Evangile de Judas


L'Evangile de Judas, un délit d'initié?

Un Évangile apocryphe réhabilite, d'une certaine façon, le personnage de Judas.
par Yvon Larose

Ce manuscrit en langue copte vieux de quelque 1700 ans est la traduction d'un texte grec perdu et vraisemblablement composé entre 150 et 180 de notre ère. Il a été découvert en Égypte dans les années 1970. Sa traduction en langue anglaise a été rendue publique par la National Geographic Society au début d'Avril 2006.

Si Judas a livré Jésus aux Romains, ce n'est pas pour une vile question d'argent ou parce qu'il était possédé du démon, comme le veut la tradition. S'il a trahi son maître, c'est bien à la demande de celui-ci qui savait qu'une fois jugé, condamné à mort et crucifié, il accomplirait son destin, soit de mourir pour sauver l'humanité. Débarrassé de son enveloppe charnelle, Jésus quitterait ce monde imparfait créé par un dieu qui est inférieur au Dieu véritable et il retrouverait, par le fait même, son essence divine. Tel est l'essentiel du message contenu dans L'Évangile de Judas. Ce manuscrit en langue copte vieux de quelque 1 700 ans est la traduction d'un texte grec perdu et vraisemblablement composé entre 150 et 180 de notre ère. Il a été découvert en Égypte dans les années 1970. Sa traduction en langue anglaise a été rendue publique par la National Geographic Society au début d'avril. Le mercredi 19 avril, la Faculté de théologie et de sciences religieuses présentait, au pavillon Charles-De Koninck, une table ronde sur le thème "L'Évangile de Judas: texte et contexte".

Un texte d'inspiration gnostique.
Devant une salle comble, le professeur Louis Painchaud, qui a fait sa propre traduction de l'Évangile de Judas, a d'abord affirmé que ce texte, rédigé sur des feuillets de papyrus au 4e siècle de notre ère, comme l'a authentifié la datation au carbone 14, concerne hors de tout doute Judas Iscariote, le disciple qui a livré Jésus aux Romains. Sur le plan de la doctrine, ce texte d'inspiration gnostique vient contredire le récit de la Création dans le livre de la Genèse en affirmant que Jésus n'est pas le fils de la divinité qui a créé le monde et l'homme. "Ce dieu créateur, a expliqué Louis Painchaud, est en fait un être inférieur et mauvais qui a créé le monde matériel et qui le domine. D'ailleurs, au début du texte, Jésus établit une distinction entre ce dieu et son Père en affirmant qu'il n'est pas le fils de cette divinité inférieure. Pour atteindre le salut, les humains doivent prendre conscience du caractère inférieur et mauvais de ce dieu et reconnaître qu'ils sont eux-mêmes d'une origine supérieure."

L'Évangile de Judas présente Judas comme le disciple le plus proche de Jésus, le seul qui le connaît véritablement et qui a compris la réelle signification de ses enseignements. S'adressant à Judas, Jésus lui dit: "Tu les surpasseras tous, car l'homme qui me porte, tu le sacrifieras". Selon Louis Painchaud, "l'homme" signifie l'enveloppe charnelle empruntée par Jésus pour apparaître dans ce monde. "Comme le matériel appartient à un dieu créateur inférieur et mauvais, Jésus doit être délivré de son enveloppe, a-t-il précisé. Judas le fera. En ce sens, il surpassera tous les autres apôtres. Dans ce texte, c'est bel et bien Jésus qui demande à Judas de le sacrifier, non pas l'être céleste qu'est le Sauveur, mais seulement son "vêtement".

L'Évangile de Judas ne révèle rien sur la condamnation et l'exécution de Jésus. En revanche, il donne la parole à des groupes chrétiens marginaux du 2e siècle qui se situaient à la périphérie de ce qui va se développer comme la forme centrale du christianisme. Comme d'autres textes anciens, ce manuscrit montre la grande diversité du christianisme à ses débuts. Il permet de mieux comprendre les origines d'une nouvelle religion, son émergence et sa construction dans l'empire romain. "L'Évangile de Judas révèle des choses sur les débats qui ont fait rage parmi les chrétiens des 2e et 3e siècles autour de la définition des mécanismes d'autorité qui se sont implantés à cette époque, a indiqué Louis Painchaud. Ce texte, ainsi que les autres évangiles dits apocryphes, n'ont pas été transmis par la tradition de l'Église catholique parce qu'ils exprimaient une voix dissidente. On a plutôt cherché à les faire taire. Les textes sont progressivement tombés dans l'oubli, ou ont été détruits."

Du Code da Vinci à l'Évangile de Judas
La divulgation du contenu de l'Évangile de Judas survient quelques semaines avant le lancement du film tiré du Code da Vinci, le livre à succès de Dan Brown vendu à 40 millions d'exemplaires et traduit dans une quarantaine de langues. Ce roman a pour fil conducteur un secret, le fait que Jésus aurait eu une compagne, Marie-Madeleine, ainsi qu'un enfant d'elle. Pour Alain Bouchard, chargé de cours à la Faculté de théologie et de sciences religieuses et professeur de science des religions au Cégep de Sainte-Foy, le battage médiatique et l'intérêt du grand public autour des deux textes, quoique nous vivions à une époque où il est de bon ton de prendre ses distances d'avec les institutions, dont la religion, n'ont, en soi, rien de surprenant. "Les sondages indiquent que dans les sociétés chrétiennes, même si les gens ne pratiquent plus, une bonne partie reste attachée à la vie de Jésus parce qu'ils ont été marqués culturellement par cette histoire, souligne-t-il. Le succès d'un film comme La Passion du Christ, de Mel Gibson, a montré qu'il avait touché une corde sensible chez bien des gens."

Selon Alain Bouchard, la popularité du roman de Dan Brown ainsi que l'intérêt soulevé par l'Évangile de Judas s'expliquent également par le sentiment assez répandu que l'Église catholique a toujours camouflé des choses importantes sur la vie du Christ. "C'est du moins ce que prétend Le Code da Vinci et qui explique son succès de vente, ajoute-t-il. Pourtant, du point de vue historique, il n'existe aucun indice prouvant que Jésus ait eu une conjointe et un enfant." Une autre explication découle du phénomène qu'Alain Bouchard qualifie d'"ésotérisme de masse". "Dans ces milieux, dit-il, il est clair que l'Église cache des choses. Même sans assises historiques, certaines idées plaisent aux gens. Le problème est qu'à un moment donné, on ne fait plus la distinction entre la vérité et la fiction, entre le vrai et le faux." Alain Bouchard croit que ce type de questionnement reviendra périodiquement. Il y a une vingtaine d'années, le film La dernière tentation du Christ, de Martin Scorsese, avait causé tout un émoi parce qu'il montrait Jésus qui, après avoir survécu à la croix, était parti au loin vivre avec Marie-Madeleine.


Louis Painchaud Il est le responsable de l'édition de la Bibliothèque copte de Nag Hammadi, à l'Université Laval. Ce projet d'envergure porte sur plus de 1 000 pages réparties en près de 50 manuscrits chrétiens inconnus à ce jour et rédigés au cours du 2e siècle de notre ère, puis copiés au 4e siècle. Ces manuscrits comprennent notamment des évangiles apocryphes, dont l'Évangile selon Philippe qui a servi de base au roman Le Code da Vinci. Les autorités catholiques des 2e, 3e et 4e siècles ont condamné comme hérétiques les doctrines contenues dans les manuscrits de Nag Hammadi. La traduction complète de ces textes doit paraître en septembre 2007 dans la Bibliothèque de La Pléiade aux Éditions Gallimard. En juin de la même année, Louis Painchaud et son équipe prévoient publier une traduction française de l'Évangile de Judas dans la revue savante Laval théologique et philosophique. Plus près de nous, le dimanche 7 mai à 20 h à l'Hôtel Delta-Québec, Serge Cazelais, étudiant au doctorat en sciences des religions, prononcera une conférence intitulée: "Les papyrus de Nag Hammadi et l'Évangile de Judas (les Évangiles secrets)". Le mercredi 24 mai au Musée de la civilisation de Québec, Louis Painchaud donnera pour sa part une conférence intitulée: "Le baiser sur la bouche dans le christianisme ancien - de l'Évangile selon Philippe à l'Évangile de Judas".


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