Les chamans sont parmi nous.

Les chamans sont parmi nous.


Outil thérapeutique ancré dans la nature, imprégné de symbolisme et de mythologie, le chamanisme séduit de plus en plus d’Occidentaux. Témoignages de cinq “pratiquants” qui ont fait entrer la magie dans leur vie.

Depuis quelques années, le chamanisme est devenu une sorte de nec plus ultra du voyage intérieur, un véritable phénomène de mode : multiplication de témoignages de voyageurs de l’invisible, stages d’exploration de soi au son des tambours sacrés, sans parler des contacts collectifs avec les esprits dans la forêt de Brocéliande, des voyages thérapeutiques au fin fond de l’Amazonie, ou des cérémonies initiatiques dans les "sweat lodges" (huttes de sudation) importées des Etats-Unis.



Chaman?

La plupart du temps, lorsqu’on demande à un ethnologue ce qu’est un chaman, il marque un long temps d’arrêt avant de se lancer dans un interminable monologue mêlant psychologie, théologie, médecine, écologie, symbolisme, sociologie. Comme si nos mots occidentaux ne suffisaient pas pour décrire ce personnage à la fois guérisseur, guide spirituel, gardien des mythes et de l’ordre social, devin, homme de loi, thérapeute…La tradition chamanique remonte à vingt mille ans. Au moins. Elle s’est répandue sur tous les continents, avec une variété quasi infinie de rituels, pratiques, techniques et mythologies. Le point commun de tous les chamans ? La transe. Quelle que soit leur origine, ils sont capables de modifier leur état de conscience ordinaire pour entrer dans un autre monde où ils reçoivent l’enseignement des "esprits". Ainsi accèdent-ils à une sorte de quatrième dimension où tout pouvoir leur est donné pour guérir, interpréter les rêves, voir l’avenir, garantir l’harmonie entre les hommes et la nature.



Une tradition qui dure

Cette tradition perdure et se répand en Occident, notamment dans le milieu des thérapeutes. Pourquoi ? D’abord, parce que cette fameuse et mystérieuse transe semble avoir un véritable potentiel thérapeutique – les témoignages de guérisons psychiques et même physiques abondent aujourd’hui. Ensuite, parce que le chamanisme est une voie vers la liberté individuelle sans dogme ni institution, ce qui correspond très exactement à la recherche de l’individualité qui a valu l’explosion du développement personnel. Enfin, parce que le fond écologique et mythologique constitue l’essence même de cette tradition : animaux de pouvoir, cycles de la vie, esprit des plantes, respect du vivant… Cet ensemble forme un tout, global et indissociable, qui répond au besoin fondamental de trouver une cohérence et un sens à notre existence.Mais alors que dans la tradition le chaman est un individu "doué", "choisi par les esprits", seul capable d’entrer en transe, certains chamans modernes considèrent que cette technique est accessible à tous. Ce n’est pas tout à fait faux. Rien de plus facile, en effet, que d’entrer dans une transe légère. Rêverie, lecture absorbante d’un livre, méditation spontanée devant un coucher de soleil sont des exemples de petites modifications de la conscience que nous vivons tous au quotidien. Elles sont aussi les prémices de l’entrée dans une réalité autre.



Un état modifié de conscience

Les chamans pratiquants ajoutent quelques ingrédients supplémentaires pour que cet état modifié de conscience soit de plus en plus profond : son monotone d’un tambour, ou ingestion de plante hallucinogène, utilisés dans un cadre spécifique, avec des rituels très précis. Ces conditions sont beaucoup moins rigoureuses chez certains qui pratiquent des ersatz de cérémonies initiatiques pour répondre à la demande de sensations fortes. Le résultat n’est alors guère meilleur que celui obtenu dans les raves, par exemple, dont la rythmique assourdissante plonge des milliers de participants dans des états très décalés… et pas vraiment thérapeutiques.Malgré ces dérives, force est de constater que l’esprit humain serait bien plus que le seul produit d’un organe biologique, que notre conscience semble avoir la propriété de voyager dans d’autres réalités et que, finalement, l’univers est un ensemble dans lequel chacun peut trouver sa place et sa fonction.


QUELQUES PORTRAITS DE CHAMANS

Michel Citrin dit Bison noir, psychothérapeute :
« C’est un engagement dans lequel on doit participer à sa propre évolution, et non la subir »
« Après avoir obtenu mes diplômes de psychologie et de psychothérapie, j’ai ouvert un centre de développement personnel à Los Angeles. En 1981, nous avons reçu Marcellus Bear Heart, un authentique “medecine man” indien Creek. Il m’a adopté et m’a initié aux rites et cérémonies traditionnels. Il m’a fait travailler essentiellement sur les soins chamaniques, qui sont devenus ma spécialité. J’ai fait mes “quêtes de vision” avec lui. C’est une épreuve initiatique intense, qui consiste à rester quatre jours sans boire ni manger, seul dans la nature, pour obtenir une réponse à une requête personnelle : devenir apprenti chaman, connaître son destin… Lors de ma deuxième quête, Marcellus m’a donné le nom de Bison noir. Nous étions dans les montagnes du Colorado, et je me suis retrouvé seul, face à moi-même. Le troisième jour, un chef indien, né au XIXe siècle et chaman lui-même, m’est apparu. Il m’a fait voir ma destinée. Depuis, je sens sa présence, il me guide, me protège. Les esprits ne sont pas des fantômes, mais des ancêtres, des êtres qui vivent dans une autre dimension. Je me suis installé en France en 1995. Aujourd’hui, soixante-dix-huit personnes sont engagées dans une quête de vision avec moi. Cette recherche demande un an de préparation et quatre ans de travail sur soi, avec une quête de vision par an. C’est un réel engagement dans lequel on doit participer à sa propre évolution, et non la subir. Dans cette période de transition que l’humanité traverse, il faut réapprendre à vivre en harmonie avec la Terre Mère, parce qu’elle souffre, et se poser une question : “Quelle Terre allons-nous laisser à nos enfants ?” »

Vincent Ravalec, écrivain (auteur notamment de “Cantique de la racaille”, J’ai lu, 2000) :« Plus on entre dans ce type d’exploration de la conscience, plus on se rend compte que la magie est dans le quotidien » « J’ai eu mes premières expériences “chamaniques” dès l’âge de 16 ans, époque où je lisais des tonnes de grimoires sur les mystères du monde… J’ai ensuite fait du rebirth (méthode thérapeutique de respiration contrôlée). Ce n’était encore qu’un “entraînement” léger à l’exercice délicat de la modification de conscience. Je m’attendais à quelque chose de plus… magique, mais ce fut néanmoins un excellent démarrage pour des explorations psychiques toujours plus poussées. Plus on entre dans ce type d’exploration de la conscience, plus on se rend compte que la réalité est relative, que la magie est dans le quotidien. A condition, bien sûr, d’avoir appris à modifier son regard sur le monde. Cela peut se faire par le biais de la méditation, de la respiration, de la musique. Mais aussi avec l’ayahuasca, une plante psychothrope utilisée par les chamans d’Amérique du Sud. Cette plante vous “connecte” immédiatement, parce que ces substances agissent comme une “clef” dans la chimie du cerveau. Il est difficile de parler de ce type d’expériences avec ceux qui ne les ont pas vécues, car elles sont codées par sa propre subjectivité. Pour ma part, c’est dans l’expression artistique que j’ai pu trouver les artifices nécessaires à la mise en forme et à la compréhension des choses totalement “incroyables” que j’ai vécues par ailleurs : toute mon expression est, pour moi, un outil “magique“. »

Katherine-Michèle Thomas, psychothérapeute et créatrice de la danse évolutive :« Le chamanisme a facilité ma pratique thérapeutique, car il m’a enseigné comment ‘lire’ à l’intérieur de la personne » « Ma première expérience, aussi étonnante qu’éprouvante, s’est déroulée il y a une quinzaine d’années au cours d’un stage au Canada. Nous avions travaillé sur les façons de sentir l’énergie vitale circuler dans la nature, lorsque le chaman indien a disposé des pierres sur le sol, au centre de la salle. Nous nous sommes allongés, la tête dirigée vers elles, et il a commencé un rituel. Tout à coup, j’ai ressenti en moi quelque chose d’irrépressible, et je me suis mis à hurler et à pleurer une souffrance qui n’était pas la mienne. Une douleur qui ne m’appartenait pas. Je m’étais en fait “branchée” sur ma voisine et j’avais capté son énergie, ses problèmes. Après la séance, j’ai pu lui expliquer ce qui n’allait pas en elle, et même plus : tout s’est passé comme si j’avais “nettoyé” sa souffrance. J’ai été terriblement bouleversée, parce que j’ai dû admettre que, en modifiant légèrement notre état de conscience, on peut accéder à des informations très précises sur l’état d’une personne sans même la connaître. J’ai également compris qu’il y avait quelque chose en moi de particulier qu’il me fallait développer. Ma recherche a ensuite duré des années. Tout en suivant des formations dans différentes méthodes thérapeutiques classiques, j’ai beaucoup voyagé pour suivre les séminaires de chamans amérindiens, canadiens, mexicains… Cela m’a permis d’apprendre à “lire” à l’intérieur de la personne – ce que l’on appelle avoir “l’œil perçant” du chaman. Toute cette période a été très dure, même violente : il m’a fallu affronter mes propres peurs, ma propre part d’ombre. Un vrai chaman est quelqu’un qui, bien sûr, a un don, mais surtout qui a fait un réel travail sur lui-même. Cet apprentissage a facilité ma pratique thérapeutique car, lorsque les connaissances théoriques sont en phase avec l’intuition, les réponses sont fulgurantes. Cependant, je ne me dis pas chaman parce que je ne veux pas que l’on vienne me voir pour assister à des miracles ! Dans mes stages de danse évolutive, je crée simplement le climat qui va permettre à chacun de participer activement à sa guérison. »

Jeremy Narby, anthropologue :« Cette expérience extraordinaire a marqué le début de ma transformation intérieure » Je suis parti en Amazonie péruvienne effectuer des recherches dans le cadre de mon doctorat en anthropologie. Alors que rien ne m’y avait préparé, j’ai participé à des rituels chamaniques : j’ai bu de l’ayahuasca – une mixture préparée à partir d’une plante hallucinogène – sous le contrôle d’un chaman. Il m’a fallu sept ou huit ans avant de pouvoir parler de cette expérience. Pour résumer mes visions : deux énormes boas fluorescents m’ont dit que je n’étais qu’un être humain ; puis des “êtres” m’ont montré un chemin de vie. Ce que j’ai vu était plus que de simples images. C’était la réalité, plus nette et plus puissante que notre monde réel, qui m’a alors paru terne, unidimensionnel. J’ai compris d’où venaient les connaissances de ces peuples sur les plantes et la nature. Cette expérience extraordinaire a marqué le début de ma transformation intérieure. En raison de son effet sur le psychisme, l’ayahuasca est au centre d’une certaine mode, et entraîne de terribles dérives. En Amazonie, des individus peu formés – il faut trente ans pour devenir un bon chaman – se sont mis à administrer cette mixture à tort et à travers. Certains, tentés d’abuser de leur pouvoir, préfèrent devenir jeteurs de mauvais sorts que bons guérisseurs. De plus, l’ayahuasca peut engendrer des malaises psychiques et physiques très graves. Un jour, un homme m’a raconté qu’il avait participé à une cérémonie d’ayahuasca pour traiter sa dépression : “Je me suis senti réduit en miettes, comme si ma psyché avait été démontée et pas reconstruite.” Il s’est suicidé deux ans plus tard. Les plantes chamaniques sont certes des outils puissants, mais à double tranchant.Il est l’auteur du “Serpent cosmique”,Georg, 1995 - et de “Chamans au fil du temps”, une anthologie de grands textes historiques, Albin Michel, 2002.


Corine Combrun, compositrice et musicienne : « Cela a été une thérapie incroyablement rapide »
« Dans une petite hutte, en pleine jungle amazonienne, le chaman Ruperto m’a fait boire une décoction d’ayahuasca. Pendant qu’il chantait pour déclencher le processus de purification, j’ai senti mon cœur battre dix fois plus vite. Il m’a fait aussi fumer du tabac pur. Et j’ai vomi, avec l’impression de mourir. Soudain, j’ai vu des milliers de serpents sortir de mon corps. Ils se sont transformés en branches sur lesquelles ont poussé des petites feuilles vertes. J’ai senti une douleur fulgurante dans l’estomac, exactement là où j’avais mal depuis le deuil inconsolable qui m’avait incitée à partir en Amazonie. J’ai vomi la douleur. La souffrance a disparu. Plusieurs fois, j’ai refait cette cérémonie. Avec d’autres plantes, comme l’ajosacha qui aide à comprendre les rêves, ou la sacharunacaspi qui permet de percevoir et déchiffrer les messages des esprits à travers les bruits. Ces expériences de transe m’ont ouverte à d’autres dimensions de l’esprit, le “monde des esprits”. Existe-t-il réellement ? Je n’en sais rien… En tout cas, cela a été une thérapie incroyablement rapide : au bout d’un mois et demi de ce régime de choc, je suis revenue littéralement vidée de mes vieux problèmes, avec l’impression d’avoir évité dix ans de psychanalyse ! Aujourd’hui, je sais que j’ai un champ de conscience plus large : je peux, par exemple, percevoir l’énergie vibratoire des gens. Chaque jour, j’ai l’impression de redécouvrir le monde, de voir tout ce qui nous est caché parce que la vie moderne laisse peu de place à l’intuition. Je vis surtout plus intensément, avec beaucoup moins de peurs. Mon histoire a continué après la rédaction de mon livre : à la suite d’un rêve, je suis allée en Mongolie. J’ai participé à des cérémonies pendant lesquelles je suis entrée en transe, non avec des plantes mais grâce au son des tambours. Le chaman m’a dit que j’avais été désignée par les esprits, que mon destin était de devenir moi-même chaman… Mon parcours semble donc ne pas être fini ! »
Elle est l’auteur de “Journal d’une apprentie chamane”, dans lequel elle relate son expérience (Albin Michel, 2002).

A LIRE : • “Les Chamans, hier et aujourd’hui” de Jean-Patrice Costa. Une présentation complète et claire (Flammarion, 2001).• “Soigner l’âme et le corps” dirigé par Didier Dumas. Les possibilités d’utilisation des techniques chamaniques en psychothérapie (Albin Michel, 2002).

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Corine Sombrun