après Théodore Bar Konai, prêtre nestorien qui au VIII° siècle, rédigera l’essentiel de la cosmogonie manichéenne. Cet épisode est un classique de l’interprétation gnostique de la genèse biblique. Le fruit de la Connaissance, défendu à Adam, est en fait sa salvation, sa délivrance du monde d’un dieu jaloux. Le serpent de la Genèse, pour les naasènes, était l’initiateur, le Christ lui-même apparut également à Adam, par le biais d’Eve afin de lui permettre de s’évader de l’emprise de ce Yahvé tyran. Mani ne fera pas exception à cette tendance gnostique, et annoncera le récit de l’ancien testament « officiel » comme diabolique, et traitant de la domination des archontes sur les hommes.

A cette image d’un Adam mythique, sauvé par un Christ cosmogonique, Mani superposera la rédemption de l’humanité, c'est-à-dire la descendance « historique » d’Adam à une série de prophètes, émissaires du Troisième envoyé. Parmi cette lignée on distinguera Seth, Enosh, Enoch, Sem et Noé. Mani parlera également du salut opéré par Zoroastre en Perse, Bouddha en Orient et Jésus en Occident. Quant à lui, il se présentera comme le « sceau des prophètes » (ce terme sera repris plutard par Mahomet), le Paraclet, envoyé du Christ cosmique pour enseigner la vérité au monde et se mettre au service de la défense de l’humanité lors du futur jugement dernier.

Si Jésus est perçu comme un juge eschatologique non seulement par les chrétiens du Jean de l’apocalypse mais également par les musulmans, Mani sera pour ses adeptes, l’avocat des hommes, le défenseur, le consolateur. C’est la Pentecôte, qui annonce, pour les catholiques, la venue du St Esprit, sous la forme de « langues de feu » et non comme le prétendent les manichéens, sous la forme d’un homme, c'est-à-dire par une voie d’incarnation. Je peux imaginer, sachant que Mani vouait une certaine admiration pour Paul, que pour les manichéens, ce même Esprit Saint, alors transmis en chaque apôtre, et propagé par la succession apostolique, eut pu, à un moment de l’histoire de l’Eglise, s’incarner totalement en un personnage sotériologique secondaire, c'est-à-dire un Imam, la main gauche d’un prophète ou d’un Homme-Dieu, en l’occurrence dans ce cas, en Mani. Cette succession sotériologique, qui se présente sous la forme d’une image de la succession cosmogonique, a été totalement occulté par le christianisme tardif, tandis qu’elle a été mise en valeur dans l’Islam imamique, c'est-à-dire le Chiisme ésotérique. Dans le christianisme ésotérique, comme dans le baptisme, on conservera cette idée dans la figure des Jean baptiste et Jean évangéliste. Dans la Religion de lumière, on parlera de Mani.

En amont de cette histoire imamique, le sauvetage historique de l’humanité pour les manichéens, comme pour de nombreux gnostiques, ne peut avoir eut lieu lors de la mise à mort d’un corps de chair. Jésus est venu de l’Eon du Père dans le monde sous la forme d’un corps glorieux, protégé des souillures de la matière, afin de rappeler à leur origine, les particules de lumière exilée en l’homme. Il a élu ses douze apôtres en faisant descendre sur Terre les douze vierges de lumière, également sous une forme glorieuse. Il a été cloué sur la croix à la suite de la trahison de Juda, qui a subit dans son corps subtil, l’influence du prince des ténèbres. L’épisode de la Passion, est avant tout pour Mani, le symbole de la souffrance de la lumière enfermée dans la matière. Le Christ Vivant, est dans la nature, cloué à une croix matérielle. L’évangile sera donc une image du processus de réintégration de la lumière divine, quant à son historicité conservée par le catholicisme romain, elle sera démentie constamment en Orient, le long de son histoire religieuse. Les disciples de Mani au Maghreb, au temps d’Augustin, avaient pour coutume de dire à leurs détracteurs : « Le Christ naît chaque jour, souffre chaque jour et chaque jour meurt ». On peut également lire dans Contre Fortunat d’Augustin (Fortunat étant élu manichéen d’Hippone) à propos des controverses entre le Père de l’Eglise latine et ses anciens maîtres : « Bientôt une conversation très animée s'engagea de tous côtés, à tel point que Fortunat s'écria que la parole de Dieu était enchaînée dans la nation des ténèbres. Un frémissement d'horreur accueillit cette parole et tous se retirèrent. ».

Pour Mani, la rédemption procède de la Connaissance, c'est-à-dire de la Gnose. C’est par la Parole du Christ, c'est-à-dire par l’Esprit Saint, et son Enseignement, que l’âme humaine peut se « rappeler » de sa condition divine, et ainsi, se libérer des chaînes de la matière morte. Ce processus, que l’on pourrait définir comme un tantra manichéen, puisqu’il s’applique essentiellement aux différents corps constitutifs de l’homme est également valable pour l’ensemble de la nature. La lumière est en effet enfermée en chaque atome de matière, ainsi, la rédemption de la lumière, c'est-à-dire des éléments lumineux, pourrait être définie comme un processus alchimique, dans le sens ou l’entendaient les anciens.

Lorsque toute chose aura reçu pleinement la lumière de la Gnose, c'est-à-dire l’Esprit en conscience, à la suite de nombreux cycles d’incarnations successifs (la doctrine manichéennes reprends des éléments de la métempsychose), l’Eon du Père aura retrouvé tous ses fils et filles. Le monde du mélange prendra fin, et les principes seront séparés à nouveau comme au commencement. C’est le troisième temps de la doctrine manichéenne, celui de la réintégration universelle.

"Le manichéisme", par Morgan Vasoni, revue "l'Initiation", dirigée par Yves-Fred Boisset, numéro 3, novembre 2006. Site officiel .

Avicenne : l'homme, l'oeuvre.


"Marche avec des sandales jusqu'à ce que la sagesse te procure des souliers."

Avicenne est un des plus grands noms de la philosophie islamique et l’avicennisme se situe au carrefour de la pensée orientale et de la pensée occidentale.

La forme du nom sous lequel Avicenne est traditionnellement connu dans l’histoire de la philosophie et de la médecine en Occident résulte d’une mutation de la forme authentique Ibn Sina, advenue au cours du passage de ce nom à travers l’Espagne. Cette mutation est déjà un indice de la double perspective sous laquelle on peut envisager l’œuvre d’Avicenne et, d’une façon générale, l’avicennisme: perspective occidentale, telle que nous l’avait léguée la scolastique latine médiévale, et perspective de l’islam oriental ou, plus exactement, celle de l’islam iranien, où la tradition avicennienne a continué de vivre jusqu’à nos jours.

La perspective occidentale latine résulte de la pénétration d’une partie de l’œuvre d’Avicenne dans le monde médiéval. Dès le milieu du XIIe siècle, à Tolède, on traduisit, avec quelques œuvres d’Aristote, un certain nombre de traités de penseurs musulmans: al-Kindi, al-Farabi, al-Ghazali (Algazel), Avicenne. Viendront ensuite les traductions des œuvres d’Averroès. Si importantes que fussent ces traductions, il ne s’agissait cependant que d’une entreprise fragmentaire par rapport à l’ensemble des œuvres d’Avicenne. Elle s’attachait, il est vrai, à un ouvrage fondamental: la somme qui a pour titre le Kitab al-Shifa’ (Livre de la guérison de l’âme ), embrassant la logique, la physique et la métaphysique. Aussi cela suffit-il pour déterminer une influence considérable, telle qu’il est permis de parler d’un “avicennisme latin” médiéval, même si peut-être il n’y eut pas de penseur chrétien pour être avicennien “jusqu’au bout”, au sens où il y eut des averroïstes pour qui l’œuvre d’Averroès s’identifiait avec la vérité philosophique tout court. La doctrine d’Avicenne put s’allier avec les formes de platonisme déjà connues (celles de saint Augustin, Denys, Boèce, Jean Scot Érigène); cependant, la cassure devait se produire à la limite où la doctrine avicennienne fait corps avec son angélologie, et, partant, avec sa cosmologie. C’est à cause de cette brèche que l’averroïsme devait, en Occident, submerger l’avicennisme. Les conséquences en pourraient être suivies, de siècle en siècle, jusqu’à nos jours. Il reste que les grands noms de la philosophie islamique connus de la scolastique latine sont uniquement ceux d’al-Kindi, al-Farabi, Avicenne, Ibn Bajja, Ibn Tufayl, Averroès. Ce sont ces mêmes noms qui eurent le privilège de retenir, les premiers, l’attention des philosophes orientalistes. Il en résulta un schéma assez simple. On connut la critique incisive portée par al-Ghazali contre Avicenne et contre la philosophie en général; on estima que la philosophie n’avait pas pu s’en relever. On connaissait l’effort massif d’Averroès, faisant face simultanément à la critique ghazalienne et à la philosophie avicennienne, pour restaurer ce qu’il estimait être le pur péripatétisme d’Aristote. L’effort d’Averroès, poursuivi en Andalousie dans des circonstances difficiles, fut sans lendemain en Islam occidental. Et c’est pourquoi, pendant longtemps, tout le monde a répété, après Ernest Renan, que la philosophie islamique s’était finalement perdue dans les sables après la mort d’Averroès. C’était par là même adopter une mauvaise perspective pour juger de l’œuvre d’Avicenne, sans pressentir la riche signification qu’elle revêtait ailleurs.


Cette signification, et avec elle la vitalité philosophique de l’avicennisme, c’est en effet ailleurs qu’en Occident que nous avons à en chercher le témoignage, à savoir en Islam oriental, dans ce monde iranien dont Avicenne était originaire et dans les limites duquel il passa toute sa vie. Là même où nous rencontrons une tradition avicennienne persistante, les philosophes qui y ont lu Ghazali n’en ont point tiré pour la philosophie les conséquences qu’en tirèrent certains Occidentaux, un peu obsédés par leur comparaison avec la critique de Kant. Quant au nom d’Averroès, il fut pratiquement ignoré en Orient; son œuvre ne put guère franchir les limites de l’Espagne; elle ne survécut même que grâce, en partie, à l’abri de l’écriture hébraïque et par les traductions latines publiées en Occident. L’averroïsme, c’est essentiellement le phénomène de l’“averroïsme latin”, qui se prolongea en Occident jusqu’au XIIe siècle, et qui exerça une influence en profondeur sur la pensée moderne. Pour comprendre l’œuvre d’Avicenne, il importe donc de la replacer dans la perspective où elle ne cessa de fructifier et d’inspirer, de génération en génération, des commentaires le plus souvent très originaux. Ce faisant, on la dissocie du complexe où nos historiens de la philosophie la situaient comme appelée à succomber soit devant Ghazali soit devant Averroès.


1. La vie et l’œuvre

Avicenne (Abu ‘Ali al-Husayn b. ‘Abd Allah Ibn Sina) est né, au mois d’août 980, près de Boukhara, en Transoxiane, c’est-à-dire à cette extrémité orientale du monde iranien qui, aujourd’hui en dehors des limites politiques de l’État iranien, est souvent désignée comme l’“Iran extérieur”. Quelques coordonnées seront utiles: en Occident latin, la fin du Xe siècle et le début du XIe sont plutôt une période d’attente; on ne peut guère signaler que les noms de Gerbert (Sylvestre II, 1003), Fulbert (1028) et l’école de Chartres, Lanfranc (1005-1089); saint Anselme naît en 1003. À Byzance, nous rencontrons le nom du grand philosophe néoplatonicien Michel Psellos (1008-1075). En Orient islamique, la pensée est en plein essor. Le grand théologien du Kalam sunnite, al-Ash‘ari, avait quitté ce monde en 935; le philosophe al-Farabi, surnommé “le Second Maître” (après Aristote), et dont un des livres devait mettre Avicenne définitivement sur la voie, était mort en 950. Les théologiens du shi‘isme duodécimain, Shaykh Saduq Ibn Babuyeh (991) et Shaykh Mufid (1022), achèvent de constituer le corpus des traditions des Imams du shi‘isme duodécimain, source de méditation pour plus d’un philosophe avicennien. Enfin l’œuvre d’Avicenne est contemporaine d’un fait d’une importance majeure: la constitution de ce que l’on peut désigner comme le corpus ismaélien, c’est-à-dire les œuvres considérables, tant en langue arabe qu’en langue persane, où s’expriment la philosophie et la théosophie de cette branche du shi‘isme que l’on appelle ismaélisme et qui représente par excellence l’ésotérisme de l’islam.


Avicenne et le shi‘isme

Il y a seulement peu d’années que nous sont connues quelques-unes des œuvres ismaéliennes représentatives, que la “discipline de l’arcane” fit trop longtemps garder dans le secret des bibliothèques. Il faut au moins mentionner les grands noms d’Abu Ya‘qub Sejestani (Xe s.), Abu Hatim al Razi (mort en 933) qui eut de célèbres controverses avec un digne adversaire, le médecin Abu Bakr al-Razi, le Rhazès des Latins, son compatriote (originaire comme lui de Rayy, l’ancienne Rhagès, ville toute proche de l’actuel Téhéran), Hamid Kermani (vers 1017), Nasir Khosraw (entre 1072 et 1077). Le fait est d’importance, parce que, sans que nous puissions discerner leur genèse, les penseurs ismaéliens produisent de véritables sommes dont la découverte a changé quelque chose dans notre vision de la philosophie en Islam. C’est ainsi, par exemple, que la théorie des Dix Intelligences, définitivement constituée chez al-Farabi et qui se retrouve au long des siècles dans toute cosmologie et gnoséologie traditionnelles, reparaît avec un sens approfondi, chez Hamid Kermani, avant qu’Avicenne ne l’intègre à son propre système. Fait non moins significatif pour la vie culturelle et spirituelle de l’islam iranien: le propre père et le frère d’Avicenne appartenaient à l’ismaélisme. Lui-même, en son autobiographie, fait allusion à leurs efforts pour entraîner son adhésion à la confrérie, à la da‘wat ismaélienne. Mais, bien que l’on puisse dégager certaines analogies de structure entre l’univers avicennien et la cosmologie ismaélienne, le philosophe ne se décida pas à rallier la confrérie. Une autre question reste posée: s’il se déroba devant le shi‘isme ismaélien, la confiance que lui témoignèrent les princes shi‘ites de Hamadan et d’Ispahan ne conduit-elle pas à penser qu’il a dû rallier le shi‘isme duodécimain? Une opinion assez courante en Iran répond à la question par l’affirmative en s’autorisant, en outre, de certaines pages du philosophe.


Écrivain et homme politique

On vient de faire allusion à l’autobiographie d’Avicenne. Le récit, continué et achevé par son fidèle disciple Juzjani, nous permet de suivre au mieux la vie de notre philosophe. Son père sut excellemment pourvoir aux soins de son éducation: puis il aborda seul les hautes sciences. Nous apprenons que, à peine âgé de dix-sept ans, il s’était déjà assimilé toute l’encyclopédie du savoir: mathématiques, physique, logique, métaphysique, droit canonique, théologie. La Métaphysique d’Aristote lui causa de grandes difficultés; il la relut quarante fois avant qu’un traité d’al-Farabi lui en ouvrît enfin la compréhension. Il s’était en outre appliqué avec un si grand zèle à l’étude de la médecine, sous la direction d’un médecin chrétien, ‘Issa Ibn Yahya, que le prince samanide Nub Ibn Mansur (mort en 997) n’hésita pas à confier au jeune homme le soin de le guérir d’une grave maladie. Le traitement ayant réussi, le jeune Avicenne reçut en récompense libre accès à l’importante bibliothèque du palais. Après la mort du prince et celle de son père commence sa vie itinérante. Il donne des cours publics à Gorgan (région nord-est de la mer Caspienne), où il commence à composer son Canon (Kanun ) de médecine, ouvrage qui en traduction latine fut pendant plusieurs siècles la base des études médicales en Europe. Puis Avicenne progresse vers l’ouest de l’Iran; à Rayy d’abord, puis à Hamadan où l’émir Shamsoddawleh le choisit comme ministre (une opinion, naguère émise en Occident, a proposé d’expliquer par sa situation de ministre, vizir , la qualification d’al-shaykh al-ra’is sous laquelle Avicenne est désigné couramment. En réalité, la tradition orientale s’accorde à interpréter ce titre comme signifiant ra’is al-hukama’ (le chef de file des philosophes). Avicenne inaugura à Hamadan un programme de travail écrasant; le jour était consacré aux affaires publiques, la soirée et la nuit aux affaires scientifiques. Le shaykh menait de front la composition du Shifa’ et celle du Canon médical; un disciple relisait les feuillets du premier, un autre ceux du second. Malheureusement, la situation politique d’un ministre n’est guère conciliable avec les exigences de la vie philosophique. Avicenne en fit la cruelle expérience. Après la mort du prince Shamsoddawleh et dès le début du règne de son fils, les choses se gâtèrent tout à fait pour notre philosophe. Il réussit à s’enfuir près du prince d’Ispahan, l’émir bouyide ‘Alaoddawleh. À Ispahan, nouveau programme de vie studieuse et productive. Finalement, tandis qu’il accompagnait son prince dans une expédition contre Hamadan, une grave affection intestinale dont notre philosophe souffrait depuis longtemps tourna à la crise aiguë; le médecin Avicenne se soigna lui-même, mais trop énergiquement, et mourut de façon très édifiante, en musulman fidèle, au mois d’août 1037 (Ramadan de l’an 428 de l’hégire) à l’âge de cinquante-sept ans.


Une œuvre encyclopédique

On ne peut donner ici qu’une idée de son immense production. La bibliographie minutieuse établie par G. C. Anawati (Le Caire) comporte deux cent soixante-seize titres. Celle, non moins minutieuse, établie par le professeur Yahya Mahdavi (Téhéran) comporte deux cent quarante-deux titres. Sans que nous puissions rendre compte ici des raisons de leur différence, les deux chiffres suffisent à indiquer que l’œuvre totale d’Avicenne correspond à un labeur écrasant. Certains ouvrages sont des monuments, comme le Shifa’ , le Canon ; d’autres sont des ouvrages de dimension normale (le Kitab al-Nadjat ou Livre de la délivrance de l’âme ), voire de simples opuscules. Avicenne a écrit principalement en arabe classique, qui était pour lui ce que fut le latin. pour les européens Mais il a écrit également en persan, sa langue maternelle. Sa production couvre tout le champ du savoir, tel qu’il typifie la culture islamique de l’époque: logique, linguistique, poésie; physique, psychologie, médecine, chimie; mathématiques, musique, astronomie; morale et économie; métaphysique: les ilahiyat (la philosophia divinalis ). Relevons enfin particulièrement les ouvrages sur la mystique (parmi lesquels les récits symboliques que l’on rappellera plus loin), les commentaires sur plusieurs sourates du Coran, auxquels on rattachera le traité sur le sens ésotérique de la prière (Asrar al-Salat ). Il faut encore mentionner une importante correspondance avec quelques philosophes contemporains. Le dessein personnel du philosophe devait trouver son achèvement dans ce qu’il désigne à maintes reprises comme devant être une “philosophie orientale” (hikmat mashriqiya ). Nous mentionnerons plus loin ce qu’il en est de cette “philosophie orientale”, disparue lors du sac d’Ispahan (1034) avec le Kitab al-Insaf (Livre de l’arbitrage équitable ), monumental ouvrage répondant à vingt-huit mille questions et dont il ne subsiste que quelques fragments, Avicenne n’ayant eu ni le temps ni la force de le refaire.


2. La métaphysique

Pour le très bref aperçu qui s’impose ici, le centre de perspective à choisir est la théorie avicennienne de la connaissance, solidaire de toute sa métaphysique, parce que cette noétique se présente comme l’aspect gnoséologique d’une théorie des Intelligences qui est une angélologie, et que cette angélologie fonde la cosmologie, en même temps qu’elle situe l’anthropologie.


L’exister : un accident nécessaire

La métaphysique d’Avicenne est une métaphysique des essences , et cette métaphysique des essences subsistera dans la tradition de l’avicennisme iranien jusqu’à la grande réforme opérée par Molla Sadra Shirazi (1640), personnalité dominante de l’école d’Ispahan, qui substituera une métaphysique de l’exister à cette métaphysique des essences. L’essence, ou la nature, ou la quiddité, est ce qu’elle est, absolument, inconditionnellement. Cela veut dire qu’elle est neutre et indifférente à l’égard de la condition négative qui doit en maintenir à l’écart tout ce qui peut l’empêcher d’être une idée générale, un des “universaux”, de même qu’elle est neutre et indifférente à l’égard de la condition positive déterminant ce qu’il faut lui ajouter pour qu’elle soit réalisée dans un individu particulier. Or, parmi ces essences qui, de par elles-mêmes, n’impliquent ni n’excluent l’universalité ni la singularité et qui, indifférentes et supérieures à l’une et à l’autre, sont l’objet propre de la métaphysique, il en est une privilégiée. De par la nécessité de son contenu propre, chaque essence est ce qu’elle est, c’est-à-dire est quelque chose. Qu’en est-il de ce quelque chose, de cet être quelque chose? La question est telle que, d’emblée, la notion d’être se dédouble en être nécessaire et être possible. Possible est chaque essence, ce quelque chose qu’elle est, mais qui n’existera jamais si quelque cause ne la rend nécessaire. L’exister est alors un accident se surajoutant à l’essence, mais un accident “nécessaire”, dès lors que la cause totale en étant donnée, cette cause rend nécessaire cette existence.


La Première Intelligence

L’univers avicennien ne comporte pas ce que nous appelons la “contingence”, dès lors que le possible est fait existant. Si quelque possible est actualisé dans l’être, c’est que son existence est rendue nécessaire en raison de sa cause, laquelle à son tour est nécessitée par sa propre cause. Il s’ensuit que l’idée orthodoxe de “création” subit ici une altération radicale. Il ne peut s’agir de quelque chose comme d’un coup d’État survenu en la Volonté divine dans la “prééternité”; c’est une nécessité intradivine qui conduit de l’Être pur au premier être fait existant. La Création consiste dans l’acte même de la pensée divine se pensant elle-même, et cette connaissance que l’Être divin a éternellement de soi-même n’est autre que la Première Émanation, le Premier Nouv ou Première Intelligence (‘Aql awwal ). Cet effet initial, nécessaire et unique, de l’énergie créatrice identique à la pensée divine, assure la médiation de l’Un au Multiple, en posant soi-même le principe auquel il satisfait: “De l’Un ne peut procéder que l’Un”.

À partir de cette Première Intelligence médiatrice, la pluralité de l’être va procéder d’une série d’actes de pensée ou de contemplation qui font en quelque sorte de la cosmologie une phénoménologie de la conscience angélique. La Première Intelligence contemple son Principe, et de cet acte de penser procède la Deuxième Intelligence. Elle se contemple elle-même en tant que sa relation avec son Principe rend nécessaire sa propre existence , et de cette pensée par laquelle elle se pense elle-même comme nécessaire par son Principe procède la Première Âme, Motrice du premier ciel ou Sphère des Sphères qui englobe toutes les autres. Enfin elle se contemple elle-même, dans ce qu’elle est par elle-même, c’est-à-dire qu’elle contemple son essence en tant que possible dont l’existence n’est rendue nécessaire que par son Principe, et de cette pensée impliquant son virtuel non-être procède la matière de la Sphère des Sphères, c’est-à-dire la matière céleste encore toute subtile, une quinta essentia par rapport aux quatre éléments sublunaires. Tandis que la “dimension” de son exister est sa dimension de lumière, la “dimension” de sa propre essence représente donc en quelque sorte sa dimension d’ombre ; le ciel qui en procède marque ainsi la distance qui sépare l’Âme motrice de ce ciel et l’Intelligence dont elle émane; c’est cette distance que vise à combler le désir qui entraîne cette Âme vers cette Intelligence, tandis que cette Âme entraîne ainsi son propre ciel dans le mouvement de son désir. Cette triple contemplation instauratrice des premiers degrés de l’être se répète d’Intelligence en Intelligence, jusqu’à ce que soit complète la double hiérarchie : hiérarchie supérieure des Dix Intelligences, celles qu’Avicenne désigne comme les Chérubins (Karubiyun, Kerubim ) ou Anges sacro-saints (mala’ikat al-quds, angeli intellectuales ), et hiérarchie inférieure des Âmes célestes, celles qu’il désigne comme Anges de la magnificence (mala’ikat a-l‘izza, angeli coelestes ). Ces Âmes célestes, motrices des cieux, n’ont point les facultés de perception sensible; en revanche, elles possèdent l’imaginative à l’état pur, exempte de la servitude et du trouble des sens. Elles sont le “lieu” de l’imaginal entre l’intelligible pur et le sensible (c’est pourquoi leur disparition, dans le système d’Averroès, sera si lourde de conséquences, quand il s’agira d’interpréter les événements visionnaires, les récits prophétiques, l’eschatologie). Il n’est point exclu qu’il faille compter autant d’Intelligences et d’Âmes motrices que peut en requérir soit la physique céleste péripatéticienne homocentrique, soit la physique céleste de Ptolémée, comportant pour chaque ciel autant de Sphères qu’en impliquaient les mouvements dans lesquels il apparaissait nécessaire de décomposer le mouvement d’ensemble de l’astre (système des excentriques et des épicycles). Il reste que la hiérarchie des Dix correspond aux Sphères majeures ou englobantes (Sphère des Sphères, Sphère des Fixes, sept Sphères planétaires, Sphère sublunaire). Chaque fois, c’est le désir de l’Âme aspirant à l’Intelligence dont elle émane qui communique à chacun des cieux leur mouvement propre. Les révolutions cosmiques auxquelles prend origine tout mouvement sont donc l’effet d’une aspiration d’amour toujours inassouvie.


Intelligence et illumination

La dernière des Dix Intelligences est celle qui est désignée comme l’“Intelligence agente” ou active (‘Aql fa ‘‘al, Intelligentia agens ); les philosophes avicenniens l’identifient avec l’Esprit-Saint que le Coran, de son côté, identifie avec Gabriel, l’Ange de la révélation. De cette dernière Intelligence émanent non plus une Intelligence unique et une Âme unique; mais, trop éloignée du Principe, sa vertu émanatrice se fragmente en la multitude des âmes humaines. Elle est celle dont l’“illumination” (ishraq ) projette les idées ou formes de connaissance sur les âmes qui ont acquis l’habitus de se tourner vers elle. Il importe en effet de noter que, selon la doctrine avicennienne, l’intellect humain n’a ni la tâche ni le pouvoir d’abstraire les formes, les Idées; il ne peut que se préparer, se rendre apte, par la perception sensible, à recevoir l’illumination de l’Ange projetant sur lui la forme intelligible. Cette illumination est donc une émanation venant de l’Ange ; elle n’est pas une abstraction accomplie par l’intellect humain; elle est eo ipso présence de l’Ange (faute de comprendre cette relation, on ne peut saisir la relation entre cette gnoséologie et l’expérience mystique).

Aussi bien, l’intellect humain a-t-il une structure analogue à celle de l’Ange (la double “dimension” analysée plus haut). Cependant, la différenciation avicennienne entre intellect contemplatif ou théorétique et intellect pratique n’est pas exactement celle qui, chez Aristote, est désignée par ces mêmes noms. L’intellect est tout simplement l’anima , l’âme pensante. L’intellect pratique (qui est appelé aussi “intellect actif”), c’est l’âme pensante dans sa fonction pratique et active, c’est-à-dire en tant qu’occupée à gouverner le corps et ses puissances vitales. Il est envers l’intellect contemplatif dans le même rapport que l’Âme céleste, motrice de son ciel, envers l’Intelligence dont elle émane, ou dans le même rapport que l’intellect contemplatif lui-même envers l’Intelligence agente (c’est ce rapport que mettent en œuvre les récits symboliques de Hayy ibn Yaqzan et de Salaman et Absal). Quant à l’intellect contemplatif, il comporte quatre degrés: un premier degré où l’intellect, nu et vide, est dans le même état qu’une matière en puissance à l’égard de toute forme; ensuite, il entre déjà en acte par les sensations et les images; il entre tout à fait en acte, devient intellect “acquis”, dès qu’il se tourne vers l’Intelligence agente séparée pour en recevoir les formes intelligibles correspondant à ses images sensibles; enfin, à force de répéter cette “conversion” vers l’Ange, cela devient chez lui un état “habituel” (‘aql bi-l-malaka, intellectus in habitu) . La relation n’est donc pas une relation purement “intellectuelle” au sens moderne du mot. L’Ange de la connaissance est aussi en un sens éminent l’Ange de la révélation dans chaque acte de connaissance qu’il opère dans l’âme, lorsque celle-ci est devenue apte à recevoir l’irradiation d’une Forme intelligible. La connaissance de soi impliquera la connaissance du “Donateur” de ces formes. On a pu retrouver, dans l’analyse avicennienne d’une essence se pensant elle-même sans référence à son corps, une préfiguration du Cogito . Il conviendrait d’ajouter que ce Cogito implique un Cogitor . Au-dessus des quatre états qui viennent d’être indiqués, il y a encore un état supérieur d’intimité de l’intellect contemplatif avec l’Ange, qui est l’Intelligence agente et l’Ange de la révélation. Cet état supérieur est désigné comme l’intellect saint (‘aql qudsi ). Son cas privilégié et son sommet, c’est l’esprit de prophétie, la révélation communiquée aux prophètes. Le schéma de la gnoséologie avicennienne fait ainsi sa place à une “philosophie prophétique”, telle qu’en avaient besoin penseurs et spirituels appartenant à la religion prophétique qu’est l’islam.


L’immortalité de l’âme

Tout cela suffit à faire entrevoir que, sur la question du Nouv poictikov qui a départagé dès l’origine les interprètes d’Aristote, Avicenne, à la suite d’al-Farabi, a opté (contrairement à Themistius et à saint Thomas d’Aquin) pour une Intelligence séparée et extrinsèque à l’intellect humain, sans l’identifier pour autant au concept de Dieu (comme Alexandre d’Aphrodise ou comme les augustiniens). Farabi et Avicenne ont fait de cette Intelligence un être du Plérôme suprême auquel l’être humain se trouve rattaché directement et précisément par elle et c’est là l’originalité “gnostique” de nos philosophes. D’autre part, en puissant contraste avec la doctrine averroïste de l’Intelligence, la doctrine avicennienne considère chaque acte de conjonction de l’âme humaine avec l’Intelligence agente comme marquant un degré de croissance de l’individualité spirituelle de l’homme. Dire que l’Intelligence agente est unique pour le genre humain, ce n’est pas dire pour autant qu’elle est seule immortelle de plein droit. Car la capacité de surexistence, d’immortalité, c’est cela même qu’elle confère à tous ceux chez qui l’aptitude à recevoir son illumination est devenue un état habituel. Ni Farabi, ni Avicenne, ni Sohrawardi ne pouvaient se satisfaire de l’idée péripatéticienne de l’âme comme “forme” d’un corps, “perfection (entéléchie) d’un corps organique ayant la vie en puissance”. Cette “information” ou animation d’un corps n’est que l’une des fonctions de l’âme; ce n’est pas même la principale. L’anthropologie de nos philosophes est néo-platonicienne.


3. La “philosophie orientale”

Cette brève esquisse permet de pressentir comment le projet de “philosophie orientale” s’articulait à l’ensemble de l’œuvre ou, pour mieux dire, était la clef de cet ensemble. En Occident latin, il semble que seul Roger Bacon, qui avait lu de très près les traductions latines, s’en soit sérieusement avisé (Opus majus , III, 46: “...secunda philosophia Avicennae quam vocant orientalem , quae traditur secundum puritatem philosophiae in se , nec timet ictus contradicentium lancearum ”). Lui fait écho, parmi beaucoup d’autres en Iran, le monumental commentaire produit par Sayyed Ahmad ‘Alawi (élève et gendre de Mir Damad, le grand maître de philosophie et de théologie à Ispahan, 1631) sous le titre Clef du Shifa’ (Miftah al-Shifa’ ). Le commentateur justifie son titre en se référant expressément aux quelques lignes par lesquelles Avicenne, dès le début du Shifa’ , renvoie à sa “philosophie orientale” comme expression de sa vraie doctrine personnelle.


Orient et Occident

Malheureusement, on l’a rappelé ci-dessus, il ne subsiste de cette “philosophie orientale” que des esquisses, fragments et allusions qu’éclaire, il est vrai, leur contexte. Parce que l’un d’eux (de Slane) avait commis une erreur de vocalisation, les orientalistes ont longtemps débattu sur la question de savoir ce qu’il convenait d’entendre par cette “philosophie orientale”. Nallino passa pour avoir tranché la question (en 1925), en montrant qu’il ne s’agissait pas de philosophie “illuminative”, mais de philosophie “orientale”; bref, qu’il convenait de lire mashriqiya et non pas mushriqiya. C’était un peu enfoncer une porte ouverte, car en Orient, en particulier chez les philosophes se succédant de génération en génération en Iran, jamais personne ne s’était avisé de lire autrement que mashriqiya. Malheureusement, cette tradition fut longtemps ignorée en Occident. Malheureusement aussi, Nallino était animé d’une inexplicable phobie à l’égard des néo-platoniciens. Son propos tendait, en premier et dernier lieu, à dissocier le projet “oriental” avicennien de toute compromission avec la philosophie dite “illuminative” de Sohrawardi. C’était là perdre de vue que l’un et l’autre, Avicenne et Sohrawardi se servent du même terme ishraq (illumination de l’astre à son lever, à son orient ); c’était oublier que Sohrawardi, chef de file des Ishraqiyun , n’avait lui-même voulu restaurer rien d’autre qu’une philosophie ou une théosophie “orientale” (les deux termes ishraqiya et mashriqiya sont pour lui équivalents). Ce qu’il y a de commun et de différent entre Avicenne et Sohrawardi, c’est ce qu’il y a de commun et ce par quoi diffèrent deux philosophes dont l’un reprend le projet de l’autre parce qu’il estime que son prédécesseur n’a pas pu le mener à bien ou n’était pas en mesure de le réaliser. Ainsi s’exprime Sohrawardi à l’égard d’Avicenne, parce que celui-ci n’avait pas atteint, selon lui, jusqu’aux sources “orientales” premières. On s’est donné beaucoup de peine en Occident pour localiser géographiquement et ethniquement les “orientaux” auxquels pouvait penser Avicenne, lorsqu’il parle de “philosophie orientale”. Aucune solution proposée sur ce plan n’a, semble-t-il, été convaincante. En revanche, il y a une tradition constante en théosophie et mystique islamiques, selon laquelle l’“Orient” (mashriq ) désigne le monde de la lumière, le monde des Intelligences, les univers angéliques, tandis que l’“Occident” (maghrib ) réfère au monde des ténèbres et de la matière sublunaire où “déclinent” les âmes. Or, cette façon de comprendre l’Orient est parfaitement explicite non seulement chez Sohrawardi mais chez Avicenne lui-même, dans son récit symbolique de Hayy ibn Yaqzan.


Le voyage spirituel vers l’Orient mystique

Nous dirons seulement ici que, dans l’état des textes, l’idée la plus précise que l’on puisse se faire de cette “philosophie orientale” d’Avicenne est à chercher, d’une part, dans ce qui a survécu de ses Notes sur la Théologie dite d’Aristote (théologie qui est en fait une paraphrase, en arabe, des dernières Ennéades de Plotin). Ce n’est pas un hasard si toutes les références qu’y donne Aristote à sa “philosophie orientale” (une demi-douzaine) se rapportent au devenir posthume de l’âme, aux conditions de son retour dans le monde qui lui est propre, le monde qui dans les Récits symboliques est précisément désigné comme l’“Orient”.

D’autre part, cette idée de l’Orient au sens spirituel est à recueillir dans la trilogie de ces Récits mystiques où Avicenne a déposé le secret de son expérience personnelle, offrant ainsi le cas assez rare d’un philosophe prenant parfaitement conscience de lui-même et parvenant à configurer ses propres symboles. Les trois Récits ont pour thème le voyage spirituel vers un Orient mystique, introuvable sur nos cartes, mais dont l’idée émerge déjà dans les gnoses antérieures à Avicenne. Le Récit de Hayy ibn Yaqzan (dont Sohrawardi écrira intentionnellement la “suite”, dans son propre Récit de l’exil occidental ) débute par un prologue qui rappelle certains autres récits inspirés de l’hermétisme en Islam; il forme une invitation et une initiation au voyage mystique dont il décrit les étapes jusqu’à l’Orient, en compagnie de l’Ange illuminateur, l’Intelligence agente, dont la relation personnelle avec le philosophe s’individualise sous les traits du personnage de Hayy ibn Yaqzan (Vivens filius Vigilantis , Veilleur, cf. Les Egregoroï des livres d’Hénoch). Le Récit de l’oiseau effectue ce voyage aux péripéties dramatiques, jusqu’à l’Extrême-Orient. Sohrawardi le traduira en persan; il y en aura plus d’une imitation, l’ensemble formant un cycle qui trouvera son couronnement dans l’admirable épopée mystique persane de Faridoddin ‘Attar (XIIe s.). Le Récit de Salaman et Absal , c’est le drame des deux héros de la partie finale du Livre des directives et des remarques (Kitab al-Isharat wa-l-tanbihat ); ils typifient les deux intellects contemplatif et pratique (cf. supra ), et plus largement encore correspondent aux figures des documents hermétistes: Phôs- Lumière et Adam terrestre, Prométhée et Épiméthée, l’homme “célestiel” et l’homme de chair. Ce ne sont point là des allégories, mais des symboles (on confond trop souvent les deux termes). Il ne s’agit pas d’affabulations de vérités théoriques pouvant être aussi bien dites autrement. Ce qu’Avicenne essaye d’y configurer – son drame intime personnel, l’apprentissage de toute une vie – ne pouvait être dit autrement. Car le symbole est chiffre et silence; il dit et ne dit pas. Il n’est point expliqué une fois pour toutes; sa signification s’amplifie au fur et à mesure que chacun y lit le chiffre de sa propre transmutation.


Comprendre vraiment, c’est prier

À ce moment précis, la question se poserait de savoir si le philosophe Avicenne fut ou non un mystique. Il ne semble pas, en tout cas, que l’on soit en mesure de répondre à la question, si l’on commence par adopter le point de vue de quelque théologie dogmatique étrangère à l’avicennisme, voire étrangère au climat propre à l’Islam. En vertu de ses prémisses, semblable théologie pourra refuser à Avicenne et à ses confrères la qualification de “mystique”. Elle aura commis une pétition de principe et la question n’en continuera pas moins de se poser. C’est que le mot “mystique” peut aussi bien prendre des acceptions différentes, en passant d’une théologie à une autre. On observera qu’en Islam même, Avicenne est généralement classé, de plein droit, parmi les falasifat al-Islam , les philosophes de l’Islam, plutôt que parmi les spirituels, qu’il s’agisse des soufis ou qu’il s’agisse des ’urafa’ . Mais c’est qu’à le classer parmi ces derniers, rien ne laisserait entendre qu’il fut aussi un philosophe, tandis qu’en le classant, comme il se doit, parmi les philosophes, rien n’exclut qu’il ait eu aussi sa propre expérience mystique. Or, si l’on médite le Récit de l’oiseau et le personnage d’Absal, il semble impossible de nier que le philosophe Avicenne ait atteint une réalisation spirituelle personnelle nettement différenciée d’une philosophie purement théorique. En outre, sa doctrine de la conjonction (ittisal ) de l’âme avec l’Intelligence, Ange de la connaissance et de la révélation, est l’archétype auquel se réfère mainte explication de l’unio mystica , union essentielle sans confusion des personnes. Si l’on réfléchit sur la progression de l’âme, telle qu’elle s’exprime dans la doctrine avicennienne de l’intellect, on comprend qu’il soit vrai de dire qu’à son sommet tout acte de connaissance devient une prière. C’est ce que l’on ne doit jamais oublier pour juger de l’efficacité de la doctrine comme pédagogie spirituelle. Quant au secret de l’homme Avicenne, c’est, comme toujours en Islam, un secret entre lui et son Dieu. Il n’est point d’autorité humaine habilitée à porter sur lui un jugement.


4. Avicennisme latin et avicennisme iranien

Longue est l’“histoire” de l’Intelligence agente jusqu’en ce milieu des Fideli d’amore , autour de Dante, qui la saluaient comme Madonna Intelligenza . Et l’on peut dire que la figure et le rôle de l’Ange, Intelligence agente et Esprit-Saint, permettent de comprendre les destinées ultérieures de l’avicennisme en Occident latin d’une part, en Islam iranien d’autre part. Il y eut certes en Occident, au XIIe siècle et à l’orée du XIIIe, l’esquisse d’un avicennisme latin à l’état pur, dont il subsiste quelques textes. Cet avicennisme latin tendait à conserver intégralement la noétique avicennienne qui n’est qu’un aspect de la cosmologie, l’une et l’autre n’étant aussi bien qu’un aspect de l’angélologie. Mais cet authentique avicennisme latin n’a pas survécu. Il suffit, pour en comprendre les raisons, de se reporter aux sarcasmes de Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris, qui s’exprime à l’égard de la hiérarchie des Intelligences et des Âmes un peu à la façon de Voltaire s’exprimant à l’égard du christianisme.


Avicenne et Albert le Grand

En cherchant une autre direction dans laquelle fructifia l’avicennisme au cœur de la scolastique latine, on s’oriente, par le fait même, dans la direction où l’avicennisme exerça une nette influence, certes, mais finalement au prix d’une altération radicale. On relèvera, en premier lieu, l’intérêt des références à Avicenne chez Albert le Grand, dans ses œuvres minéralogiques. Maître Albert a lu dans la physique d’Avicenne qu’une certaine force est immanente à l’âme humaine, une force à laquelle sont soumises les choses et qui est capable de les transformer, surtout quand l’âme est portée à un grand excès d’amour ou de haine, ou à quelque chose de semblable (De mirabilibus mundi ). Plus précisément encore, il affirme, en se référant à Avicenne, que l’alchimie appartient à la magie, en ce sens qu’elle est fondée sur les forces occultes de la psyché humaine qui, elle, reçoit des virtutes coelestes l’impulsion à de telles opérations. L’alchimie comporterait ainsi une opération purement physique au niveau de l’analyse, purement psychique au niveau de la synthèse. C’est pourquoi, estime Albert le Grand, tant d’alchimistes ont échoué (De mineralibus , II, 1). Cette remarque est particulièrement frappante parce qu’il s’ensuit que l’alchimie n’est pas une forme archaïque de la chimie, mais une activité à la fois pratique et spirituelle. La référence à Avicenne suggère ici qu’il y aurait à rechercher tout au long de l’alchimie de langue latine les traces d’une influence avicennienne tantôt réelle quand il s’agit d’œuvres authentiques, tantôt purement nominale quand il s’agit d’apocryphes.

Quant à la doctrine de l’Intelligence, il est remarquable qu’Albert le Grand se réfère encore à Avicenne pour affirmer que tout le vrai que nous connaissons n’est connu de nous que par une inspiration de l’Esprit-Saint. En effet, posséder une science ne signifie rien d’autre, en termes avicenniens, que l’aptitude acquise à se tourner vers l’Intelligence agente pour en recevoir l’intelligible. On trouvera des thèses semblables chez Ulrich de Strasbourg, disciple d’Albert le Grand.


L’augustinisme avicennisant

Comme on le sait, l’œuvre d’Albert le Grand fut recouverte, pendant des siècles, par l’œuvre de son élève le plus célèbre, saint Thomas d’Aquin. Et précisément une grande part de l’activité de saint Thomas fut consacrée à la critique destructive d’une forme d’augustinisme qui conduisit Étienne Gilson à la découverte et à l’analyse mémorable du phénomène qu’il caractérisa comme “augustinisme avicennisant”.

Le docteur le plus représentatif en fut sans doute Roger Bacon, au XIIIe siècle. Cet “augustinisme avicennisant” obéit à la nécessité de “crever le plafond de l’univers avicennien” (Gilson) pour aller jusqu’à Dieu. Il transfère à Dieu “en personne” les perfections et la fonction illuminative de l’Intelligence agente. Un tel transfert n’était possible que si l’on perdait de vue les prémisses de l’avicennisme et si l’on consentait à une défiguration radicale. Tout ce qui faisait le lien nécessaire entre la cosmologie et la gnoséologie, la sotériologie et les hiérarchies célestes, tout cela s’effondre. Le fin mot de l’affaire, c’est chez Duns Scot, semble-t-il, que nous le trouvons plus tard. Certes, Duns Scot eut une compréhension subtile et approfondie des thèses avicenniennes; sa métaphysique du singulier en est une géniale mise en œuvre. Mais il reste que Duns Scot rejette, lui aussi, l’idée de l’Intelligence agente comme substance séparée, divine et immatérielle. En outre, il entre en conflit avec Avicenne sur la question de savoir si l’homme a, comme le professe Avicenne, une capacité naturelle de connaître sa fin dernière et le moyen de l’atteindre. Et là, Duns Scot estime qu’Avicenne a mélangé sa religion, qui était l’islam, avec les choses de la philosophie. La remarque est si pertinente que sa portée va beaucoup plus loin que ne l’envisageait sans doute Duns Scot.

Pas de rupture entre l’homme et l’ange

C’est qu’en effet la notion coranique de “nature” autorisait Avicenne à professer cette doctrine. La fitra , c’est la nature foncière et originelle de l’homme, telle qu’elle est éclose du mystérieux pacte préexistentiel avec l’Unique; une telle origine fait aussi bien de cette nature une “surnature”. Et partant aussi, il n’y a pas entre nécessité et liberté divine, entre le savoir et le croire, entre philosophie et théologie, le rapport antithétique que la conscience occidentale a l’habitude de formuler. Philosophie et théologie se conjuguent finalement en une sagesse divine, une theosophia , une connaissance qui est salut, “gnose”. Aucun de nos penseurs n’est gêné pour citer un verset coranique en exposant un problème philosophique. Quelle crainte, au fond, l’avicennisme inspirait-il aux docteurs de la scolastique latine? Sans doute une certaine conception de l’homme solidaire de l’angélologie. L’Intelligence agente est, chez Avicenne, une Intelligence séparée c’est-à-dire transcendante; elle est à la fois l’Ange de la connaissance pour les philosophes et l’Ange de la révélation pour les prophètes: elle est à la source d’une “philosophie prophétique” (hikmat nabawiya) où se conjoignent philosophie et théologie. Chaque individualité humaine pensante, entrant en conjonction avec elle, entre par elle en relation directe et immédiate avec le Plérôme céleste et reçoit d’elle sa capacité d’immortalité. Tout cela ne laissait pas beaucoup de place au magistère ecclésiastique. Mais précisément il n’y a pas de magistère ecclésiastique en Islam. Saint Thomas accorde à chaque individu un intellect agent, mais non “séparé”; du même coup est brisée la relation que l’individu en tant que tel entretenait par l’Ange de la révélation avec le Plérôme céleste. L’autorité du magistère se substitue à la norme personnelle de Hayy ibn Yaqzan. Au lieu que la norme religieuse, parce qu’initiation individuelle, signifiât liberté, c’est désormais contre elle, parce que socialisée, que se dresseront les insurrections de l’esprit et de l’âme. Mais, lorsque ces insurrections n’auront abouti qu’à substituer au magistère “sacral” un magistère laïcisé, ce ne sera que l’avènement d’une res religiosa désacralisée, comportant une norme collective non moins impérieuse. Les admirables pages qu’Avicenne a écrites sur l’état de liberté spirituelle (après avoir évoqué, dans les Isharat , le cas de Salaman et Absal) sont d’une grande portée. Il y a enfin ceci: l’angélologie est le second des cinq articles de foi en Islam (l’Unité divine, les Anges, la mission des prophètes, les Livres révélés, la Résurrection). L’angélologie avicennienne se trouvait d’emblée en Islam dans une position autre qu’en chrétienté. L’idée avicennienne de l’Intelligence, le Nouv néo-platonicien, eût été encore compatible avec la christologie d’Arius (ou toute autre christologie du type que les historiens des dogmes désignent comme celui de “Christos-Angelos”). Elle ne l’était pas avec le dogme officiel des conciles, dont était solidaire l’autorité du magistère. En revanche, en Islam, l’idée avicennienne de l’Intelligence, assimilée par les différentes écoles ésotériques, apparaîtra comme la sauvegarde de la pureté du tawhid , de l’Unité divine transcendante. Elle recevra des désignations multiples, mais sera postulée par la théologie apophatique (tansih ) comme la Figure qui permet au penseur croyant d’éviter à la fois l’anthropomorphisme (tashbih ) et l’agnosticisme (ta‘til ). Les résonances de l’avicennisme et de l’antiavicennisme se propagent jusque dans le monde moderne; toute “analyse spectrale” de la conscience occidentale aurait à en tenir compte. Les raisons et les conséquences de la crue de l’averroïsme, évoluant en averroïsme politique (Jean de Jandun, Marsile de Padoue, XIVe siècle) et submergeant finalement l’avicennisme, suggèrent que les noms d’Avicenne et d’Averroès pourraient être pris comme les symboles des destinées spirituelles respectives de l’Orient et de l’Occident.


La philosophie traditionnelle de l’Iran

De cette crue de l’averroïsme, en effet, il n’y a pas trace en Orient, nommément en Iran, pays qui, du XIIe siècle à nos jours, est resté le principal foyer de la philosophie en Islam. Le plus important continuateur immédiat d’Avicenne fut Bahmanyar Marzuban, dont le nom est d’une consonance iranienne préislamique. Ce qui succède à cette première école avicennienne, ce n’est ni la critique d’al-Ghazali, considérée comme mettant fin à toute entreprise philosophique, ni l’entreprise d’Averroès restaurant contre Avicenne le pur péripatétisme, mais l’œuvre de Sohrawardi, qui ressuscita la “philosophie orientale” de l’ancienne Perse, et l’influence de la théosophie d’Ibn ‘Arabi, très rapidement intégrée (ou réintégrée) à la gnose shi‘ite. L’œuvre d’Avicenne n’a cessé d’être enseignée et commentée en Iran jusqu’à nos jours. On a évoqué ci-dessus le monumental commentaire de Sayyed Ahmad ‘Alawi, élève de Mir Damad (1631) qui, de son côté, discute des doctrines d’Avicenne dans un grand ouvrage (les Qabasat ). Non moins considérable est le commentaire de Molla Sadra Shirazi (1640) sur le Shifa’ . Pour ne citer que quelques noms d’avicenniens ou avicennisants iraniens, mentionnons encore ‘Inayatollah Gilani, Mohammad Baqir Sabzavari (1680), Husayn Khwansari (1687), Muhammad Reza Qomsheyi (1889), Abul-Hasan Jilveh (1897), etc. Les professeurs ne disposaient pas de périodiques comme de nos jours pour notifier l’état de leurs recherches. On s’expliquait dans des “gloses”. C’est pourquoi la plupart de ces commentaires portent une empreinte très personnelle.

La coutume iranienne est de partager les philosophes en Mashsha‘un ou péripatéticiens, et Ishraqiyun , équivalent de platoniciens. À vrai dire, la frontière est souvent indécise; elle ne passe pas seulement entre les philosophes, mais parfois aussi à l’intérieur de chaque philosophe; elle est alors d’autant plus facile à franchir. Prenons le cas de Sadra Shirazi, maître à penser des philosophes iraniens traditionnels jusqu’à nos jours. C’est un avicennisant plutôt qu’un avicennien strictement dit, un avicennisant très proche de l’Ishraq de Sohrawardi; il est profondément imprégné des doctrines d’Ibn ‘Arabi, et c’est avant tout un penseur shi‘ite, ayant lui-même enseigné et commenté la gnose issue des traditions des Douze Imams. Il cite et commente Avicenne tout au long de ses œuvres, mais en toute indépendance. Ne retenons qu’un exemple, parce qu’il est capital; il provient de son commentaire sur la Théosophie orientale de Sohrawardi. Cet exemple, tout en référant à Avicenne, met en cause une des doctrines les plus caractéristiques de Sadra Shirazi, à savoir la thèse affirmant que la puissance imaginative est une faculté indépendante, comme l’intellect, de l’organisme physique, et apte par conséquent à survivre à celui-ci. Elle est le “corps subtil” de l’âme, cette enveloppe ou “véhicule” subtil, originel et impérissable que le néo-platonicien Proclos désignait sous le nom d’ohcma. De cette thèse dépend la réalité du monde “imaginal” (‘alam al-mithal ), intermédiaire entre le pur intelligible et le sensible. Et c’est à ce propos que Molla Sadra discute certaines pages d’un traité auquel Avicenne attachait beaucoup d’importance, parce qu’il le considérait comme un de ses traités ésotériques, la Risalat al-adhawiya . Avicenne y est amené à prendre position quant à la résurrection du corps, pour finalement en rejeter l’idée. Molla Sadra discerne avec clairvoyance que ce qui a manqué ici à Avicenne, c’est une doctrine satisfaisante de l’Imagination active et du monde imaginal, et partant une claire notion du corps subtil ou imaginal (jism mithali ). Avicenne semble rester prisonnier du dilemme, ne reconnaissant que le corps matériel ou l’esprit totalement immatériel.