A la redécouverte du Féminin

A la redécouverte du Féminin
dans les grands mythes du monde

Entretien avec Françoise Gange par Laure Poinsot

Philosophe, diplômée en sciences sociales, Françoise Gange se consacre à l’exploration des mythes depuis 15 ans. Auteur de " Les Dieux Menteurs, notre mémoire ensevelie : l’humanité au temps de la Déesse " (Editions Indigo, 1998), elle vient de publier à La Renaissance du Livre " Jésus et les femmes ". Elle est également l’auteur de plusieurs romans chez Denoël, " Amina " et chez Flammarion, " La ville plus basse que la mer ", " Le goût du rhum blanc ".

Je vous avais rencontrée au moment où vous veniez de publier " Les Dieux Menteurs ". J’avais été impressionnée par votre démarche qui consiste à rechercher le féminin dans les premiers mythes écrits, à savoir ceux de Sumer. Vous y expliquiez la façon dont le féminin avait progressivement été écarté dans ces mythes et dans la religion de Sumer.
Je venais en effet de terminer " Les Dieux Menteurs ", qui est une étude sur les mythes de Sumer, et où l’on s’aperçoit qu’il y a toute une mémoire qui a été occultée par l’ordre patriarcal, lequel se met en place vers - 3000 dans cette région de Mésopotamie qui correspond à l’Iraq contemporain. On assiste, en effet, à cette époque à l’apparition de Dieux Guerriers à Sumer, qui jusque-là, avait un panthéon féminin avec une Déesse Mère. Les premiers Dieux Guerriers sont à l’origine les fils de la Déesse. Au fur à mesure que les Dieux mâles vont monter, la Déesse va descendre. De fils de la Déesse, ils vont devenir les frères puis les pères, tandis qu’elle-même va devenir la fille. On s’aperçoit donc que cette culture du Divin féminin a été ensevelie, à Sumer, à la fin de l’âge du bronze.

Quel était ce Divin Féminin de Sumer ?
On est obligé de les voir en négatif car les mythes de Sumer, les premiers écrits que l’on connaisse au monde, sont stratifiés. Ce qui a été lu jusqu’à présent est la dernière strate, la strate la plus apparente. Elle fait l’éloge de héros mâles, magnifiques, invincibles, dont Gilgamesh est l’une des grandes figures. Ces héros viennent s’installer sur un monde qui meurt mais on sait pas exactement lequel. Et dans ces premiers mythes écrits, on aperçoit une contradiction logique flagrante. Ces mêmes héros, dont on fait l’apologie, on les qualifie à d’autres moments de violeurs, de pillards. Il est dit qu’ils ont détruit les temples, violé les femmes du temple, les hiérodules. Cette faille logique n’a pas été aperçue jusqu’à présent. Il existe ainsi deux strates idéologiques dans les mythes de Sumer et la deuxième strate est tout simplement venue recouvrir la première. On est donc obligé de voir la première strate en négatif, en creux. Mais de cette culture antérieure de la Mère, on a heureusement, non seulement des écrits, mais également tout ce qui est artefacts, objets, que l’on a retrouvés dans les sites archéologiques de Sumer. On s’aperçoit que les grands symboles, qui racontent l’histoire de la Mère, sont les mêmes qui ont été repris plus tard par le patriarcat, notamment par le patriarcat yahvique ou juif, tels que l’arbre de vie, la pomme, le fruit défendu, le serpent, la montagne etc… tous étaient auparavant des symboles du Féminin Divin.

Ce principe féminin a-il toujours été premier, quelles que soient les cultures ?
Quand on va en Crète, dans les temples à Cnossos mais surtout à Phaistos, on retrouve des fosses en pierre qui servaient à nourrir des serpents sacrés et qui étaient les oracles de la Terre Mère. Ces temples étaient dirigés par des prêtresses, lesquelles pratiquaient un amour sacré, dit hiérogamie, ou union du principe masculin et féminin. Cela était pratiqué avant que la notion de pécher ne vienne salir la chair et démoniser le féminin. Il y a des traces de cette culture dans tous les mythes du monde. En Inde, la Terre y est conçue comme le ventre de la Mère, comme une vaste matrice de vie. La Déesse Mère est maîtresse de la vie, de la fécondité. Partout la Mère donne la vie et la maintient. Mais pas seulement cela, car on a toujours enfermé le féminin dans ce seul rôle nourricier. Elle est aussi conçue comme créatrice des mondes. Et si l’on prend l’Egypte, par exemple Isis, c’est la Grande Mère, avec Nout et Mat qui sont les trois grandes figures du Divin, Mat étant la Déesse de la justice, celle qui pèse les âmes. Donc la première représentation du Divin est féminine. C’est une mère qui donne, qui est généreuse et qui produit. Or partout, ce fait a été occulté.

Les vénus préhistoriques sont-elles aussi des représentations d’un Divin Féminin ?
On les a appelées des vénus, car en Patriarcat on voit toujours la femme comme celle qui donne du plaisir. Ce qui est une idée qui n’est pas fausse sauf que la femme n’est pas là seulement pour procurer du plaisir à l’homme, elle n’est pas un instrument, elle, aussi, jouit. Or on ne parle pas beaucoup de jouissance féminine en patriarcat. La hiérogamie, cette union des deux principes féminin et masculin, est l’acte le plus sacré. On a retrouvé de très beaux chants de la hiérogamie primitive à Sumer. On se rencontre que la hiérogamie va ensuite s’adapter aux premiers temps de l’ordre patriarcal. La prêtresse deviendra la prostituée. Dans un premier chant, la prêtresse est le centre vers lequel se dirige l’homme. Il vient vers elle. C’est très beau. Elle l’appelle mon porte-fleur, mon porte-fruits etc. Elle lui dit, Tu vas mourir car tu as caressé ma vulve. Apparemment, on ne comprend pas quel est le lien entre cet amour et la mort. Puis on s’aperçoit que l’amour sacré se terminait par le sacrifice de l’amant. Il faut savoir que cette époque ne connaissait pas la guerre. Par contre, elle connaissait le sacrifice rituel de l’amant consort, un sacrifice réel et non pas symbolique. La grande prêtresse incarnait le Divin sur terre. En s’approchant d’elle, l’amant passait de la condition humaine à la condition divine, il s’introduisait dans la Porte du Divin. Il y avait cette croyance qu’il mourait au monde pour renaître divin dans une autre vie. On disait qu’il renaissait comme serpent oraculaire qui rapporte les prophéties du ventre de la terre.

Quelles sont les grands symboles de ce Divin Féminin ?
Il y a une Américaine qui a fait un travail remarquable mais qui est malheureusement décédée aujourd’hui. C’est Maria Djimboutas. Elle a fait un énorme travail de décryptage de tout ce symbolisme féminin existant sur les objets archéologiques. On y trouve la vulve, la représentation la plus sacrée et la toute première de l’humanité. Elle est représentée comme un rond, une noix fendue ou comme un triangle. Ce triangle devient aussi la porte. On retrouve ces mêmes symboles à Sumer. C’est la même représentation du triangle divin, comme dans les Cyclades, en Afrique, ou encore en Inde dans les vieilles civilisations de Mohanjo Daro etc. Un autre symbole important est celui de l’oiseau car la Déesse est souvent représentée par un oiseau. On retrouvera cet oiseau dans la Christianisme et dans la Gnose. L’oiseau, c’est l’esprit qui vient visiter Jésus. Le rôle de l’oiseau est très fort dans les mythes écrits de Sumer. On voit souvent le héros magnifique, Gilgamesh, qui va combattre, non pas la Déesse mais le vilain oiseau, l’oiseau monstrueux. On retrouvera après ces oiseaux de mauvaise augure que va combattre Héraclès. Après encore, Lilith la démone sera représentée comme la chouette, l’oiseau de nuit. On assiste ici à l’inversion complète des symboles où l’oiseau du jour, de lumière, devient l’oiseau maléfique, l’oiseau de nuit. Ainsi, avec la montée des Dieux patriarcaux, la Déesse sera transformée en démone.

Pourquoi cet acharnement du masculin à dominer ?
Après avoir bien étudié tous ces mythes de Sumer, je crois qu’au départ, le révolté de l’histoire patriarcale c’est Gilgamesh. Il y a aussi d’autres figures masculines comme Baal etc. Gilgamesh, donc, tue la Grande Prêtresse. Il tue l’oiseau et devient la premier roi permanent de l’histoire. Le mythe est très clair. Gilgamesh traverse des mers démontées et s’approche de l’oiseau. Alors l’oiseau veut l’emmener à sa couche. On comprend que c’est une femme, une Grande Prêtresse qui veut pratiquer la hiérogamie, comme cela s’est toujours fait. Je crois que la révolte masculine vient du fait que l’idéologie change et que Gilgamesh ne veut pas mourir pour les beaux yeux d’une femme. A un moment de l’histoire, un consort, qui doit être sacrifié, se révolte et tue la Grande Prêtresse. Car, pour lui, il n’y a pas d’autre alternative. Ainsi s’écroule complètement cette première culture du Féminin.

Mais comment expliquer un renversement si brutal et définitif ?
On s’aperçoit dans les mythes de Sumer que ce renversement ne fut pas brutal. Il y a eu de nombreux retours en arrière, les gens ne se sont pas laissés faire. Il a fallu les matraquer. Les premières guerres, d’après les mythes, on été fomentées entre ces deux idéologies inverses, celle qui gravitait autour de la Mère Divine et l’idéologie du Père Guerrier, lequel est désacralisateur par essence puisqu’il vient conquérir le monde de la Mère. Il y a un très beau mythe qui s’appelle la destruction et la reconstruction de la ville d’Ur en Chaldée. On sait que cette ville fut détruite par les Elamites et on sait qu’une déesse régnait sur cette ville. Des Dieux Mâles font leur apparition. Puis on s’aperçoit que le culte de la Mère est interdit, que c’est un pécher, et que l’on en persuade les prêtres qui sont en place dans la ville. Les temples ont été reconstruits à la gloire du Dieu et non plus de la Déesse. D’ailleurs, il y a de très beaux chants de lamentation qui disent, reviens dans ta ville, reviens voir tes filles, tes fils, reviens dans ton temple… Ce qui se tournaient vers son culte étaient maudits et même pire que ça, ils étaient décapités. Ce texte indique clairement que cela ne s’est pas fait brutalement mais a été asséné en plusieurs fois et à chaque fois le peuple continuait à invoquer la Mère. Car ces gens se sentaient probablement plus proches de la Mère Nourricière que du Père Guerrier. On le voit également bien dans la Bible. Yahvé tempête constamment contre les adorateurs de constellation, ceux qui vont sur les hauts lieux. Ce sont en fait les anciens adorateurs de la Déesse. On voit bien que il y a toujours eu ces révoltes autrement il n’y aurait pas eu ces récriminations répétées. Puis on arrive au Christianisme qui va se rattacher au Judaïsme. Là j’arrive au thème de mon dernier livre, " Jésus et les femmes. " On a retrouvé des textes dans le désert égyptien, à Nag Hammadi, en 1945 dans lesquels on voit un tout autre visage de Jésus.

Dans ce nouvel ouvrage, " Jésus et les femmes " vous dénoncez une figure fallacieuse de Jésus que transmet le Christianisme officiel ?
En effet, tout d’abord, contrairement à ce qui est toujours dit, Jésus n’était pas exclusivement entouré de disciples mâles. Le patriarcat était pourtant bien installé dans le milieu juif. De Même, on dit rarement qu’il y a deux récits de la Création dans la Bible. Le premier dit que Eve naquit d’une côte d’Adam, puis deux pages plus loin, il est dit que homme et femme il les créa. Il y a donc dans cette deuxième version l’idée d’égalité, l’homme et la femme étant traités de la même façon. Pour en revenir à mon dernier livre, on a retrouvé en 1945 des manuscrits qui avaient été interdits. Ils étaient enfermés dans une jarre elle-même enfouie dans le sable. Ils sont écrits en Copte sur des papyrus. On dit que la plupart de ces écrits datent du Quatrième Siècle, ce qui n’est pas vrai. En réalité, ces écrits sont antérieurs aux Evangiles Canoniques, par exemple, l’Evangile selon Marie, selon Magdala. On disait tout à l’heure qu’il y avait des disciples femmes autour de Jésus. Ces manuscrits gnostiques le montrent parfaitement car ils donnent des noms, Marie, Salomé, Marthe la sœur de Marie, la mère de Jésus. D’ailleurs, l’Evangile selon Philippe dit que Jésus était toujours accompagné de trois Marie depuis ses débuts de prédicateur en Galilée. Il faut connaître ces Evangiles qui ont été interdits puis ensevelis par l’Eglise, laquelle a voulu rattacher Jésus au Judaïsme. Or le Jésus qui apparaît dans ces textes est un sage qui a beaucoup de point commun avec Lao Tse et avec tous les grands mystiques du monde, lesquels veulent faire l’alliance entre le féminin et le masculin. Ainsi le Jésus de la Gnose dit à l’homme qu’il ne peut pas avancer s’il prétend ne garder qu’une partie de lui-même, à savoir sa face masculine. Il est infiniment sympathique pour nous les femmes mais aussi, à mon avis, pour l’ensemble de l’humanité. Il veut rendre à chaque individu les deux parties dont il est composé, le masculin et le féminin.

Ainsi, le Jésus de la Gnose est le premier féministe de l’histoire ?
Si l’on veut. En tout cas, quand on lit les Evangiles selon Marie, selon Philippe et même selon Thomas, on y trouve, non seulement, cette idée de nécessaire réconciliation entre le féminin et le masculin de l’humain, mais aussi, entre l’homme et la femme. En revanche, l’Eglise selon Pierre est très misogyne. Personne, d’ailleurs, n’en fait mystère car c’est écrit dans les textes canoniques. Jésus, au contraire, s’opposait à l’optique du Judaïsme de l’époque selon lequel la femme était confinée à la maison. D’ailleurs Jésus fut vilipendé par les premiers évêques, comme Irinée de Lyon au II è Siècle, qui dira que les gnostiques acceptent dans leurs rangs des prostituées, ces femmes qui se promènent avec eux, qui font de la prédication, qui enseignent. Le Jésus que l’on découvre dans ces textes gnostiques est profondément humain, différent, ne reniant non plus pas la sexualité et disant " Ne méprisez pas la sexualité autrement elle va vous dévorer. Ne l ‘aimez pas trop non plus car elle va vous obnubiler ". Il réconcilie donc l’homme et la femme, mais aussi le corps et l’esprit. Ainsi Jésus apparaît comme le sauveur du féminin car en patriarcat, la femme a tout simplement perdu son âme. Elle est réduite à son corps pour le plaisir de l’homme. On le voit d’ailleurs encore autour de nous aujourd’hui, avec la publicité sexiste qui érotise et objectivise à outrance le corps des femmes.

Comment avez-vous eu connaissance de ces Evangiles interdits de Nag Hammadi ?
Je venais de terminer le livre sur les mythes de Sumer et je suis tombée sur un livre très intéressant d’Elaine Pagel qui parle de ces Evangiles interdits. Elle cite ces textes, mais ne fait pas de commentaires. J’ai eu alors envie d’aller voir. Je les ai trouvés très difficilement dans une librairie à Vézelay, dans une édition du Québec. Aujourd’hui on peut les trouver à Louvain et à la librairie Copte de Montréal. Physiquement les manuscrits sont dispersés à Berlin, à l’Ecole de Jérusalem etc. Quand on revient vers les Evangiles Canoniques après avoir lu les Evangiles Gnostiques, on s’aperçoit qu’il y a également des strates dans les Canoniques. On retrouve même la strate gnostique mais dissimulée, par exemple le rôle de Marie de Magdala qui est très proche de Jésus. Dans la Gnose, elle est son amante et sa disciple préférée. Or le Christianisme officiel dit que c’est Jean qui était le disciple préféré. Or étrangement il n’est jamais nommé dans les Canoniques, alors que Pierre, Mathieu et Thomas le sont. Il y a vraiment là un blanc, comme si l’on avait découpé un visage qui gênait sur une photo de famille. Car l’amour entre Jésus et Marie de Magdala est à la fois charnel et spirituel, comme devrait être l’amour. Mais cela le patriarcat ne peut pas l’accepter. Car il ne veut pas de cette alliance d’amour entre l’homme et la femme, mais plutôt que la femme soit l’esclave et la servante de l’homme. Le patriarcat a tout intérêt à nous tenir loin de notre âme et de notre esprit. C’est pour cela que les femmes ont été écartées. Et dans les sociétés actuelles les plus patriarcales, c’est comme si la femme n’avait pas d’esprit et ne pensait pas.

Pourquoi cette obsession de négation de la femme dans les religions patriarcales ?
Cette impureté de la femme mais plus que cela cette profonde misogynie, cette négation de l’humanité dans son sexe féminin, on le trouve dans les trois monothéisme de façon exacerbée. On le trouve aussi ailleurs. Ce chemin a aussi était fait en Inde. Mais ce qui frappe en Inde et aussi attire, c’est qu’il y a encore cette image du grand féminin malgré tout. Dans les temples, on peut retrouver du divin féminin. Alors que chez nous, on a l’impression qu’il s’agit d’un folklore barbare, de pure imagination. Même avec les universitaires, parler du divin féminin leur semble carnavalesque. Pour elles, le divin féminin est uniquement mythique. Elles ne voient pas que le mythe a été de l’histoire. C’est là-dessus que ce porte mon travail. Contrairement à ce que disait Yung, le mythique n’est pas un archétype figé, c’est aussi de l’histoire. Or si l’on reste dans le mythe, par exemple des amazones, des femmes fortes, donc dans l’inconscient collectif, cela ne fait de mal à personne puisqu’on l’a décapé de son historicité pour le laisser dans une espèce de noman’s land, hors du temps et de l’espace. Alors que c’est curatif de souligner qu’il a existé du féminin autre que patriarcal, qui ne soit ni souillé, ni démonisé. Le mariage souillé est le mariage patriarcal qui est l’union d’un dominant et d’une dominée. Le Jésus de la Gnose parle de l’union spirituelle et sexuelle d’un masculin libre et d’un féminin également libre. Il parle de l’alliance entre les deux.

Comment ces textes gnostiques et la lecture que vous en faite sont-ils reçus par les Chrétiens en France ?
En France, ce n’est pas du tout reçu pour deux raisons. D’une part, la spiritualité, on ne connaît pas. D’autre part, soit les gens se placent sous la religion officielle, le christianisme, soit ils vont vers des religions comme le Bouddhisme. Or le Jésus de la Gnose est très proche du Bouddhisme. Mais comme ici, on se méfie du féminin, de la spiritualité, des sextes, la France se ferme à un courant qui ailleurs est un Fleuve, par exemple, en Amérique, au Québec et même en Belgique où je suis publiée. Les idées que je défends sont débattues en Amérique du Nord où se trouve, d’ailleurs, la majorité de la recherche féministe et de la recherche tout court.

Vous n’êtes donc pas seule à défendre cette thèse ?
Il existe de nombreux auteurs qui font, ou on fait, les mêmes recherches. J’ai parlé tout à l’heure d’Elaine Pagel qui a publié " Les Evangiles interdits ". J’ai aussi parlé de Maria Gimboutas qui est archéologue et qui a fait un énorme travail sur le décryptage des symboles de la culture du féminin à l’âge du Bronze dans toute l’Europe. Son livre, " The language of the Goddess ", n’a pas été traduit en français. De même Anne Behring et Jules Cashford ont écrit " The myth of the Goddess ", ouvrage qui n’est non plus pas traduit en français. Et avant cela, Merlyn Stone a publié au Québec " Quand Dieu était femme ". Tous ces auteurs-là sont anglo-saxons. En France, il y a Françoise d’Eaubonne qui a fait un travail sur les femmes avant le patriarcat, livre qui fut publié par le Seuil il y a vingt ans. Mais il faut aussi citer les précurseurs. Il y a Graves qui a écrit en 1920 " Les mythes grecs " où il décrypte ces mythes antiques à la lumière du combat entre le masculin et le féminin. Il faut aussi cité Fraser qui a écrit " Les Rameau d’or ". Il a fait un travail gigantesque à travers les mythes d’Egypte, de Grèce, de l’Inde, des Esquimaux etc. Ces trois tomes sont passionnants, présentant les mythes tels que ceux des amazones, le sacrifice de l‘amant consort de la Déesse etc. Rien n’a échappé à cet homme qui écrivait au début du XXe Siècle. Il était d’ailleurs lui-même effrayé par ce qu ‘il découvrait. C’est de tout cela que je me suis inspirée.

Pourquoi, d’après vous, ces recherches actuelles, ainsi que les théories féministes, viennent aujourd’hui principalement des pays Anglo-saxons, en particulier d’Amérique ?
Il y a une misogynie en France qui est encore très prégnante, sans aucun doute issue de la culture judéo-chrétienne. On s’aperçoit que les pays protestants sont plus libres. C’est également le cas de la Hollande et de la Belgique. Ils ont, dans ces pays, un esprit plus rebelle. Ils n’acceptent pas le Pape, les Evêques et toute cette hiérarchie que l’on trouve dans le Catholicisme. Ainsi chez Saint Paul et Saint Pierre, on lit constamment, soyez soumis à vos maîtres, soyez soumises à vos maris… Et Pour terminer par mon dernier livre, on peut presque dire que le principal combat du Jésus de la Gnose est la hiérarchie. C’est l’amitié et l’horizontalité et non pas cette verticalité profondément stérile et injuste de la hiérarchie.

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QUE RACONTE LE RÊVE ?

“Celui qui veut prendre ses rêves au sérieux, … et en tirer des conclusions pour sa conduite, doit avoir des connaissances sidérales en accord avec les lumières de la nature dont il aura reçu la bénédiction. Il ne devra pas suivre son imagination, ne pas prendre une attitude hautaine, car elle n’aboutirait à rien.”
Paracelse (Médecin et Astrologue) 1431-1541


QUE RACONTE LE RÊVE ?

Cette citation de Paracelse répond à la question la plus fréquemment posée : Pourquoi avoir besoin d’un interprète extérieur (analyste, oniromancien) pour expliquer ses propres rêves?
Pourquoi ne nous sont-ils pas compréhensibles instantanément?
Tout d’abord, je répondrai que le rêve, ou état modifié de conscience tel qu’on peut en faire l’expérience lors d’une séance d’hyperventilation (rebirth), prépare le conscient à accepter ou des épreuves ou des réussites, lorsque le scénario concerne une tranche de vie à venir.
Lorsqu’il concerne des événements traumatiques passés, le scénario, ou une série de scénarios oniriques, permet de se réparer intérieurement mieux et plus facilement que par la simple compréhension intellectuelle des choses.
Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’un travail en profondeur qui favorise la restauration de l’Être.

Les données à admettre s’impriment doucement et sûrement pour que l’intéressé puisse se réaliser quelles que soient les circonstances extérieures.
Dans le cadre d’une prise de conscience sur une vérité, passée ou à venir, trop crue ou trop douloureuse, la préparation qui s’opère lors de ces états, de rêve ou modifiés de conscience, a l’avantage de fortifier la structure émotionnelle interne face au choc éventuel. De la même façon que trop de soleil éblouit et aveugle des yeux non protégés, une vérité révélée trop brutalement serait destructrice et entraînerait une implosion intérieure.
Or, le parcours terrestre de tout un chacun est d’évoluer vers un plein épanouissement, quels que soient les obstacles affrontés ou à affronter.
Le rêve est l’illustration du dicton : “un homme averti en vaut deux!”

L’être humain s’est forgé un monde de symboles dès son arrivée sur terre. Il s’est créé des cosmogonies, des mythes, a remarqué des interactions existantes entre des événements célestes et des événements terrestres (par exemple, les marées gouvernées par la lune). Ce qui lui a fait penser et dire que Tout est symbole, et que le TOUT est symbole.
L’homme, dans son imperfection n’a accès à cette connaissance du symbolisme, qui amène de fait à la connaissance de soi, étant donné que le soi appartient au tout, qu’après de longues et patientes années d’apprentissage. Dans la citation de Paracelse, la mise en garde contre l’imagination est particulièrement intéressante. “Il (le rêveur) ne devra pas suivre son imagination“. Apparemment, cette imagination nous jouerait des tours …!
Cette réserve, non des moindres et que je partage, fait écho aux mises en garde des oniromanciens tels que IBN Sîrin (VIIIème siècle), Al Nâboulsi (XVIIème siècle) et Artémidore d’Éphèse (IIème siècle), pour ne citer qu’eux.

En effet, l’imagination est une activité consciente de l’humain. Elle se mêle donc aux fausses aspirations, aux désirs mal définis, aux envies immédiates et sans fondement, aux confusions de l’esprit dues à l’ignorance des tenants et aboutissants de la nature des choses et de la vie, aux peurs inconscientes, aux superstitions, à la mégalomanie parfois, à l’ambition aveugle (celle qui pousse l’individu à agir au détriment d’un autre), à l’orgueil, ou tout au contraire, à une prédisposition trop exagérée à la dévalorisation de soi qui enlise le sujet dans des angoisses profondes, que l’analyste ou l’interprétateur-oniromancien repérera et décryptera aisément.
L’imagination, parce qu’elle est imprégnée des sentiments d’inquiétude ou d’un trop grand désir d’absolu, tronque l’objectivité et engloutit l’individu dans un marasme intérieur, au lieu de le porter dans une sphère supérieure de vie où règne la clarté, et qui lui permettrait d’acquérir davantage d’autonomie affective d’abord, spirituelle ensuite.

Pour en finir avec cette mise au point, j’attire votre attention sur ce qui devrait être une évidence, mais est souvent occulté : les scénarios oniriques ne sont en aucun cas des “copiés-collés” des événements de la vie éveillée passée ou future.
Si vous vivez un décès dans un rêve, il s’agit toujours d’une mort symbolique. Il est peu probable, pour ne pas dire impossible, que la personne décédée dans le scénario onirique décède réellement. Les décès, comme tout autre événement majeur de la vie humaine (mariage, naissance), s’annoncent différemment, au moyen de paraboles et autres figures symboliques, justement parce que l’homme ne pourrait supporter le poids du choc émotionnel, deux fois au lieu d’une, mais qu’il doit être préparé à ce choc ou à une prise de conscience fulgurante.
Si ce préambule n’avait pas lieu, son psychisme imploserait, et lui avec !
Aux Étas-Unis, Elisabeth Loftus, spécialiste de la mémoire, s’est longuement penchée sur la question du rêve comme fidèle rapporteur de souvenirs sur des faits qui auraient été vécus réellement. Actuellement experte auprès des tribunaux américains, elle tente de sauver des personnes accusées, pour la grande majorité à tort, de supposées agressions sexuelles par leurs enfants.
Ces derniers auraient découvert le pot aux roses, suite à des thérapies diverses, analyses de rêves et autres. Les thérapeutes mis en cause, la plupart très diplômés, font fi du symbole, des paraboles, et des mécaniques naturelles du subconscient. Leur obsession du “parent toujours coupable” les fait déraper et c’est peu dire ! Pour plus de détails, je vous renvoie à son livre : “Le syndrome des faux souvenir - Ces psys qui vous manipulent” (PUF)

" L'imagination, c'est cette partie décevante dans l'homme,
cette maîtresse d'erreur et de fausseté,
et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours !"
- Pascal - 1623-1662


VIE ONIRIQUE, VIE ÉVEILLÉE

A quoi sert le rêve?

Le monde onirique reste le pendant de la vie éveillée ! L’un et l’autre sont en étroite corrélation, donc si vous voulez avoir une belle vie éveillée, vous devez être attentif aux informations que vous fournissent vos rêves et adapter votre comportement en conséquence. ET si vous voulez faire de Beaux Rêves, vous devrez être attentifs à votre comportement et vos pensées dans la vie éveillée.
Ce ne sont pas toujours vos nuits qui font vos jours … vos jours font aussi vos nuits.
Mais si vous préférez ignorer ce que disent vos rêves, c’est-à-dire ignorer ce que vous dit votre subconscient, qui est votre meilleur ami, on ne le répète jamais assez, alors vous vivrez des cauchemars, et la nuit et le jour. En effet, si vous laissez vos nuits être guidées par les tensions de la journée, par des événements en apparence sans queue ni tête de votre point de vue, vos sommeils seront tourmentés. C’est logique, car il faut bien que votre esprit et votre corps trouvent une issue pour se libérer des fatigues courantes et habituelles, et ce malgré votre résistance à l’appel de l’épanouissement de soi.
Et si vos sommeils sont tourmentés, votre vie éveillée restera à l’image de vos nuits, tourmentée aussi. Il y a bien interaction entre le monde visible et le monde invisible !

Ainsi, les synchronicités entre les messages oniriques et les événements de la vie éveillée sont nombreuses, et ont été largement étudiées par des scientifiques de renom. (A ce sujet, lire “Enigmatiques coïncidences et unité du monde” de Jean Moisset-ed. Présence- et "La synchronicité" de Michel Granger et Jean Moisset-ed.Arché Milano).
Pour débrouiller ce méli-mélo, l’intervention d’un interprétateur reconnu comme tel et expérimenté, c’est-à-dire étant au fait des mécaniques psycho-émotionnelles et des connaissances universelles qui touchent le symbole, les interactions entre les éléments de la nature et l’homme, et dépourvu de tout sentiment d’intérêt avec le rêveur (ou le consultant, dans le cadre des hyperventilations) est indispensable.
Déjà dans l'ancien temps d'il y a fort longtemps, tous les oniromanciens mettaient en garde l’intéressé à ne pas confier ses songes à son entourage (famille, amis, proches).

Pourquoi ?

Selon eux, raconter son rêve équivaut à livrer son intimité à autrui ce qui est toujours risqué.
Le songe, qui contient aussi des informations sur les personnes vivant avec le rêveur, peut donner des occasions d’actions malveillantes envers lui. Visiblement, déjà à cette époque, les oniromanciens étaient très conscients que la famille, tant chérie dans toutes les cultures, est en réalité le creuset idéal d’où émergent les plus grandes trahisons.

L’interprétateur, lui, a de fait une distance affective avec l’intéressé, mais aussi une distance par rapport à ses préoccupations. Le rêveur, au contraire, a tendance à ne se percevoir que par le petit bout de la lorgnette et ne se fixe que sur le sujet qui lui importe à l’instant T.
Il ne vit sa vie que dans l’immédiat alors que l’interprétateur le situe au-delà de l’instant T, bien au-delà… Avec d’autant plus d’aisance, qu’il n’est en rien concerné par les affaires matérielles ou affectives du rêveur.
L’interprétateur n’est pas alourdi par des charges émotionnelles intenses et souvent très légitimes, puisqu’elles ne lui appartiennent pas, telles que des angoisses sur un devenir proche, sur des handicaps ou des obstacles apparents, mais pas nécessairement permanents, ce que toute personne inquiète oublie.
Et il est encore moins alourdi par les désirs d’ambition ou l’impatience.

De surcroît, il sait faire la distinction entre les songes constructifs et ceux qui n’ont comme seule fonction que d’alléger le conscient des lourdeurs quotidiennes. Ce type de rêves apure le conscient de ce qui est, d’ores et déjà, périmé pour ne garder et n’intégrer que l’essentiel utile au jour prochain, à la nouvelle journée.
Pour l’interprétateur, sa connaissance du visible et de l’invisible, et de leurs liens entre eux, ainsi que sa connaissance des différents types de songes lui permettent de placer l’individu dans un contexte de vie et d’expériences plus large que son petit champ d’expériences connues, de le placer dans une sphère plus rayonnante aussi, qu’il n’aurait pu le faire lui-même, compte tenu des sentiments que nous venons d’évoquer, et compte tenu des interdits et des culpabilités propres à la nature humaine.
Enfin, pour finir de répondre à la question : “Pourquoi avons-nous besoin de quelqu’un d’extérieur à soi pour décrypter nos rêves?”, je vous dirai simplement que si les choses vous étaient révélées sans mystère, les interprétateurs et les oniromanciens (c’est-à-dire moi aussi) n’auraient plus lieu d’exister. Ce qui serait fort regrettable !

Une autre raison aussi : les rêves n’auraient plus lieu de se produire et vous seriez en mesure d’aborder la vie, ses aléas et ses surprises (les bonnes), sans préparation préalable. Bref, c’est tout notre cerveau qui fonctionnerait autrement, et par voie de conséquence, notre vie émotionnelle et psycho-spirituelle aussi.
Pourrions-nous alors prétendre à être des Etres aboutis ? … peut-être!
Actuellement, l’homme a encore des difficultés à accepter les vérités. C’est même tout le problème de la planète. Il possède une certaine propension à se voiler la face, à masquer ce qui est, et préférer croire ce qui n’est pas, à encombrer son esprit d’informations inutiles. L’imagination, dans le sens où l’entendaient les Anciens, ferait partie des recours utilisés par l’homme pour “arranger” les choses à sa convenance, pour “modeler” sa vérité, qui est très aléatoire par rapport à la Vérité.
Les oniromanciens et les analystes de rêves ont encore beaucoup de travail, et c’est heureux !

Rêvez bien !

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La voie sans tête


La voie sans tête
par Richard Lang

La Voie Sans Tête est un modèle contemporain d’inspiration scientifique de la place de l’humanité dans l’univers, ainsi qu’une « voie » de libération transculturelle dépouillée de toute mythologie. Elle démontre que toutes choses, y compris nous-mêmes, sont constituées d’enveloppes illusoires entourant une « réalité centrale » tel un mandala ou une structure en oignon. Elle prétend que cette « réalité centrale » (qui est sans limite) a habituellement été repoussée hors des limites de la conscience, mais demeure accessible à l’observation directe de soi-même. Elle offre une série d’« expériences » ou exercice de prise de conscience dans le but de réaliser qui nous sommes vraiment. Cette vision constitue une méditation continue en même temps qu’une thérapie qui peut être pratiquée n’importe où.

Développement historique.

La Voie Sans Tête prend ses racines immédiates dans le travail de Douglas Harding, un philosophe anglais qui naquit au début du vingtième siècle. Le travail de Douglas Harding, s’enracine dans la tradition scientifique occidentale. La science moderne, conçue à la Renaissance par des personnes telle Galilée, était une réaction contre la logique spéculative des savants du Moyen Âge et leur croyance en une « vérité révélée ». La science s’appuya plutôt sur l’évidence fournie par les sens dans sa recherche de vérité. Douglas Harding utilisa la même méthode en se l’appliquant à lui-même. Se posant sans cesse la question « qui suis-je ? » il s’observa afin d’expérimenter de quoi sa réalité centrale était faite, plutôt que d’essayer de le déterminer par la pensée.

Au sein de cette tradition occidentale le travail de Douglas Harding se nourrit de références multiples. Parmi celles-ci, on peut citer A.N. Whitehead (1926), en particulier son concept de « l’erreur de la localisation simple » et William James (1961). Une peinture de Ernst Mach, le philosophe allemand, permit de préciser la vision qu’Harding avait de qui il était vraiment, tandis que le travail du philosophe allemand Fechner lui inspirait sa vision de la terre en tant qu’être vivant. Plus généralement le travail d’Harding reprend les idées de Darwin, Einstein, Freud et Jung les entrelaçant en une nouvelle représentation de notre place dans l’univers.
Voir qui nous sommes nous relie aussi à une tradition d’investigation et de connaissance plus ancienne et plus vaste – celle des mystiques de tous horizons. A leur manière, les saints et les prophètes ont plongé au centre d’eux-mêmes et trouvé qui ils étaient vraiment. Au sein de la tradition chrétienne le grand théologien médiéval Maître Eckhart parlait de son identité avec Dieu ainsi que le faisait Catherine de Sienne, Saint Jean de la Croix, Ruybroek et beaucoup d’autres dont le moindre n’était pas le Christ lui-même. Sur les pas du Bouddha, les grands maîtres du Zen en Chine et au Japon ont vu, à travers leur propre nature, quel était le vide qui était leur visage originel. Lao Tseu et Tchouan Tseu, les pères du Taoïsme, ont chanté les louanges de la source sans nom. Dans l’hindouisme les Upanishads, Ramana Maharshi, Ma Anandamayi, Nisargadatta Maharaj et d’autres ont parlé du Soi résidant en chaque être, tandis que dans l’Islam on trouve Rumi, le grand poète et prophète Persan, Kabir et beaucoup d’autres. Les poètes occidentaux, Traherne, Blake, Emily Dickinson et Riki ont traité, à leur manière, de leur véritable identité. Voir qui vous êtes vous relie à cette tradition ancienne, la perpétrant et la développant sous une forme contemporaine et transculturelle.

Le fondateur en Angleterre.

Douglas Harding est né dans le Suffolk en 1909 dans une secte chrétienne fondamentaliste, mais il quitta celle-ci à l’âge de vingt et un ans afin de découvrir la vie par lui-même (ainsi que pour devenir architecte). La curiosité et l’ambition d’écrire sur des sujets philosophiques, l’amena, dans les années trente à formuler un modèle du soi selon une structure en oignon – plusieurs couches enveloppant une réalité centrale et mystérieuse. Pour lui, la question cruciale devint : « qu’est-ce qui se trouve au centre de toutes les enveloppes ? Qui suis-je vraiment ? » Sa « compréhension » de la nature de son propre centre lui advint en Inde durant la deuxième Guerre Mondiale, lui inspirant son livre, La Hiérarchie du Ciel et de la Terre, une œuvre majeure de la philosophie occidentale préfacée par C.S.Lewis et publiée pour la première fois en 1952.

Par la suite Harding écrivit d’autres livres et développa dans les années soixante et soixante-dix, des exercices de prise de conscience destinés à « expérimenter sa vraie nature ». Suivirent des cassettes audio et vidéo, une trousse d’outils, un modèle en trois dimensions du « Tunivers », un magazine, une rencontre annuelle internationale. A l’âge de 85 ans Harding continue à animer des ateliers dans le monde entier . Il a influencé des milliers de personnes, et nombreuses sont celles qui, désormais, utilisent les expériences et développent leur propre travail.

Les rapports avec les autres thérapies.

La Voie Sans Tête s’est développée à partir de l’investigation de Douglas Harding quant à la nature de sa propre identité. Les techniques utilisées ont été conçues afin de guider les gens dans cette même direction ; elles ont évolué en un moyen de tester l’hypothèse qu’au centre de nous-mêmes nous ne sommes pas ce que nous semblons être au yeux d’autrui. Cette approche se rattache théoriquement à la « nouvelle physique » de Fritjof Capra (1975) et de David Bohm (1980).

D’autre part elle s’apparente au système philosophique et à la pratique bouddhiste qui se développe à partir de la vision qu’en deçà de toutes nos idées, sentiments et actions il n’y a rien qui puisse s’apparenter à un « soi » – rien qui ne soit solide et durable. Toutefois, la Voie Sans Tête prétend que notre véritable identité nous est accessible ici et maintenant, et ce pour tout le monde, et diffère en cela d’approches qui considèrent l’« illumination » comme accessible à une seule minorité et rarement dans cette vie-ci.

La perspective de la Voie Sans Tête possède des liens avec de nombreuses idées actuelles. Notamment avec le concept jungien de strates collectives de l’esprit, et du besoin d’intégrer le Soi à notre vie quotidienne ; elle en a aussi avec un aspect de la Théorie des Systèmes qui explique que l’on ne peut aborder l’étude de nos vies en excluant notre environnement ; liens, également avec l’unité du corps et de l’esprit que Reich a exploré ; le sentiment de plénitude que certaines philosophie « New âge » ont exposées (Louise Hay (1991) par exemple ; la prise de conscience en Analyse Transactionnelle du jeu de cache-cache inconscient (Harding considère le Jeu du Visage comme le jeu de base).

Des liens pratiques ont déjà été établis avec la Thérapie par la Danse et le t’ai chi de par le sentiment d’immobilité au cœur du mouvement ; avec la thérapie par la voix par la conscience de la source silencieuse du son ; également avec la thérapie par l’art créatif qui crée à partir de « rien » ; avec la méditation qui nous permet de lâcher notre sens de l’identité, etc... En règle générale la Voie Sans Tête diffère des thérapies qui considèrent le Soi comme une chose figée (manipulable) plutôt que comme un processus. Plus particulièrement, elle décrit, au centre de nos vies, la présence d’une conscience totale et sans limite.

Les concepts centraux.

La cause de la souffrance.
L’identification à notre personne humaine à l’exclusion de notre Soi véritable constitue la racine de nos souffrances. Ce processus d’identification fait toutefois partie du processus de maturation. Dans les premiers mois de notre vie nous étions grand ouverts au monde et à notre vraie nature. Mais nous avons progressivement nommé et divisé notre totalité d’origine, prenant certaines parties et les appelant « moi », appelant les autres « non-moi » (bien que la frontière entre les deux soit toujours fluctuante).

Ce n’est pas que l’identification constitue une erreur. En un sens elle est nécessaire et créatrice. Mais mésestimer notre vraie nature revient à laisser un vide au cœur même de nos vies. En profondeur nous sentons que quelque chose ne va pas. Il y a comme un manque dans nos vies – avec en plus, au bout du compte, la mort. Que signifie tout ceci ?

Je pense que c’est Jung qui a dit qu’après la première moitié de notre vie notre principal besoin est d’ordre spirituel. Nous savons qui nous sommes en tant qu’individus mais ce n’est pas suffisant. Nous commençons à chercher quelque chose de plus grand, de plus profond. Nous pouvons ne pas en avoir clairement conscience. Il se peut que nous buvions, ou prenions des pilules pour combler cet effrayant vide intérieur. Il se peut que nous travaillions obsessionnellement afin de convaincre les autres et en fin de compte, nous-mêmes, que nous existons et avons quelque valeur. Mais ce comportement ne fait que trahir notre insécurité. La perte de notre vraie nature nous conduit dans de nombreuses directions.

Qui suis-je ?
La manière dont nous vivons est étroitement liée à la manière dont nous nous considérons. L’absence de tête nous permet d’évaluer à l’aide d’un nouvel éclairage la question de notre identité.

La distance détermine ce que nous sommes et qui nous sommes.
Notre apparence dépend de la distance de l’observateur. A quelques mètres nous avons une apparence humaine mais si nous nous rapprochons nous devenons des cellules, des molécules, des atomes, des électrons, des particules, etc. jusqu’à n’être pratiquement plus rien. De plus loin, notre apparence humaine est absorbée par le paysage, la planète, l’univers.
La structure en oignon du moi (corps et esprit).
La structure globale de tous ces revêtements illusoires est un système de couches superposées semblable à un oignon qui entourent un centre indétectable. Ces couches sont organisées hiérarchiquement en fonction de leur distance au centre. (Ces revêtements illusoires sont en fait constitués de ce qu’autrui pense que nous sommes – ils existent à l’extérieur de nous dans la perception de l’observateur et nous sont renvoyés.) L’investigation scientifique étudie la nature de ces enveloppes. La biologie, par exemple, étudie l’enveloppe cellulaire proche, l’archéologie, l’enveloppe des débuts historiques de l’espèce humaine, l’astronomie celle de l’anatomie et des comportements de la planète, du système stellaire et galactique. En fait les nombreuses enveloppes illusoires du corps, (cellulaire, individuelle, collective, planétaire, universelle, etc.) correspondent aux divers niveaux de l’esprit. Nous nous considérons habituellement comme des êtres humains individualisés. Toutefois, nous pensons, sentons et agissons parfois pour notre famille, notre pays, notre religion ou notre race et allons même jusqu’à nous identifier avec la planète entière. A d’autres moments nous semblons être réduits aux dimensions d’un mal de dents. Lorsque nous sommes dans un état expansif nous embrasserions toute chose et dans l’état opposé nous souhaiterions arrêter le monde pour en descendre.

Le corps sans tête et le centre.
Que sommes-nous ou qui sommes-nous au centre de toutes ces enveloppes ? Puisque vous êtes le seul à occuper votre centre vous êtes la seule autorité pour le décrire. Que voyez?vous de vous-même à « distance zéro » ? Je vais parler de mon propre cas. Regardant vers le bas je vois mon propre corps, mes jambes, mes bras et mon torse, mais pas de tête ! Au-dessus de mes épaules je vois deux formes nuageuses que j’appelle mon nez et des sensations de chatouillements, des douleurs, de chaleur et rien d’autre. Rien qu’un espace vide, sans limite, conscient. Regardant à partir de cet espace vide je découvre qu’il est occupé par mon corps sans tête, cette page, d’autres personnes, des maisons, des nuages, les étoiles dans le ciel et, de surcroît, mes pensées et sensations au sujet de toutes ces choses. Mon monde, des galaxies lointaines jusqu’à ce nuage que j’appelle mon nez, n’a personne en son centre. Pas même un « esprit ». Rien ne me contient, je suis un espace, vaste.

L’identité de la 1ère personne et l’identité de la 3ème personne.
Ces termes recouvrent deux aspects différents mais complémentaires de l’identité : ce que ou qui nous sommes pour les autres, perçu à distance, et qui constitue la troisième personne et ce que ou qui nous sommes pour nous-mêmes à « distance zéro » et qui constitue l’identité de la première personne. La différence entre ces deux aspects est absolue (par conséquent ils se complètent à la perfection, comme une main et un gant). La troisième personne est périphérique, une manifestation régionale, là où la première personne est centrale et la source de cette manifestation. La troisième personne est humaine, complète, avec une tête comme tout le monde, alors que la première personne est sans tête et constitue le cœur spirituel de notre humanité. La troisième personne est une simple chose dans le monde, séparée des autres choses, alors que la première personne est « espace » pour le monde, un rien, plein de tout ce qui est. La troisième personne est mortelle, la première personne non-née est immortelle.

Face à une absence de visage : la vision des relations humaines à la première personne.
Pour autrui je suis face à face avec les gens et séparés d’eux. C’est la vision à la troisième personne. A la première personne, toutefois, je ne suis face à face avec personne. Si je vous regarde, c’est votre visage que j’ai dans mon champ de vision et pas le mien – et vous voyez le mien. Je suis vous. Je suis espace d’accueil pour vous. C’est ce que nous appelons échanger les visages. Il faut du temps pour que cette vision nous pénètre profondément et affecte nos vies – interpersonnellement, internationalement, écologiquement – mais à chaque fois que nous contemplons notre absence de tête nous en approfondissons l’expérience.

Les trois étapes du développement individuel.
1- Enfants, nous sommes sans visage. Nous n’avons pas encore compris, ni même vu ce que, ou qui nous semblons être – le petit enfant que les autres voient. Notre corps/esprit est vaste. Nous sommes le centre infini de toute chose – sans connaître aucune autre façon d’être.

2- En tant qu’adulte nous déprécions notre condition originelle d’être sans tête, déplaçant notre conscience presque complètement vers notre identité à la troisième personne. Nous nous identifions à notre visage, notre corps, nos sentiments, notre esprit, nos noms, famille, pays et tout ce que nous associons à nous-mêmes. En fait nous réprimons notre première personne. La plupart des adultes atteignent et, jusqu’à présent, demeurent à ce stade.

3- Le prophète représente la possibilité de la troisième étape. Ici nous sommes à la fois conscientes de la projection de notre propre image dans le monde et du centre de l’être d’où cette image provient. Il s’agit là de la combinaison consciente de la première et de la troisième personne – la reconnaissance d’un paradoxe vivant. Ayant une tête je suis quelqu’un aux yeux du monde. Pour ma part, étant sans tête, je suis espace pour le monde.

Les trois étapes dans l’évolution de l’humanité.
L’évolution de l’humanité en tant qu’espèce correspond globalement aux étapes de développement individuel.
La première amorce d’une conscience personnalisée dans l’humanité naissante correspond à l’étape de l’enfant sans visage. Nous nous identifiions alors avec la tribu et la nature. Nous ne nous concevions pas alors comme particulièrement séparés des autres et du monde. La conscience était partagée avec chaque rivière, chaque arbre, chaque montagne, chaque animal, chaque étoile. L’univers était vivant.
Dans la deuxième étape de la conscience de soi nous nous considérons comme une espèce distincte et séparée des autres espèces. Nous sommes des étincelles éparses de conscience dans un univers en grande partie vide. Une telle vision est à la racine des guerres et de l’exploitation qui menace aujourd’hui la vie sur cette planète. Cette étape correspond à la deuxième phase du développement humain.
Peut-être sommes-nous actuellement en train d’évoluer de cette étape vers la suivante. Les grands instructeurs spirituels de l’humanité – des hommes et des femmes qui se sont éveillés à leur vraie nature – ont proclamé par le passé l’existence de cette nouvelle conscience. En un sens ils constituaient les premières mutations dans la conscience, franchissant le fossé de l’identification à seulement un niveau – le niveau de l’humain – à l’identification au centre qui embrasse tous les niveaux (en incluant l’humain). La conscience n’est plus dès lors imaginée comme étant confinée au sein de l’enveloppe humaine, à l’intérieur de nos têtes et cerveaux, mais appréhendée comme appartenant à l’ensemble de l’univers. De sérieux indices existent indiquant qu’un nombre sans cesse croissant de gens sur la planète entrent maintenant dans cette troisième étape.

Le processus de changement.

Les buts thérapeutiques.
Voir qui l’on est vraiment vise à établir d’une façon stable la conscience à la première personne. Toutefois ce but a une nature double. D’une part, bien qu’il soit le centre de toutes nos identités, de toutes les enveloppes du corps et de l’esprit, lorsqu’il est atteint il s’avère ne pas être un but du tout. En lui-même le centre, ou ce que vous êtes vraiment, n’a pas de substance. Il n’a rien en lui-même et il n’y a rien à atteindre.
D’autre part il est bien question d’un périple du centre à la périphérie puis, à nouveau vers le centre. Il s’agit d’un processus de maturation, une expérience du changement et de la transformation. Nous pouvons maintenant aborder plus en détail ce processus d’oubli puis de redécouverte de qui nous sommes et ensuite l’intégrer dans nos vies quotidiennes.

Devenir une personne.
La conception et la vie intra-utérine témoignent d’un monde individuel en formation, mais même après la naissance, durant les premiers mois et les premières semaines nous demeurons, pour nous-mêmes, indéfinis. Nous sommes rien et tout en même temps, une conscience sans centre, sans limite, « autour » de laquelle tout tourne. Sans visage et vaste nous sommes « espace » pour le monde. Grandir constitue pour le périple visant à devenir quelque chose, à devenir une personne : périphérique, mortelle, solitaire. Nous nous déplaçons de notre état originel d’unité vers un état de séparativité.

Reconnaître la véritable personnalité réprimée.
Dans notre vie d’adulte nous avons appris à réprimer notre vide, notre vraie nature – le « visage originel que nous avions avant que nos parents ne naissent » comme l’exprime le Zen. Peut-être nous sentons-nous inconsciemment menacés par celui-ci. Lors d’une vision de leur propre vide les gens parlent parfois de devenir invisible ou de disparaître. Cela peut sembler étrange et même effrayant. La confrontation avec cette « ombre », cette partie séparée et réprimée de nous-mêmes constitue l’intérêt même de l’acte de voir. Il s’agit d’une expansion de la zone d’attention pour inclure notre Soi originel et l’intégrer dans notre compréhension individuelle des choses. A l’instar du fils prodigue qui de retour à la maison de son père, l’endroit qu’il n’a jamais en fait vraiment quitté, est perçu avec un regard neuf après son périple.

Intégrer le vrai Soi.
Cette transformation au niveau de la conscience se réalise simplement en portant notre attention sur l’absence en nous d’une première personne Ce n’est pas « quelque chose » de plus qui est amené à la conscience, la perception d’un élément nouveau ou ancien, mais un lâcher prise de toutes les idées au sujet de ce que l’on est. C’est une croissance par absence de croissance, une reddition au sans forme, un anéantissement qui, simultanément, est une renaissance. L’intégration de cette « prise de conscience » dans notre vie est un processus sans fin qui se déroule jour après jour, année après année. Tout d’abord, nous avons souvent l’impression que cette vision nous vient comme des flashes. Peu à peu, toutefois elle devient plus stable, parfois au premier plan de la conscience, parfois à l’arrière plan. Ce processus de stabilisation est peut-être ce que D.T. Suzuki (1970) appelait dans ses écrits sur le Zen « la longue maturation de la matrice sacrée ». L’oiseau qui vole jusqu’à son Dieu se trouve confronté à un périple long et ardu. Et pourtant le paradoxe est qu’en regardant tout simplement Dieu, l’oiseau se trouve instantanément chez lui, car le visage qu’il contemple est le sien.
Voici quelques-uns uns des changements spécifiques que nous pouvons atteindre, lors du cheminement vers ce lieu que nous n’avons en réalité jamais quitté, vers ce qu’en réalité nous sommes vraiment.

Des changements spécifiques.
Les personnes qui décrivent leur absence de tête parlent parfois d’un voile qui leur aurait été retiré d’entre eux et le monde. Ils sont « hors-jeu » et le monde se révèle dans toute sa beauté physique. Le corps lui aussi apparaît sous un regard neuf. Les sensations, désormais ressenties dans un espace conscient sans corps, sont libérées de leur prison imaginaire. Un sentiment d’expansion, de communion avec le monde, les créatures et les choses prend place comme si nous les empreignions. Les sons sont plus distincts, les couleurs plus claires, la vision unidirectionnelle est remplacée par une conscience plus panoramique. Un nouveau sens de l’espace ainsi qu’un sentiment de clarté apparaît. Une femme s’est exclamée dans un atelier qu’elle se sentait comme un phare. Herrigel (1960), décrivant l’expérience du satori dans le Zen nous parle du monde comme baigné dans la lumière du vide. Le monde vu du vide est différent du monde que l’on voit selon la perspective de la personne limitée. Il est expérimenté sans la moindre distance, comme étant nous-même. Il est réel et non plus pensé (ou imaginé).

Cette expérience s’accompagne d’un sentiment nouveau de paix et de liberté d’esprit, d’un lacher-prise de l’identification aux sentiments, images et pensées qui s’écoulent à travers notre être. On perçoit une stabilité sous-jacente au climat émotionnel changeant. L’esprit se sent vaste, se ressent comme étant un aspect du monde autant qu’un aspect de la personne. C’est comme si les portails donnant accès à la source sautaient de leurs gonds et révélaient entièrement l’esprit – ou le non-esprit – se tenant à l’arrière plan de l’univers et qui pense et agit à travers nos personnes.

On découvre alors à l’intérieur de soi une source de créativité sans fin, un sentiment intime de richesse infinie. De plus on découvre peu à peu un sentiment de confiance en soi qui ne repose pas sur des accomplissements humains mais sur la conscience de qui l’on est vraiment. Qu’est-ce qui pourrait, en définitive, inspirer une plus grande confiance et un plus grand sens de la valeur de la vie humaine, que de reconnaître notre identité comme étant la source de toute chose ? Comme le dit Bouddha, « Moi seul suis l’Honorable au-dessus et au?dessous des cieux ». Il parlait de sa vraie identité et non pas de l’identité humaine.

Abandonner l’idée de croissance.
Un tel changement et une telle transformation, ne sont toutefois pas vécu au même degré par tout le monde. Parfois il semble que tout disparaisse et que nous nous retrouvions les mains vides. Mais rien ne s’est vraiment mal passé lorsque ceci se produit. Une telle absence de résultat fait aussi partie du processus de transformation et prépare le terrain pour une nouvelle croissance. Ce que l’on ne peut jamais perdre, qui est toujours à disposition et fiable, c’est cette conscience qui sous-tend toute expérience particulière après que celle-ci se soit produite et soit terminée. On peut lui faire confiance pour se manifester à tout moment.

Partager la vision.

Animer des ateliers.
D’un certain point de vue la personne qui anime les ateliers est un guide. Il ou elle est un familier des techniques et « expériences » et les utilise dans les ateliers pour guider l’attention des gens vers leur vraie nature. En même temps, le guide présente une nouvelle perspective impliquant des idées neuves. Souvent la voie sans tête suscite des questions auxquelles on doit répondre.

L’un des meilleurs moyens pour répondre à ces questions est de mettre en pratique les exercices. En d’autres termes, il s’agit de se référer à l’expérience propre de la personne. Le guide stimule la conscience et la compréhension en favorisant la réponse individuelle des participants plutôt que de les nourrir de réponses toutes prêtes.

De plus, le guide donne une forme à la voie sans tête. Ce qui ne veut pas dire que l’on suit n’importe quel modèle préconçu de comportement. Il s’agit simplement de pratiquer la voie sans tête pour soi-même. Ceci est absolument essentiel pour l’animateur, quelque rôle qu’il puisse jouer par ailleurs. Un tel exemple est contagieux, il se transmet à autrui. Lorsque l’accompagnateur est sans tête il encourage les autres à l’être également.

De temps à autre une personne dans un atelier se sentira effrayée par la voie sans tête. Cette personne aura tendance à perdre de vue qui elle est vraiment et à s’identifier aux pensées et images qu’elle entretient à ce sujet. Le rôle de l’animateur est d’être présent auprès de cette personne, et, selon le temps disponible, de lui permettre d’exprimer ces sentiments. En même temps il est vital que les accompagnateurs ne perdent pas de vue leur propre absence de tête. Ils offrent ainsi au « client » un pont les ramenant au calme de leur vraie nature, et à la conscience que leur être véritable est plus vaste que ces émotions particulières.
En fait, être sans tête, revient à être conscient que l’on ne joue aucun rôle d’aucune sorte pour personne. On n’assume et n’abandonne un rôle que lorsque l’on est impliqué dans une relation à une personne. Etre conscient de cela aide les guides et, en fait, tout un chacun, à répondre en étant au minimum sur la défensive quant aux rôles que les autres cherchent à leur faire jouer.

En deçà de ces rôles changeants, l’essence de la relation est l’égalité, puisque l’absence de tête exalte ce « lieu » où nous sommes tous identiques. De ce point de vue le « donneur » et le « receveur » sont les mêmes et partagent ensembles une expérience et un apprentissage.

Les expériences.
Les expériences sont les méthodes-clés utilisées dans les ateliers. Il s’agit de séries d’exercices de vigilance qui focalisent l’attention sur l’identité à la première personne, rendant évidente la différence entre celle-ci et l’identité à la troisième personne.

En principe une seule expérience suffit aux gens pour voir qui ils sont vraiment, et ils disent souvent avoir compris ce dont il s’agissait dès le premier essai. Toutefois, expérimenter plusieurs d’entre elles ouvre différentes perspectives. La compréhension en est clarifiée et approfondie et ainsi peut s’avérer profondément touchante.

Il existe plusieurs dizaines d’expériences. Certaines peuvent être réalisées par un seul individu, d’autres nécessitent deux personnes, certaines nécessitent un groupe plus important.

L’exercice « Monter du Doigt » peut être effectué seul. Il implique de regarder d’abord les choses que vous pouvez voir, puis de vous regarder vous-même, vous l’observateur ! Le but étant de vous voir tel que vous apparaissez à la première personne. Le meilleur moyen de comprendre est de faire l’exercice. Pointer votre doigt en direction de quelque chose qui se trouve devant vous. (Pointer sert à focaliser l’attention, particulièrement dans la dernière partie de l’exercice). Mettons que vous pointez une chaise, observez sa couleur, sa taille, son opacité, sa distance. Pointez en direction d’une de vos chaussures. Remarquez sa forme, la qualité du matériau, son état. En vous rapprochant, pointez vers votre torse. Soyez attentif à ce que vous semblez être sous cet angle et à cette distance. Finalement, pointez en direction de ce que les autres voient comme étant votre tête, le lieu à partir duquel vous regardez et observez ce que vous voyez vraiment – pas ce que vous vous attendez à voir. Pouvez?vous voir, de ce lieu d’où vous regardez, quelque forme ou couleur ? Des yeux, des joues, une bouche ? Un visage ? Si vous réalisez cette expérience à côté de quelqu’un regardez la différence entre cette personne qui pointe son doigt en direction de sa tête et vous-même pointant votre doigt vers votre absence de tête. Telle est la différence entre la troisième et la première personne.

« Qu’en est-il du miroir ? Je peux y voir mon visage » Cette question inévitablement se pose. On y répond par l’expérience de « la Carte » ou plus simplement en regardant dans un miroir et en constatant où se trouve votre visage. Est-il sur nos épaules ou dans le miroir ? Pour que ce visage là (dans le miroir) se trouve ici (sur vos épaules), vous devriez imaginer son déplacement du miroir à vos épaules, le retourner, puis l’agrandir ! Rapprochez votre miroir de votre visage et voyez comme l’image se brouille puis disparaît au moment du contact. Votre visage réside en fait dans le miroir et là où les autres peuvent le percevoir, et non pas sur vos épaules. Cette expérience tend à illustrer le fait que vous n’êtes pas, au centre de vous-même, ce que ou qui, vous semblez être à distance.

L’expérience « Face à l’Absence de Visage » permet d’explorer la qualité de nos relations et de notre identité face à d’autres personnes. Elle requiert deux participants. Asseyez-vous face à quelqu’un et observez si vous êtes tous deux face à face ou s’il n’y a pas plutôt une absence de visage qui contemple un visage. La mise en scène n’est-elle pas asymétrique, face à un espace, face à un vide ? Cet exercice peut durer de quelques minutes à dix minutes ou plus. Parfois les gens se sentent conscients d’eux-mêmes au départ, et parfois même un peu tendus, mais s’ils restent conscients d’être un espace, ou un « contenant » pour l’autre personne (et pour leurs propres sentiments) alors ils tendent à dépasser ces émotions pour évoluer vers un état d’esprit plus calme. Dans un même temps, se sentant dépouillés d’eux-mêmes, ils deviennent bien plus conscients de l’autre personne. Il n’est pas rare qu’un participant décrive le visage et la personne même de son protagoniste comme étant le sien propre. Ils parlent parfois « d’être l’autre personne » et d’établir un sentiment de communion profond et immédiat avec celle-ci. Cette perspective de visage à absence de visage peut se développer dans n’importe quel type de relation à une autre personne.

D’autres perspectives peuvent être explorées avec des groupes plus importants. L’expérience dite « l’Inclassifiable » nous permet d’aborder le processus d’identification à nos apparences en nous plaçant au milieu de plusieurs groupes de personnes. Il s’agit de placer des étiquettes colorées et autocollantes sur le front de chacun, sans que l’on puisse connaître notre couleur, et à demander ensuite à tout le monde de rejoindre le coin de pièce à la couleur correspondante. Comment pouvez-vous savoir vers quel coin vous diriger ? (Vous n’êtes pas autorisé à parler, toucher ou ôter votre autocollant, ou à vous regarder dans un miroir).

« Le Cercle Sans Tête » explore le paradoxe qui consiste à être un avec un groupe de personnes tout en restant distinct. Cinq à dix personnes se tiennent debout en formant un cercle et regardent vers le bas. Chacune des personnes peut observer comment son corps disparaît au-dessus du niveau de leurs épaules dans un espace de conscience qui est leur vraie nature. Vous pouvez ensuite constater comment le corps de chacun des participants disparaît également du champ de vision pour rejoindre ce même espace. Lorsque nous regardons vers le bas nous sommes tous distincts et séparés, mais, « là-haut » au sommet du cercle nous nous unissons en une seule conscience.

L ’exercice de l’« Oeil Fermé » étudie ce que et qui nous sommes sans la vision. Les yeux clos vous écoutez des questions et êtes guidés à travers divers aspects de l’expérience. Par exemple, en se fiant à la seule évidence présente, combien mesurez-vous ? Quels sont vos limites, et quelle forme avez-vous ? Quel âge avez-vous ? – tout ceci sans utiliser la mémoire. Ecoutez un bruit lointain, un son plus proche, puis le plus proche possible ? Qu’est-ce qui est plus proche que ce dernier ? Le silence ? Observez vos pensées et sentiments. Sont?ils plus à l’intérieur de vous que les sons ? Apparaissent-ils et disparaissent-ils dans un « esprit » ? Ou n’y a t-il pas plutôt une absence de contenant ? Ne sont-ils pas sans limites, s’écoulant à travers l’espace infini de la conscience ? Que et qui êtes-vous sans vos corps, esprit, nom, famille, travail, opinions, etc. ? On n’attend pas de réponses verbales durant le déroulement de l’expérience. Vous effectuez simplement l’expérience pour vous?même. Par la suite, bien entendu, vous aurez tout le temps nécessaire pour parler de votre expérience et écouter ce que les autres ont découvert.

Les pièges.
Voici quelques pièges dans lesquels on peut tomber en pratiquant l’exercice de la vision de notre vraie nature.

Voir est trop facile.
Voir qui vous êtes revient à voir l’évidence, à voir votre propre absence de visage. La difficulté rencontrée ici est que ceci est trop évident pour certaines personnes. Elles entrevoient leur absence de visage mais l’écartent comme s’il s’agissait d’un tour de passe-passe, d’une illusion d’optique. Je me rappelle d’un homme qui, à la fin d’un atelier, expliquait que tout ceci était trop simple pour lui. Il voulait quelque chose de plus complexe, de plus « psychologique », de plus cathartique – ce que peut être la voie sans tête, bien entendu. Mais son essence n’est pas complexe. Comme le sage Lao Tseu l’écrit, « Le Sage ne voit et n’entend jamais rien de plus que ce qu’un enfant voit et entend ».

Penser plutôt que voir.
Même après des années de pratique, certaines personnes s’aperçoivent qu’elles ne faisaient en fait que penser plutôt que voir qui elles étaient, or, un gouffre sépare les deux. Plutôt que de simplement voir une absence, une idée subtile d’être « vide », d’être le Soi, d’être sans tête, fait son chemin dans la conscience. Il s’agit tout autant d’une erreur d’identification, que de penser que l’on est n’importe quoi d’autre. Lorsque j’identifie le Soi avec quelque qualité que ce soit, je le dénature et me sépare du monde, même s’il s’agit de qualités telles la franchise ou la vacuité (comme le dit Lao Tseu, le « chemin » qui peut être expliqué n’est pas le véritable « chemin »). Il ne s’agit pas d’autre chose que de la défense schizoïde de soi. Le vide est clair comme du verre mais l’idée d’être identique à du verre peut être mal interprétée et nous faire élever une barrière imaginaire qui nous coupe d’autrui. Pour remédier à cela il suffit de revenir à la vision plutôt que de vouloir réfléchir à l’expérience elle?même. Il s’agit d’expérimenter qu’il n’y a pas à ce niveau, la pensée de votre véritable identité.

Il y a de cela quelques années, un ami me présenta à un maître Zen coréen dont l’enseignement était d’être conscient et d’être persuadé qu’il n’y avait rien à connaître, ou que nous ne connaissions rien. Mon ami expliqua au maître Zen que je connaissais ce qu’il entendait par « ne pas savoir » la réponse du maître fut, « ne dites pas que vous savez qu’il n’y a rien à savoir. Moi-même je ne sais pas qu’il n’y a rien à savoir ! ».

Distinguer entre voir et ressentir.
Il arrive souvent que les gens se sentent plus ouverts lorsqu’ils voient qui ils sont. Il peut alors se produire des changements radicaux dans leur vie. Il peut toutefois arriver que ces changements et jusqu’à un certain point de vieilles émotions redressent leur tête. Il semble parfois que les choses empirent plutôt qu’elles ne s’améliorent. Le danger est alors de penser avoir perdu la vision de ce que l’on est, ou que l’on pense ne pas voir correctement. On peut, par conséquent, abandonner l’acte de voir et se tourner vers quelque chose d’autre qui promette des émotions positives. Le fait est que la vision demeure inchangée. Elle est l’espace dans lequel les émotions vont et viennent et elle n’est pas identique ni ne dépend du fait de se sentir bien. Elle est tout autant accessible dans des moments de dépression ou d’exaltation.

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