Carlos Castanéda


Carlos Castanéda


Biographie

Qui était Carlos Castaneda ?

Castaneda était un chaman et "Nagual" autoproclamé, qui a revendiqué avoir été l’héritier d’une lignée spécifique de sorcellerie s’étendant sur 27 générations, dont il était selon lui le dernier et l’ultime dirigeant. Le legs de Castaneda existe principalement au travers des douze livres dont il est l’auteur (commençant par Les Enseignements de Don Juan : une Voie Yaqui de la Connaissance, dont la première édition date de 1968) ; des livres écrits par ses compagnons, Taisha Abelar et Florinda Donner-Grau, qui ont aussi prétendu décrire leur apprentissage avec le groupe de sorciers de Don Juan ; et une série d’ateliers publics, commençant en 1993, qui ont été consacrés principalement à l’enseignement de la "Tenségrité", qui consiste en des séries de mouvements dont Castaneda a prétendu qu’ils avaient été transmis par sa lignée de sorciers et qui prétendument auraient pour origine "les sorciers du Mexique antique."

Depuis que les livres de Castaneda ont paru, beaucoup de critiques ont douté de leur authenticité. Des livres et des articles ont été publiés au cours des années attaquant les revendications de Castaneda de différents points de vue (par exemple, les passages qui ont des ressemblances remarquables avec les descriptions faites par d’autres anthropologues ; les descriptions de flore et de faune qu’il est improbable de trouver dans le désert de Sonoran ; l’improbabilité que l’enseignant présumé de Castaneda, un chaman Yaqui, relativement sans instruction, puisse être versé dans des systèmes philosophiques sophistiqués qui ressemblent de façon remarquable à ceux de Nietzsche et Gurdjieff, parmi d’autres ; des contradictions internes dans les dates et les événements à l’intérieur des livres. Une telle critique est devenue si bruyante à la fin des années soixante-dix et au début d’années quatre-vingts et Castaneda a si immuablement évité de répondre à ses critiques divers, que le climat était mûr pour ce qui devait devenir un mythe pénétrant de Castaneda : qu’il avait lui-même abjuré le conte extraordinaire décrit dans les livres. En fait, Castaneda n’a jamais admis au cours de sa vie que ses livres pouvaient être autre chose que sa tentative la meilleure pour décrire sa formation par Don Juan et son groupe pour apprendre à percevoir d’autres mondes et "l’énergie, telle qu’elle coule dans l’univers."

Castaneda est décédé à Los Angeles le, ou autour du 27 avril 1998.

Il a écrit douze livres autobiographiques qui racontent son expérience de la sorcellerie sous la conduite du sorcier toltèque Yaqui Don Juan Matus. Ses livres relatent non seulement des éléments autobiographiques, mais constituent le vecteur de l'enseignement chamanique de la tradition toltèque. À l'écoute de son maître, Carlos Castaneda prend note de la leçon initiatique de la culture Yaqui. Ses ouvrages connaissant un immense succès, furent l'occasion d'une universalisation de la pensée chamanique. Cependant, le langage éminemment symbolique du chaman toltèque reste particulièrement métaphorique, et l'ethnologue ne sut en déceler ni la structure, ni le système qui en fonde l'ontologie.
Depuis le milieu des années 1980, Carlos Castaneda a transmis un aspect de la connaissance des chamans du Mexique ancien jusque-là inconnu : les Passes Magiques.
La propre vie de Castaneda est mal connue, celui-ci l'ayant entourée, à dessein sans doute, d'une aura de mystère.



Les « mystères » Castaneda


• Mystère sur ses origines

Il a prétendu être né à Sao Paulo, au Brésil en 1931, avoir passé la plus grande partie du début de sa vie en Argentine, avant de se rendre aux États-Unis pour suivre des études d'anthropologie. En fait, les documents du bureau de l'immigration disent qu'il est né à Cajamarca, au Pérou. Sa mère meurt lorsqu'il a 22 ans et son père, César Arana Burungaray, est joaillier. Lui-même suit des cours à l'académie des Beaux-Arts de Lima, puis se lance dans les arts plastiques. Il affirme avoir quitté son pays pour la Californie afin de fuir une Chinoise qui fumait de l'opium. Il a obtenu un doctorat en anthropologie à l'université de Los Angeles en 1970.


• Mystère sur son existence

Innombrables, les personnes qui ont essayé de rencontrer Castaneda. Adresse inconnue, entourage cloisonné, photos interdites (il existe de lui quelques photos et dessins dont l'authenticité est toujours mise en doute). Comment aurait-il pu en être autrement, puisqu'un guerrier est censé être inaccessible ? Quelques très rares interviews, minutiueusement orchestrées, dont le but fut moins le projecteur sur le personnage que la clarification de la doctrine. On essaye alors de l'atteindre par son plan métaphysique (voir Véronique Skawinska, Rendez-vous Sorcier avec Carlos Castaneda). Castaneda restera toute sa vie un fantôme.


• Mystère sur sa mort

Castaneda est mort le 27 avril 1998, dira la presse. Pour préciser plus tard, 'autour du 27 avril 1998'. Une incertitude de 3 jours, un corps qui a disparu, et qu'on finit par retrouver, véritable épisode d'X-files. Le tout annoncé officiellement le 19 juin 1998, un mois et demi plus tard. Un 'fils' entre en scène et serait à l'origine du black-out pour raisons testamentaires. Entre temps, dans la plus grande discrétion et à l'étonnement général, le corps est incinéré, et ses cendres se sont dispersées au-dessus du désert mexicain. Le Los Angeles Times dira qu'il est mort comme il vivait "dans le calme, le secret et le mystère".


Œuvre

Dans ses ouvrages, Carlos Castaneda fait le récit de son initiation par don Juan Matus aux concepts des chamans du Mexique ancien. Il passa plus de dix ans en compagnie du sorcier et de son clan, constitué d'hommes et de femmes tous impliqués entièrement dans la quête d'un but abstrait défini par les « voyants » de leur lignée : la liberté absolue ou la possibilité de conserver intacte leur conscience dans l'au-delà.

Carlos Castaneda décrit son immersion dans le monde de don Juan sur une période de plus de dix ans - période qui trouva son paroxysme dramatique au moment où don Juan Matus et son clan décidèrent de quitter ce monde, laissant derrière eux une nouvelle génération d'apprentis, à leur tour entièrement impliqués dans la quête de la liberté absolue.

Le travail de Carlos Castaneda pour reconstituer la connaissance issue des chamans du Mexique ancien, lui prit plus de dix ans. Le résultat de cet effort de reconstitution et de clarification est à présent connu sous deux formes : ses ouvrages et la pratique de la Tenségrité.

Ses ouvrages font état d'une philosophie (voir ci-dessous) dont l'objet est la quête de la "Connaissance", déterminisme d'ordre ésotérique qui apporterait au 'sorcier' des pouvoirs inconnus au commun des mortels, dont à terme celui de l'immortalité. A la fin de son apprentissage, et conformément à une très antique tradition, consécration qui confirmait la réussite des adeptes, Casteneda doit sauter dans un ravin, selon la trame de l'enseignement du nagual: "Si tu n'as pas réussi à assembler un autre monde avant d'arriver au fond, tu es mort".

Dans le courant des années 1980, Carlos Castaneda et ses collègues, tous apprentis de don Juan Matus, décidèrent de diffuser, pour quiconque était sincèrement intéressé, un des pans de la connaissance des chamans : les « passes magiques ». Selon Carlos Castaneda, ces passes magiques sont la modernisation de « mouvements » découverts et développés par les chamans du Mexique ancien durant des milliers d'années. Ces mouvements furent regroupés par Carlos Castaneda sous le titre Tenségrité, terme issu de l'architecture qui combine les mots tension et intégrité. A sa mort, un nombre important de sociétés commerciales ont revendiqué la légitimité d'enseigner la tenségrité. Le sujet est toujours en pleine polémique.


Authenticité du récit

Une vaste polémique fait rage depuis des décennies sur l'authenticité du récit de Castaneda. Supposée être une autobiographie, et présentée comme telle, de nombreuses voix se sont élevées en criant à l’imposture. L’œuvre ne serait que le roman d’un écrivain facétieux dont la seule qualité serait une imagination illimitée.

Dans les années 1970, Castaneda, considéré comme le messie d'une nouvelle religion, est crédité, au moins en apparence, d’une œuvre naissante cautionnant l’usage des substances psychédéliques, à la manière d'Antonin Artaud, d’Aldous Huxley ou de Thimothy Leary. Des charters entiers décollent vers cette nouvelle Mecque, le Mexique central, à la recherche de Don Juan, son maître à penser et inspirateur. Rien n’y fait, le pays est ratissé pendant des années, l’homme reste introuvable.

Un témoignage de poids viendra alourdir cette présomption de farce. Une femme, se présentant comme l'ancienne compagne de Castaneda, viendra cautionner l’hypothèse de l’imposture (Castaneda, Marguaret Runyan. Voyage Magique Avec Carlos Castaneda, Millenia Press, 1977). Analysé par certains spécialistes de la biographie de Castaneda, le témoignage de cette femme sera finalement considéré comme fébrile, contradictoire, et d’intérêt personnel, laissant la polémique dans son mystère.
Il serait très long d'énumérer tous ses détracteurs, ainsi que tous ses défenseurs. Les éléments restent bel et bien invérifiables, de tous côtés. Les écoles relatives aux enseignements de Castaneda, notamment celles sur la tenségrité, ont proliféré après sa mort. Cette phase commerciale (certains tarifs pratiqués étaient astronomiques) accrédita à nouveau la thèse de l'imposture. Mais les défenseurs ont des arguments de poids ; les stages ne furent qu'une récupération étrangère, à lucrativité assurée, non conformes à l'esprit de l'œuvre car calquées sur un yoga américanisé. Le mystère sur l'authenticité du récit reste entier.


Philosophie

L'oeuvre comprend une philosophie très complexe incrustée dans le récit, et, pour une part importante, totalement inédite (argument majeur des défenseurs de l'authenticité du récit). Curieusement, elle représente une approche protéiforme du monde, qui pourrait tout aussi bien se laisser cataloguer en tant que religion, en tant que philosophie, en tant que métaphysique ou en tant qu'art de vivre. Son semblant syncrétique se désagrége à l'analyse, elle ne se réclame d'aucune religion ni philosophie existante, et pourtant, parmi les notions inédites et inconnues elle rappelle de grands principes bien connus, souvent contradictoires, qu'elle semble parvenir à conjuguer, comme par exemple un nihilisme et un élitisme très nietzschéen au semblant incompatibles avec une rédemption très chrétienne.

• Aspects nihilistes
L'univers est sans Dieu, vide, il n'est constitué que de champs d'énergie, originaire d'une unique source, métaphoriquement appelé "Aigle", dont la conscience humaine n'est qu'une infime émanation. La vie humaine n'est qu'un enrichissement de la conscience dévorée par l'aigle après la mort (voir également Saturne en mythologie grecque et les notions de théosophie "La vie est prêtée").

• Aspects de rédemption
Sous certaines conditions, très précises et parfaitement modélisables, l'homme peut échapper à son destin de voir sa conscience dévorée. Cette unique condition s'appelle "vivre en guerrier" (voir ci-après). Elle correspond à un mode de vie très rigoureux, qui consiste à accumuler une réserve énergétique suffisante pour offrir à l'aigle un placebo, le contourner et ainsi conserver sa conscience sur une durée pouvant être illimitée. Dans ce cas, le guerrier "ne meurt pas".

• Aspects gnostiques et d'élitisme
Il existe un déterminisme supérieur, nommée "Connaissance", inaccessible au commun des mortels. Cette connaissance est cachée (ésotérisme). Un "sorcier" seul peut prétendre y accéder, mais il aura été, auparavant, prédestiné comme tel. Une conscience supérieure, appelée l'Esprit, le désigne comme tel par un ou plusieurs présages. Seul un sorcier expérimenté, appelé, Nagual, peut lire ces présages et reconnaître un futur apprenti.

• Aspects de 'charité' et du désinteressement
Seul un apprenti désigné par l'Esprit peut être formé à acquérir la Connaissance. Toute autre formation est vaine, le Nagual mettrait en danger n'importe qui d'autre que le prétendant naturel, et se mettrait en danger lui-même, les énergies en jeu étant très élevées. Le Nagual est désinteressé (la rémunération n'a aucun sens), bien que cette prise en charge lui soit profitable au sens de la perfectibilité de sa voie de guerrier. Néanmoins, et toujours paradoxalement, n'importe qui peut s'engager, seul, dans la voie de guerrier, s'il est conscient de l'inconfort extrême de cette voie.

• Aspects alchimiques et hermétiques
Bien que vide, l'Univers est pourvu d'une substance neutre, impersonnelle. Elle n'a pas de volonté par elle même, mais un "sorcier" peut la polariser avec son 'intention'. Cette substance est appelée Nagual (homonyme du précédent), et va renvoyer, comme un miroir, l'image solidifiée appelée 'tonal'. Comme en alchimie, la part mâle, sulfureuse, active, va féconder la part femelle, passive, mercurielle. C'est ainsi que les 'sorciers' accomplissent ici-bas des actes prodigieux, des actes magiques.

• Aspects phénoménologiques
La base de la 'sorcellerie' est le mouvement du point d'assemblage. La constitution énérgétique de l'univers peut se décomposer en un nombre quasi-infini de filaments, ayant chacun conscience d'eux-mêmes. Le point d'assemblage permet de se connecter sur certains d'entre eux, créant ainsi notre perception du monde. La position du point d'assemblage d'un homme commun est sensiblement la même pour toute l'humanité. Un 'sorcier' peut bouger ce point pour accéder à d'autres filaments habituellement inaccesibles. Sa perception du monde change, tout en restant parfaitement réelle (pratique nommée 'stopper-le-monde'). Cet art s'appelle "l'art de traquer" ou l'art de la folie contrôlée. A l'extrême, il peut même ne plus assembler les filaments de ce monde pour assembler celle d'un autre.

• Aspects dualistes, non-dualistes et d'unité
L'oeuvre de Castaneda se distingue par une polarité Nagual-Tonal (voir définition ci-dessus). Un homme normal ne connaît que le Tonal, étant éduqué à cette perception, qui se stabilise à l'âge adulte pour devenir sa vision courante de l'Univers. Un 'Sorcier' connaît l'existence du Nagual, structure totalement indescriptible et complémentaire (parviendrait-on à la décrire, elle deviendrait Tonal, voir aussi le Taoïsme). Même indescriptible, le Nagual est un domaine expérimentalement tangible. Un 'sorcier' ne privilégiera pas l'un au détriment de l'autre, mais s'efforcera d'unifier les deux, pour atteindre 'la totalité de soi-même'. A noter que le dualisme conventionnel Bien-Mal, tout comme la moralité, n'a aucun sens chez Castaneda. Sur cet aspect l'oeuvre s'apparente bien aux récits épiques orientaux, comme le Mahabharata, pour lesquelles la notion de bien et de mal est inconnue.

• Aspects démonologiques et de possession
L'enchevêtrement des structures énergétiques de l'Univers occasionne des transferts très pénétrants. La conscience de l'homme se trouve violée en permanence par des incursions étrangères d'énergie, ressenties comme changements humoraux plus ou moins puissants, appelées 'êtres inorganiques', la plus virulente étant "l'ombre", entité obscure capable de substituer sa conscience à la nôtre, pour exacerber le pire ennemi du 'sorcier', sa propre auto-contemplation, et se nourrir de ses effets funestes. Certains sorciers parviennent à contrôler ces énergies étrangères, et en font leur 'allié'. Même si l'alliance avec les êtres inorganiques est déconseillée, la composition avec eux est incontournable, car ce sont eux qui apportent l'énergie dont nous avons besoin. Ils agissent sur un homme normal alors qu'il croira agir de sa propre volonté. Le 'sorcier', conscient de la présence furtive de l'énergie étrangère, la capte, mais conserve sa propre volonté. Ce procédé, consécration d'un "homme de connaissance", est appelé "l'ultime art de traquer".

• Aspects d'immanence et de déterminisme
Bien que l'objectif du 'sorcier' soit la liberté absolue, il n'en demeure pas moins que le travail visant à l'acquérir s'effectuera dans un ensemble de règles très précises, formant un tout homogène et cohérent appelé 'Voie du guerrier' (voir ci-après). En outre, cette voie présuppose la détermination d'un objectif, prenant impérativement en compte la Nature du guerrier, c'est-à-dire l'ensemble de ses prédispositions (on notera la forte similitude avec toute la littérature orientale antique, notamment le mahabharata, où le Dharma, la Nature d'un individu, constitue le principe fondateur). Castaneda nomme ce déterminisme "La voie du cœur".

• Aspects divinatoires
Ayant acquis la capacité à bouger son point d'assemblage, un 'sorcier' peut avoir le pouvoir de percevoir son environnement sous sa forme énérgétique. Cette perception ne se fait pas avec les yeux, mais avec le corps, qui doit être, comme condition nécessaire, sans être suffisante, en excellente santé. Cet acte s'appelle 'voir'. Par ce procédé, Don Juan arrive tout au long de la formation, à connaître l'état émotionnel de Castaneda, mais aussi les traces de son passé. 'Voir' est utilisé par les 'sorciers', par simple focalisation, pour connaître des personnes ou groupes de personnes déterminés, des étapes d'histoire, reconnaître des lieux bénéfiques ou maléfiques, ressentir le danger ou l'aspect favorable d'une situation. A la fin de son apprentissage, Castaneda va 'voir' les sorciers anciens, race totalement disparue, et va finir par les rejoindre malgré les avertissements répétés de Don Juan.


Pragmatisme et voie du guerrier

• La détermination de l'objectif
Il existe une phase très ingrate de l'apprentissage où l'élève n'est plus un homme commun, mais pas encore un sorcier. Il a dépassé les valeurs conventionnelles du monde, qui n'ont plus de sens pour lui, mais n'a pas encore atteint les prémisses de la connaissance. Cette phase est pour lui particulièrement dangeureuse et déroutante.
"Un guerrier sélectionne les éléments qui constituent son monde, car chacun des éléments constitue un bouclier [...] Les gens sont affairés à faire ce que les gens font, voilà leurs boucliers [...] Maintenant, pour la première fois, tu n'est plus à l'abri dans ton ancien mode de vie" (Cf 'a separate reality'). Il y a donc nécessité vitale d'assembler un nouvel ordre de valeurs. Ce processus, le guerrier va le trouver au sein de sa propre nature.

Le processus des 'sorciers' est donc de reboucher la trouée (dans laquelle s'engageait la mort dès son ouverture), par une réorganisation basée sur 'la-voie-qui-a-du-cœur', afin d'éviter cette ouverture au néant: « Un simple coup d’œil sur l’éternité qui se trouve à l’extérieur du cocon suffit à perturber le confort que nous procure notre inventaire. La mélancolie qui en résulte peut engendrer la mort ». L'objectif premier, en tant que réorganisation du bouclier, n'est que la protection indispensable lorsque le 'sorcier' considère le tonal, et désire le transcender.

Il existe cependant, au-delà de cette réorganisation, un objectif ultime et irrationnel, inconcevable par représentation, mais dont l'acquisition est pourtant indispensable pour l'accession à la connaissance. Cet objectif, appelé 'noyau abstrait', est partie d'un patrimoine mythique; Expérimenter ce patrimoine est la seule façon de parvenir au but ultime des 'sorciers', le maniement de "l'intention", domaine pour lequel la transmition orale était totalement inadaptée. On dit alors que le guerrier possède un 'objectif abstrait'

• Les déterminants de la voie du guerrier
La pierre angulaire de tout le "système Castaneda" consiste en une gestion draconnienne de sa propre énergie. "L'ombre", le pire prédateur de l'univers, nous prête, à notre insu, sa conscience pour nous faire faire des actes destinés à exacerber notre auto-contemplation, qui va générer nos sursauts énergétiques dont se nourrira l'entité. La vie d'un individu normal consiste tristement à se vider de son énergie toute sa vie dans des combats fallacieux (qui, comble de tout, pourront être faussement interprétés comme "actes guerriers") par le biais de son auto-contemplation qui sera le canal de cette fuite énergétique (on notera à ce sujet la similitude flagrante avec le logion 101 de l'évangile de Saint Thomas: " Le Royaume du Père est pareil a une femme qui porte un vase plein de farine et qui s'en va par un long chemin. L'anse du vase s'est brisée: la farine s'est répandue derrière elle sur le chemin sans qu'elle le sache et sans qu'elle sache y remédier. Lorsqu'elle est arrivée à sa maison, elle a posé le vase et elle a trouvé qu'il était vide")

L'acte guerrier consiste en premier lieu à endiguer cette fuite énergétique, en considérant l'auto-contemplation comme le pire ennemi (Les religions orientales stipulent que si un acte doit être parfait, il ne faut pas s'attacher aux fruits de l'acte - l'originalité de Castaneda est d'en évoquer les raisons: elles ne sont pas morales, mais pragmatiques). Castaneda raconte comment un adepte, même mourrant quand son Nagual l'a découvert, ayant gaspillé à outrance toute son énergie dans une vie dissolue, a pu in-extremis en sauver la part résiduelle.

Le monde ambiant étant source de dispersion, le guerrier doit aborder ce monde en suivant des déterminants très précis:

1/ Le processus de validation du consensus particulier
Le processus mis en place par Don Juan consistait à isoler des perceptions de la vie ordinaire pour établir des corrélations avec les états de conscience modifiés. La perception de la réalité ordinaire migre vers une perception spécifique et personnelle. Cette vision est nommée pour la circonstance "stopper-le-monde". Ce mouvement vers le consensus particulier qui, à terme, permet l'abandon de la perception habituelle pour accéder aux fibres lumineuses habituellement hors du champ couvert par le point d'assemblage.

• Les rapports à la drogue
Le premier livre de Castaneda (l'herbe du diable et la petite fumée) fait état d'une voie de connaissance nécessitant la consommation d'un certain nombre de drogues. L'idée était d'acquérir la maîtrise d'un stade donné de la voie en créant des rapports privilégiés avec l'allié le mieux à même d'enseigner sur ledit stade. L'allié, contenu dans la drogue (par exemple datura inoxia ou psilocybe mexicana), devenait momentanément professeur particulier.

Les défenseurs de la consommation, modérée ou non, de substances psychédéliques, y ont immédiatement vu le nouveau messie de leur pratique, cautionnant par une doctrine extrêmement cohérente leur idée originale, l'absorbsion de drogues en vue d'une voie de libération. Timothy Leary avait eu raison, et Woodstock avait bien été pressentie comme une voie prometteuse.

L'analyse appronfondie de l'oeuvre montre qu'il n'en est rien. Si la pierre angulaire de l'enseignement est le mouvement du point d'assemblage, il est aussi fait état de la prédisposition personnelle à cette fin. Certains 'sorciers', et notamment la plupart des 'sorcières', possèdent les capacités naturelles a effectuer ce mouvement.
Castaneda a toujours été vu par son maître, Don Juan, comme étant 'bouché'. La prise de drogues fut l'ultime recours pour lui faire bouger son point d'assemblage, quasi-indélogeable, c'est-à-dire qu'il lui était impossible de sortir de la petite vision de son petit monde. Les substances psychédéliques ne lui furent administrées qu'en début de formation, et à titre exceptionnel, de façon à lui faire percevoir des potentialités qu'il ne pouvait imaginer, et encore moins accepter. Don Juan expliquait qu'elles étaient dangereuses pour le corps, et qu'une excellente santé du corps était indispensable, notamment pour "voir".
L'essentiel de la formation s'est passée sans utilisation de drogue. La nécessité d'une parfaite lucidité est d'ailleurs soulignée tout au long de l'oeuvre. Après cette phase psychotrope, l'accès à la 'conscience du côté gauche' (nom donné à l'état de conscience accrue, atteint précédemment par la drogue) se fait par un 'coup' dans le dos, donné par Don Juan (pris comme tel; on apprendra par la suite que ledit coup ne l'aura jamais touché physiquement et qu'il s'agissait en fait d'une secousse au corps énergétique). A un stade plus avancé de la formation, Castaneda finira par 'basculer du côté gauche' sans aucune intervention extérieure.

Un article de Wikipédia, l’encyclopédie libre et gratuite. http://fr.wikipedia.org



Les sorciers pensent que les prédateurs nous ont inculqué nos systèmes de croyance, nos idées sur le bien et le mal et nos moeurs sociales. Ils nous ont donné la convoitise, l'avarice et la lâcheté. Ce sont les prédateurs qui nous rendent suffisants, routiniers et égomaniaques.

Afin de nous rendre obéissants, faibles et dociles, les prédateurs se sont engagés dans une manoeuvre prodigieuse - bien sûr, prodigieuse depuis le point de vue d'une stratégie de combat. Une manoeuvre horrible du point de vue de ceux qui le subissent. Ils nous ont donné leur esprit ! Tu m'entends ? Les prédateurs nous ont donné leur esprit, qui est devenu notre esprit ! L'esprit des prédateurs est baroque, contradictoire, morose et maintenant, rempli de la peur d'être découvert d'un instant à l'autre. Je sais que même si tu n'as jamais souffert de la faim, tu possèdes l'anxiété de la famine, qui n'est autre que l'anxiété du prédateur qui craint qu'à tout instant, sa manoeuvre puisse être découverte et que sa source d'alimentation lui soit refusée. A travers l'esprit, qui après tout est leur esprit, les prédateurs injectent dans la vie des êtres humains tout ce qui leur convient. De cette manière, ils se garantissent une marge de sécurité, un tampon contre leur peur.

(...) En jouant sur notre conscience de soi, qui est le seul point de conscience qui nous reste, les prédateurs créent des éruptions de conscience qu'ils consomment de manière impitoyable et prédatrice. Ils nous insufflent des problèmes débilitants qui provoquent le jaillissement de ces éruptions de conscience et de cette manière, ils nous maintiennent en vie pour pouvoir se nourrir des éruptions énergétiques de nos pseudo préoccupations. "

Carlos Castaneda, " The active side of infinity ".

-------------------------------

Six propositions explicatives

Un inédit de Carlos Castaneda traduit par Patrick Négrier

1- Introduction :

En dépit des manœuvres stupéfiantes que Don Juan fit avec ma conscience, au long des années, j’insistais obstinément pour essayer d’évaluer intellectuellement ce qu’il fit. Bien que j’aie écrit longuement à propos de ces manœuvres, cela a toujours été à partir d’un point de vue strictement expérientiel, et en outre à partir d’une perspective strictement rationnelle. Immergé comme j’étais dans ma propre rationalité, je ne pouvais pas reconnaître les buts des enseignements de Don Juan. Pour comprendre l’étendue de ces buts avec un certain degré de précision, il était nécessaire que je perde ma forme humaine et arrive à la totalité de moi-même.

Les enseignements de Don Juan étaient sensés me guider à travers la seconde étape du développement d’un guerrier : la vérification et l’acceptation sans restriction qu’à l’intérieur de nous gît un autre type de conscience. Cette étape se divisait en deux catégories. La première, pour laquelle Don Juan requérait l’aide de Don Genaro, se rapportait à deux activités. Elle consistait à me montrer certaines procédures, actions et méthodes qui étaient destinées à exercer ma conscience. La seconde se rapportait aux six propositions explicatives. Eu égard aux difficultés que j’avais pour adapter ma rationalité dans le but d’accepter la plausibilité de ce qu’il m’enseignait, Don Juan présentait ces propositions explicatives dans les termes de mon registre universitaire. La première chose qu’il fit, au titre d’introduction, fut de créer une division en moi-même au moyen d’un coup spécifique sur la clavicule de l’épaule droite, un coup qui me fit pénétrer dans un état inhabituel de conscience que je ne pouvais rappeler une fois que j’étais revenu à la normalité. Jusqu’au moment où Don Juan me fit entrer dans un tel état de conscience, j’eus un indéniable sens de la continuité, que je pensais être un produit de mon expérience vitale. L’idée que j’avais à propos de moi-même était celle d’être une entité à part entière qui pouvait expliquer tout ce qu’il avait fait. En outre, j’étais convaincu que la demeure de toute ma conscience, s’il y en avait une, était dans ma tête. De toute façon, Don Juan me montra avec son coup qu’il existe un centre dans la moëlle épinière, à la hauteur des clavicules des épaules, qui est de toute évidence un centre de conscience supérieure.

Quand j’interrogeais Don Juan sur la nature de ce coup, il expliqua que le nagual est un directeur, un guide qui porte la responsabilité d’ouvrir le chemin, et qu’il doit être impeccable pour imprégner ses guerriers d’un sentiment de confiance et de clarté. C’est dans ces conditions seulement qu’un nagual se trouve dans la capacité de donner ce coup sur le dos pour forcer un déplacement de la conscience, parce que le pouvoir du nagual est ce qui permet le passage. Si le nagual n’est pas un praticien impeccable, le déplacement ne se produit pas, comme quand j’essayais, sans succès, de placer les autres apprentis dans un état de conscience supérieure en les frappant sur le dos avant que nous nous aventurions sur le pont. Je demandais à Don Juan ce que ce déplacement de conscience impliquait. Il dit que le nagual doit frapper à un endroit précis, qui varie de personne à personne, mais qui est toujours localisé dans l’aire environnante des clavicules des épaules. Un nagual doit voir pour spécifier cet endroit, qui se trouve situé à la périphérie de la luminosité de l’individu et non dans le corps physique de celui-ci ; une fois que le nagual l’a identifié, il exerce une pression sur celui-ci plus qu’il ne le frappe, et ainsi crée une concavité, une dépression dans le bouclier lumineux. L’état de conscience rehaussée résultant de ce coup dure autant que dure cette dépression. Quelques boucliers lumineux retournent à leurs formes originelles d’eux-mêmes, d’autres doivent être frappés à un autre endroit pour être restaurés, et d’autres encore ne retournent jamais à leurs formes ovales.

Don Juan dit que les voyants voient la conscience comme un rougeoiement particulier. Chaque jour la conscience rougeoie sur le côté droit, qui s’étend de l’extérieur du corps physique à la périphérie de notre luminosité. La conscience rehaussée est un scintillement plus intense associé à une grande vitesse et concentration, une fulgurance qui sature la périphérie du côté droit. Don Juan dit que les voyants expliquent ce qui se passe avec le coup du nagual comme un délogement temporaire du centre situé dans le cocon lumineux du corps. Les émanations de l’Aigle sont en réalité évaluées et sélectionnées dans ce centre. Le coup modifie leur comportement normal. A travers leurs observations, les voyants ont atteint la conclusion que les guerriers doivent être placés dans cet état de désorientation. Le changement dans la manière dont la conscience travaille dans ces conditions fait de cet état un territoire idéal pour élucider les commandements de l’Aigle : cela permet aux guerriers de fonctionner comme s’ils étaient dans la conscience de tous les jours, avec la différence qu’ils peuvent se concentrer dans tout ce qu’ils font avec une clarté et une force sans précédent. Don Juan dit que ma situation était analogue à celle qu’il avait expérimentée. Son benefactor avait créé une profonde division en lui-même, en le faisant se mouvoir à plusieurs reprises de la conscience du côté droit à la conscience du côté gauche. La clarté et la liberté de la conscience de son côté gauche étaient en directe opposition avec les rationalisations et les défenses sans fin de son côté droit. Il me dit que tous les guerriers sont lancés dans les profondeurs de la même situation que la polarité moule, et que le nagual crée et renforce la division pour être capable de conduire ses apprentis jusqu’à la conviction qu’il existe dans les êtres humains une conscience encore inexplorée.

2 - Les émanations de l’Aigle

Ce que nous percevons comme monde est les émanations de l’Aigle

Don Juan m’expliqua que le monde que nous percevons n’a pas d’existence transcendantale. Depuis que nous sommes familiarisés avec lui, nous croyons que ce que nous percevons est un monde d’objets qui existe autant que nous les percevons, quand en réalité il n’y a pas un monde d’objets, mais plutôt un univers des émanations de l’Aigle. Ces émanations représentent la réalité seule immuable. C’est une réalité qui enferme tout ce qui est, le perceptible et l’imperceptible, le connaissable et l’inconnaissable. Les voyants qui voient les émanations de l’Aigle les appellent commandements à cause de leur force contraignante. Toutes les créatures vivantes sont contraintes d’utiliser les émanations, et elles les utilisent sans chercher à savoir ce qu’elles sont. Les hommes ordinaires les interprètent comme étant la réalité. Et les voyants qui voient les émanations les interprètent comme étant la règle. En dépit du fait que les voyants voient les émanations, ils n’ont pas le moyen de savoir ce qu’est ce qu’ils voient. Au lieu de s’empêtrer eux-mêmes dans des conjectures inutiles, les voyants s’occupent à réfléchir de manière fonctionnelle sur la manière dont les commandements de l’Aigle peuvent être interprétés. Don Juan soutenait qu’intuitionner une réalité qui transcende le monde que nous percevons reste au niveau de la conjecture ; ce n’est pas suffisant pour un guerrier de conjecturer que les commandements de l’Aigle sont instantanément perçus par toutes les créatures qui vivent sur terre, et qu’aucune d’entre elles ne les perçoit de la même manière. Les guerriers doivent essayer de soutenir le flux des émanations et "voir" la manière dont l’homme et les autres êtres vivants l’utilisent pour construire leur monde perceptif. Quand je proposais d’utiliser le mot "description" à la place d’émanations de l’Aigle, Don Juan dit qu’il n’utilisait pas une métaphore. Il dit que le mot "description" connote une convention humaine, et que ce que nous percevons provient d’un commandement dans lequel les conventions humaines ne comptent pas.

3 - L’attention est l’acte d’écrémer

L’attention est ce qui nous fait percevoir les émanations de l’Aigle comme l’acte d’écrémer

Don Juan avait l’habitude de dire que la perception est une faculté physique que les créatures vivantes cultivent ; le résultat final de ce soin est connu chez les voyants comme "attention". Don Juan décrivait l’attention comme l’acte d’attraper et de canaliser la perception. Il disait que cet acte est notre exploit le plus singulier, qui couvre tout le spectre des alternatives et des possibilités humaines. Don Juan établissait une distinction précise entre les alternatives et les possibilités. Les alternatives humaines sont celles que nous sommes capables de choisir comme personnes qui fonctionnent dans le cadre de l’environnement social. Notre horizon dans cet empire est quasiment limité. Les possibilités humaines sont celles que nous sommes capables d’accomplir comme êtres lumineux. Don Juan me révéla un schéma classificatoire des trois types d’attention, en soulignant que les appeler des "types" était erroné. En fait, ce sont trois niveaux de connaissance : la première, la seconde, et la troisième attention ; chacune d’elle étant un empire indépendant, complet en lui-même.

Pour un guerrier qui se trouve dans les étapes initiales de son apprentissage, la première attention est la plus importante des trois. Don Juan disait que ses propositions explicatives étaient des essais pour donner un premier aperçu de la manière dont opère la première attention, quelque chose qui passe complètement inaperçu de nous. Il considérait comme un impératif pour les guerriers de comprendre la nature de la première attention s’ils devaient s’aventurer dans les deux autres. Il m’expliqua qu’on apprit à la première attention comment se mouvoir instantanément à travers tout le spectre des émanations de l’Aigle sans mettre en relief la totalité de ce fait, dans le but d’atteindre les "unités perceptives" dont nous tous avons appris qu’elles sont perceptibles. Les voyants appellent cet exploit un "écrémage", parce qu’il implique la capacité de supprimer celles des émanations qui sont superflues, et de sélectionner celles d’entre elles qui doivent être retenues. Don Juan expliquait ce processus en prenant comme exemple la montagne que nous étions en train de voir à ce moment. Il souligna que ma première attention, au moment de voir la montagne, avait écrémé un nombre infini d’émanations pour obtenir un miracle de perception, un écrémage que tous les êtres humains connaissent parce que chacun d’entre eux l’a atteint par lui-même. Les voyants soutiennent que tout ce que la première attention supprime pour obtenir un écrémage ne peut plus être recouvré par la première attention dans cette condition. Une fois que nous apprenons à percevoir en termes d’écrémages, nos sens arrêtent d’enregistrer les émanations superflues. Pour élucider ce point il me donna l’exemple de l’écrémage "corps humain". Il dit que notre première attention est totalement inconsciente des émanations qui composent le bouclier lumineux extérieur du corps physique. Notre cocon ovale n’est pas assujetti à la perception ; celles des émanations qui l’auraient rendu perceptible ont été rejetées au bénéfice de celles qui permettent à la première attention de percevoir le corps physique comme nous le connaissons. De là vient que le but perceptif que les enfants doivent accomplir lors de leur croissance consiste à apprendre à isoler les émanations appropriées pour pouvoir canaliser leur perception chaotique et la transformer en première attention ; en agissant ainsi, ils apprennent comment construire des écrémages. Tout les êtres humains adultes qui entourent les enfants leur apprennent à écrémer. Tôt ou tard les enfants apprennent à contrôler leur première attention dans le but de percevoir les écrémages en termes comparables à ceux de leurs maîtres.

Don Juan ne cessait jamais de s’étonner de la capacité des êtres humains à apporter de l’ordre dans le chaos de la perception. Il soutenait que chacun de nous, par ses propres mérites, est un maître magicien et que notre magie consiste à traduire la réalité en écrémages que notre première attention a appris à construire. Le fait que nous percevons en termes d’écrémages est le commandement de l’Aigle, mais percevoir les commandements comme objets est notre pouvoir, notre don de magicien. Notre erreur, par ailleurs, est que nous finissons toujours par nous trouver d’un seul côté lorsque nous oublions que les écrémages ne sont réels qu’autant que nous les percevons comme réels, en raison du pouvoir que nous avons d’agir ainsi. Don Juan appelait cela une erreur de jugement qui détruit la richesse de nos origines mystérieuses.


4 - Le premier anneau de pouvoir

Les écrémages tirent leur signification du premier anneau de pouvoir

Don Juan avait coutume de dire que le premier anneau de pouvoir est la force qui provient des émanations de l’Aigle pour affecter exclusivement notre première attention. Il expliquait que cela fut représenté comme un "anneau" à cause de son dynamisme, de son mouvement ininterrompu. Et cela a été appelé anneau "de pouvoir" en raison d’abord de son caractère compulsif, et ensuite de sa capacité unique de cesser ses opérations, de les modifier ou d’inverser leur direction. Le caractère compulsif apparaît en particulier dans le fait qu’il ne contraint pas seulement la première attention à construire et à perpétuer les écrémages, mais aussi dans le fait qu’il requiert un consensus de tous les participants. Il sollicite de chacun d’entre nous un accord complet en ce qui concerne la reproduction fidèle des écrémages, de sorte que la conformité au premier anneau de pouvoir finit par devenir totale. C’est précisément cette conformité qui nous donne la certitude que les écrémages sont des objets qui existent en tant que tels, indépendamment de notre perception. En outre, le caractère compulsif du premier anneau de pouvoir ne cesse pas après l’accord initial, mais il demande que nous renouvelions continuellement l’accord. Toute notre vie nous devons opérer comme si, par exemple, chacun de nos écrémages était perceptuellement le premier pour tout être humain, en dépit de la diversité des langages et des cultures. Don Juan concédait que même si tout cela est trop sérieux pour être pris à la rigolade, le caractère contraignant du premier anneau de pouvoir est si intense qu’il nous force à croire que si la "montagne" pouvait avoir une conscience par elle-même, elle se considérerait elle-même comme l’écrémage que nous avons appris à construire.

Le trait le plus valable que le premier anneau de pouvoir présente pour un guerrier est sa capacité singulière d’interrompre son flux d’énergie, ou de le suspendre totalement. Don Juan disait que c’est une capacité latente qui existe en nous tous comme comme une unité de soutien. Dans notre monde étroit d’écrémages, il n’y a pas besoin d’en user. Depuis que nous sommes si efficacement arc-boutés et protégés par le filet de la première attention, nous ne réalisons pas, pas même vaguement, que nous avons occulté des ressources. Cependant si une autre alternative à suivre se présentait d’elle-même à nous, comme l’option du guerrier qui consiste à utiliser la seconde attention, la capacité latente du premier anneau de pouvoir pouvait commencer à fonctionner et pouvait être utilisée avec des résultats spectaculaires. Don Juan soulignait que le plus grand exploit des sorciers est l’acte d’activer cette capacité latente ; il l’appelait en bloquant l’intention du premier anneau de pouvoir. Il m’expliqua que les émanations de l’Aigle, qui ont déjà été isolées par la première attention dans le but de construire le monde quotidien, exercent une pression inflexible sur la première attention. Pour que cette pression stoppe son activité, l’intention doit être déplacée. Les voyants appellent cela une obstruction ou une interruption du premier anneau de pouvoir.

6 - La seconde attention

Don Juan m’expliqua que l’examen de la seconde attention doit commencer par la compréhension du fait que la force du premier anneau de pouvoir, qui nous enferme en lui, possède une limitation physique, concrète. Les voyants l’ont décrite comme un mur de brouillard, une barrière qui peut être systématiquement amenée à notre conscience au moyen du bloquage du premier anneau de pouvoir, et puis peut être traversée au moyen de l’entrainement du guerrier. Après avoir traversé ce mur de brouillard, on entre dans un large état intermédiaire. La tâche des guerriers consiste alors à le traverser jusqu’à ce qu’ils atteignent la prochaine ligne de division, qui doit être traversée dans le but de pénétrer ce qui est proprement l’autre moi ou la seconde attention. Don Juan disait que les deux lignes de division sont parfaitement reconnaissables. Quand les guerriers traversent le mur de brouillard, ils sentent que leur corps est pressé, ou ils ressentent une intense secousse dans la cavité de leur corps, généralement à la droite de l’estomac ou à travers le ventre de la droite vers la gauche. Quand les guerriers traversent la seconde ligne, ils sentent un craquement aigu à la partie supérieure du corps, quelque chose comme le son d’une branche sèche qu’on casse en deux. Les deux lignes qui s’emboitent dans les deux attentions, et les scellent individuellement, sont connues des voyants comme étant les lignes parallèles. Celles-ci scellent les deux attentions grâce au fait qu’elles s’étendent à l’infini, sans jamais permettre de les parcourir à moins qu’elles soient traversées.

Entre les deux lignes il existe une aire de conscience spécifique que les voyants appellent les limbes, ou monde entre les lignes parallèles. C’est un espace réel entre deux ordres immenses des émanations de l’Aigle ; émanations qui se trouvent à l’intérieur des possibilités humaines de la conscience. L’un est le niveau qui crée le soi de la vie quotidienne, et l’autre est le niveau qui crée l’autre soi. C’est ce qui fait des limbes une zone de transition, les deux champs d’émanations s’étendant l’un au-dessus de l’autre. La fraction du niveau qui nous est connue, et qui s’étend à l’intérieur de cette aire, accroche une portion du premier anneau de pouvoir ; et la capacité du premier anneau de pouvoir de construire des écrémages nous fait percevoir des séries d’écrémages dans les limbes qui sont presque comme ceux de la vie quotidienne, excepté qu’ils apparaissent grotesques, inquiétants et crispés. Cela confère aux limbes des traits spécifiques qui ne changent pas arbitrairement chaque fois que quelqu’un va à l’intérieur. Il existe en eux des traits physiques qui ressemblent aux écrémages de la vie quotidienne. Don Juan soutenait que l’impression de pesanteur expérimentée dans les limbes est dûe au fardeau croissant qui a été placé sur la première attention. Dans l’aire située à droite derrière le mur de brouillard nous pouvons encore nous comporter comme nous le faisons normalement ; c’est comme si nous étions dans un monde grotesque mais reconnaissable. Comme nous pénétrons plus loin à l’intérieur, au-delà du mur de brouillard, il devient progressivement difficile de reconnaître les traits ou de se comporter dans les termes du soi connu.

Il m’expliqua qu’il était possible de faire qu’à la place du mur de brouillard quelque chose d’autre apparaisse, mais que les voyants ont choisi de se concentrer sur ce qui consume moins l’énergie : visualiser le mur de brouillard ne demande aucun effort. Ce qui existe au-delà de la seconde ligne de division est connu des voyants comme étant la seconde attention, ou l’autre soi, ou le monde parallèle ; et l’acte d’aller d’un bord jusqu’à l’autre est connu comme étant la "traversée des lignes parallèles". Don Juan pensait que je pourrais assimiler ce concept de manière plus ferme s’il décrivait chaque empire de conscience comme une prédisposition spécifique de la perception. Il me dit que dans le domaine de la conscience quotidienne nous sommes inévitablement empêtrés dans la prédisposition perceptive spécifique de la première attention. A partir du moment où le premier anneau de pouvoir commence à élaborer des écrémages, la manière de les élaborer devient notre prédisposition perceptive normale. Briser la force unifiante de la première attention implique de briser la première ligne de divison. La prédisposition perceptive normale passe alors dans l’aire intermédiaire qui se trouve entre les lignes parallèles. On garde l’élaboration d’écrémages presque normaux pendant quelque temps. Mais comme on approche de ce que les voyants appellent la seconde ligne de division, la prédisposition perceptive de la première attention commence à reculer, elle perd de la force. Don Juan disait que cette transition est marquée par une incapacité soudaine de se rappeler ou de comprendre ce qu’on fait.

Quand on se rapproche de la seconde ligne de division, la seconde attention commence à agir sur les guerriers qui entreprennent le voyage. S’ils sont inexpérimentés, leur conscience demeure vide, il y a un blanc. Don Juan tenait que cela se produit parce qu’ils approchent un spectre des émanations de l’Aigle qui n’a pas encore de prédisposition perceptive systématisée. Mes expériences avec la Gorda et la femme nagual au-delà du mur de brouillard étaient un exemple de cette incapacité. Je voyageais aussi loin que l’autre moi, mais je ne pouvais me rendre compte de ce que nous avions fait pour la simple raison que ma seconde attention était encore informulée et cela ne me donnait pas l’opportunité de formuler tout ce que j’avais perçu. Don Juan m’expliquait qu’on commence à activer le second anneau de pouvoir en forçant la seconde attention à s’éveiller de son sommeil. Le bloquage fonctionnel du premier anneau de pouvoir achève cela. Puis la tâche du maître consiste à recréer la condition qui inaugura le premier anneau de pouvoir, condition qui consiste à être saturé par l’intention. Le premier anneau de pouvoir est mis en mouvement par la force de l’intention donnée par ceux qui enseignent la manière d’écrémer. Etant mon maître, il me donna alors une nouvelle intention qui devait créer un nouvel environnement perceptif. Don Juan disait qu’une vie entière de discipline incessante, que les voyants appellent intention inflexible, est nécessaire pour préparer le second anneau de pouvoir en vue d’être capable d’élaborer des écrémages qui appartiennent à un autre niveau des émanations de l’Aigle. Maîtriser la prédisposition perceptive du soi parallèle est un exploit de valeur incomparable que peu de guerriers atteignent. Silvio Manuel faisait partie de ce petit nombre. Don Juan m’avertit que l’on ne doit pas essayer de maîtriser cela de manière délibérée. Si cela se produit, ce doit être à la suite d’un processus naturel qui se déploie lui-même sans aucun effort de notre part. Il m’expliqua que la raison de cette indifférence repose sur la considération pratique que quand cela est dominé, il devient simplement très difficile à briser, alors que le but que les guerriers poursuivent activement est de briser ensemble les prédispositions perceptives pour entrer dans la liberté finale de la troisième attention.

Aucun commentaire: